Marxisme
(n, m) : (1) Philosophie de Karl Marx (1818-1883). (2) L’ensemble des
courants intellectuels qui, à quelque degré que ce soit, se rattachent à la
pensée de Karl Marx. (3) « Moi, je ne suis pas marxiste » (Karl
Marx).
Le destin de la pensée de Marx a conduit à la confusion
des sens (1) et (2) en dépit de l’avertissement (3). En bonne logique et pour
respecter les dénominations en usage dans la langue française, le substantif
« marxisme » s’il est construit comme kantisme ou platonisme devrait
signifier : caractère de la pensée marxienne. C’est l’adjectif « marxien »
construit sur le modèle de kantien, platonicien, etc., et non pas
« marxiste » qui convient pour parler de Marx. Pour
« marxien », donc, voir Marx.
On doit distinguer divers usages du terme
« marxisme » et diverses phases de l’histoire du « marxisme »,
au croisement de la philosophie, de l’histoire des idées … et de l’histoire
tout court.
I.
Le marxisme orthodoxe. Le marxisme
devient la doctrine officielle des principaux partis socialistes et sociaux
démocrates européens à la fin du xixe
siècle. Sous l’influence de quelques textes de Engels, mais surtout de August
Bebel (1840-1913) et Karl Kautsky (1854-1938), de Georges Plekhanov (1858-1918)
en Russie ou encore de Jules Guesde en France, se construit ce qu’on appellera
le « marxisme orthodoxe ». L’Internationale Communiste et les divers
partis qui lui sont affiliés reprendra a son compte ce marxisme orthodoxe dont
Georges Politzer (1903-1942) puis Roger Garaudy (né en 1913) seront les
principaux propagateurs en France. Le marxisme orthodoxe se présente comme une conception du monde
cohérente articulant une philosophie moniste matérialiste (le
« matérialisme dialectique »), une théorie de l’histoire (le
« matérialisme historique »), une analyse socio-économique fondée sur
l’analyse des classes sociales en lutte, le concept d’exploitation et la
distinction entre infrastructure économique et superstructure politique,
juridique, idéologique et religieuse. Engels est fréquemment rendu responsable
de la transformation de la pensée de Marx en ce « marxisme
orthodoxe ». Il est nécessaire de faire des distinctions et de ne pas
jeter tous les « marxistes orthodoxes » dans les « poubelles de
l’histoire » auxquelles leurs adversaires étaient fréquemment voués.
On trouvera des travaux
spécialisés intéressants et parfois originaux comme La question agraire de
Karl Kautsky ou en avance sur l’évolution des mœurs et des préoccupations comme
Le socialisme et la femme d’August Bebel. Les trotskystes, bien que se
situant philosophiquement dans le « marxisme orthodoxe produisent
d’importantes contributions à la compréhension de la réalité sociale du xxe siècle. La Révolution
trahie de Trotsky est la première tentative systématique de penser la
nature de l’URSS. C’est encore un trotskyste, C.L.R. James qui s’intéresse parmi
les premiers à comprendre les problèmes spécifiques de l’émancipation des
Noirs. Il faut enfin accorder une place de choix à l’œuvre d’Ernest Mandel,
notamment son Spätkapitalismus. On se gardera de confondre ces travaux
honorables avec la production « intellectuelle » courante du
stalinisme, qu’il s’agisse des écrits de Staline sur la linguistique ou des
thèses ( ?) de Lissenko sur la « science prolétarienne ».
II.
Le marxisme occidental. Sous le syntagme
« marxisme occidental », Perry Anderson (éditeur de la revue
britannique New Left Review) regroupe toutes les tentatives,
principalement faites en Europe occidentale, de reprendre la façon de Marx en
sortant du dogmatisme du « marxisme orthodoxe ». Il ne s’agit pas
d’une école mais d’un ensemble de penseurs et de courants qui se caractérisent
par leur prise de distance à l’égard du matérialisme orthodoxe, qualifié de
mécaniste, la réintégration des questions de la culture et de la psychologie ou
encore la prise en compte plus directe des questions proprement politiques. Les
« marxistes occidentaux » se réclament volontiers de Marx mais
réfutent la plupart du temps l’apport de Engels, suspecté de réintroduire dans
la pensée de Marx une métaphysique matérialiste. On peut également remarquer la
tentative de réaliser des synthèses entre la tradition issue de Marx et les
courants classiques de la philosophie ou des sciences humaines. Avec Karl
Korsch (1886-1961), Georg Lukacs (1885-1971), c’est principalement un retour à
la philosophie de Hegel qui est censé sortir le marxisme de son dogmatisme. On
retiendra ici l’ouvrage clé de Lukacs, Histoire et Conscience de classe.
