mercredi 28 mai 2008

Gouvernance, une démocratie sans le peuple

Un livre de Madeleine Arondel-Rohaut et Philippe Arondel

La "gouvernance" est en voie de substituer au gouvernement. Du moins c'est qu'on nous répète un peu partout. Née sur le terrain du management des entreprises (la "corporate governance"), la gouvernance est devenue la nouvelle vulgate que dissèquent Madeleine Arondel-Rohaut et Philippe Arondel (1).

Les auteurs montrent comment se met en place une nouvelle langue (un jargon dans lequel communient les trissotins de la classe dirigeante) qui ne vise pas seulement à enfumer idéologiquement les citoyens mais surtout à mettre en place des outils d'un Etat enfin débarrassé du contrôle politique de la population ou même simplement des réactions possibles auxquelles tout gouvernement sera confronté. Il s'agit bien pour les dirigeants et les représentants des classes possédantes de continuer à se prétendre partisan de la démocratie mais d'une démocratie sans le peuple, c'est-à-dire d'une démocratie sans "demos" qui n'est pas autre chose qu'une capitalo-cratie!

Reprenant les analyses d'Alain Supiot, les auteurs montrent comment la gouvernance a pour corollaire le chaos normatif. L'épique ultra-monderne est ainsi le lieu de processus de reféodalisation (c'est aussi un point sur lequel insistent beaucoup Pierre Legendre).

Signalons également dans cet ouvrage l'excellente critique qui est faite de la "démocratie radicale" telle que l'entend Habermas (pp 106-115) qui apparaît comme un de ces philosophes qui fournissent des justifications à un processus qui pourtant tourne le dos brutalement aux intentions qui les animent.

Sachons gré enfin aux auteurs de tenir les deux bouts de la chaîne: d'un côté un ordre international qui exclut la politique comme action des gouvernés et des gouvernants, et d'autre part une "gouvernance de soi" qui est une véritable domestication des subjectivités liée à l'instauration de nouvelles disciplines d'entreprise.

(1) éditions Ellipses -ISBN 978-2-7298-3398-5 / 192 pages.

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Qu'on nous permette de citer ici un ouvrage assez ancien (1997), La fin du travail et la mondialisation(L'Harmattan) où nous analysions le sens poltique de l'idéologie de la "mondialisation": En voici quelques extraits:
La question centrale que pose la « mondialisation », entendue au sens de la mondialisation du capital ou de la globalisation financière, ce n’est pas à proprement parler celle de la fin du rôle des États. Je crois avoir montré que le néolibéralisme, loin de faire disparaître l’État au profit d’instances transnationales, utilise au contraire l’État comme un moyen indispensable non seulement pour assurer l’ordre social mais aussi pour que s’opère en douceur la « redistribution » des pauvres vers les riches que suppose la domination sans partage de la finance et de la spéculation.

(...)

Que signifie donc, de ce point de vue, la « mondialisation » en tant que globalisation financière et l’énorme redistribution des positions économiques qu’elle organise ? Non pas l’affaiblissement ou la subordination de l’État en général, mais la destruction de cette forme particulière d’État qu’on appelle encore le « modèle social européen » et qui était issu de la Libération et de la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les peuples, désormais, sont sommés de se soumettre à des lois qu’ils n’ont pas approuvées et à l’élaboration desquelles ils n’ont eu aucune participation. Il s’agit même parfois de lois qui vont à rebours de toutes les traditions nationales les plus anciennes.

(...)
Venu au monde sous le signe des libertés de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, le , revu et corrigé par les doctrinaires de la fin de ce siècle, se présente, toujours au nom de la liberté, comme un vaste système d’interdits visant toutes les décisions collectives, visant donc le politique en tant que tel. Ce qu’organise la mondialisation, ce n’est pas la destruction de l’État, mais la destruction du politique et la destruction de l’idée de liberté politique, de participation des individus aux décisions qui concernent l’avenir de la cité. L’éminent rédacteur du Financial Times nous l’a dit sans détour : la démocratie, ça consiste à savoir quelle marque de céréales on choisira pour son petit déjeuner. Et certainement pas à se demander comment les petits déjeuners doivent être répartis.
(...)

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