Avec Antonio Gramsci (1891-1937), le marxisme italien se marie avec la
philosophie hégélienne revue et corrigée par Benedetto Croce et Giovanni
Gentile. Si certains marxistes autrichiens, Max Adler en tête, avaient déjà
tenté une synthèse entre les pensées de Kant et de Marx, en Italie, Galvano
della Volpe (1895-1968) et son disciple Lucio Colletti (1924) reprennent cette
question à nouveaux frais. L’École de Francfort – nom sous lequel est connu l’Institut
für Sozialforschung, fondé en 1923 par Theodor Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973) – est très
fortement imprégné de psychanalyse, mais aussi de la sociologie de Max Weber.
Avec Herbert Marcuse ou Erich Fromm, l’école de Francfort jouera un rôle
important dans l’histoire intellectuelle des « trente glorieuses ».
C’est encore de cette école que sortent Jürgen Habermas et aujourd’hui Axel
Honneth. En France, Jean-Paul Sartre, surtout à partir de la Critique de la
raison dialectique, fait le lien entre marxisme et existentialisme. Enfin,
le structuralisme issu de la linguistique de Saussure et de l’ethnologie de
Lévi-Strauss imprègne le marxisme de Louis Althusser (1918-1990).
III.
L’influence de Marx dans les sciences
sociales. Que ce soit en tant que
doctrine des partis socialistes et communistes ou dans les diverses formes du
« marxisme occidental », la pensée de Marx est utilisée de manière
critique à l’égard de la société capitaliste. Mais on peut aussi se référer à
Marx simplement en tant que savant. L’influence de la conception marxienne de
l’histoire est particulièrement notable. Toute une école historique anglaise,
dont le nom saillant est celui d’Eric Hobsbawn revendique clairement sa
filiation marxiste. En France, Fernand Braudel ne manqua jamais de signaler sa
dette à l’égard de Marx – dette particulièrement nette dans son ouvrage
monumental, Civilisation matérielle, économie, capitalisme – xv – xviiie siècle.
Immanuel Wallerstein, disciple de Braudel développera la théorie de
« l’économie monde ». L’inspiration marxiste se révélera un outil
fécond dans l’exploration des processus historiques par lesquels la société
européenne issue de la féodalité donner naissance au capitalisme moderne – voir
la longue discussion entre Maurice Dobb, Paul Sweezy, etc. sur la transition du
féodalisme au capitalisme. De nombreuses écoles économiques, enfin, se sont
d’abord pensées dans le rapport au marxisme, ainsi ce qu’on a appelé
« l’école de la régulation », représentée par des chercheurs comme
Michel Aglietta, André Dorléans, Anton Brender … Des économistes libéraux,
adversaires politiques décidés des marxistes reconnaissent la valeur
scientifique des travaux de Marx – ainsi Milton Friedmann considère comme un
apport décisif la théorie marxienne de la monnaie. Il faudrait faire sa place
enfin au « marxisme analytique anglo-saxon » dont les travaux de John
Elster (Making sense of Marx) ou de John Roehmer sont emblématiques.
IV.
Le marxisme aujourd’hui. Politiquement,
le marxisme semble défait. Les partis qui s’en réclament encore sont des petits
groupes sans véritable influence politique – ou s’ils gagnent de l’influence,
c’est en abandonnant leur marxisme. Reste seulement une constellation de
chercheurs qui continuent de « travailler avec Marx » et parfois
contre Marx, dans tous les domaines de la philosophie et des sciences sociales.
Les trois « congrès Marx » tenus en France à l’initiative de l’équipe
de la revue Actuel Marx,
témoignent à la fois de cette fin du marxisme et de la vitalité de la pensée de
Marx. On peut même espérer que, débarrassé du marxisme, il soit possible
maintenant procéder à réévaluation de la pensée de Marx.
Bibliographie
Labica
(Georges) & Bensussan (Gérard) : Dictionnaire critique
du marxisme (PUF,
réédition « Quadrige »).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire