lundi 27 février 2017

La problématique du sujet chez Kant et Habermas

Si de Nietzsche à Michel Foucault, les philosophies de la mort du sujet ont paru dominer le siècle passé, les conséquences philosophiques de la révolution copernicienne opérée par Kant continuent d’être agissantes. La problématique kantienne du sujet permet de commencer à répondre aux interrogations décisives de notre époque marquée par une crise de confiance généralisée : crise des « valeurs », fin de la croyance dans le progrès, mise en cause du politique, etc.. Les philosophies de la mort du sujet ou de la déconstruction ont tout à la fois ont exprimé cette crise et l’ont renforcée. La philosophie classique humaniste de Descartes à Kant est universaliste : le bon sens est la chose la mieux partagée du monde pour Descartes et pour Kant la loi morale est quelque chose qui s’impose à tout être doué de raison. L’universalisme a été battu en brèche et le relativisme a semblé triompher au cours les dernières décennies. Avec d’autres, cependant, Habermas à montré que la descendance universaliste et rationaliste critique de Kant était encore bien vivante et pratique.
Je voudrais tenter de cerner ici les rapports entre les problématiques du sujet chez Kant et chez Habermas, pointer les continuités et les ruptures, ou, plus exactement montrer comment Habermas restructure la philosophie critique de Kant pour construire sa propre philosophie, comment il opère ce qu’il appelle lui-même une critique immanente de la philosophie critique kantienne, sachant que c’est bien autour du concept de sujet et de celui d’intersubjectivité qui lui est étroitement lié que s’articule la démarche de Habermas. Il ne s’agit pas de couvrir l’ensemble des deux oeuvres. Pour Kant, je m’appuierai sur les trois critiques, tant est-il que ces trois ouvrages sont difficiles à dissocier l’un de l’autre. Pour Habermas, je m’en tiendrai à « Connaissance et intérêt » qui résume, à mon avis, l’évolution qui conduit Habermas de la théorie critique héritée de l’école de Francfort à la théorie de l’agir communicationnel.

La problématique du sujet chez Kant

Le rapport sujet-objet

La pensée de Kant marque une rupture dans l’histoire de la philosophie parce qu’elle pose comme une énigme ce qui semblait aller de soi jusque alors. Pour reprendre l’expression de Karl Jaspers (in « Kant » - Edition UGE):
Le rapport entre le sujet et l’objet, cette énigme auprès de laquelle s’écoule notre vie, passant outre comme ont passé outre les millénaires. (p.23)
Jaspers insiste. L’élément neuf dans la pensée de Kant, c’est que :
Il met en question ce qui jusqu’alors passait pour aller de soi, la réalité du rapport entre le sujet et l’objet. (p.24)
La réponse rationaliste était : il y a forcément accord parce que c’est l’esprit lui-même qui engendre la connaissance et qu’une pensée nécessaire et aussi une pensée réelle. (p.25)
Or Kant met en cause cette solution en questionnant le rapport sujet-objet lui-même. La solution kantienne peut être explicitée ainsi :
Nous pouvons connaître toutes les choses du monde parce que nous les avons produites, non sans doute quant à leur existence (car il faut au contraire qu’elles aient été données), mais quant à leur forme. (page 27)

La révolution kantienne

À partir de là va se déployer la révolution kantienne qui consiste en un double retournement de la philosophie traditionnelle.
Contre la tradition de la vérité comme « adequatio rei et intellectus », Kant que les choses ne peuvent pas être connues en soi, mais seulement à travers une expérience sensible qui est constituée par les catégories pures de l’entendement du sujet. Le sujet n’est pas le miroir de l’ordre du monde ; c’est au contraire lui qui constitue le monde comme objet d’une connaissance possible. Dans la théorie naïve de la connaissance, l’objet se reflète dans le sujet, directement ou indi­rec­tement. La pensée est adéquate à la chose parce que c’est au fond la même que penser et être. Or pour Kant, il n’en est rien. La chose en elle-même est inaccessible et c’est la pensée subjective qui constitue un monde à l’intérieur duquel la vérité peut-être dévoilée. Le monde qui est un donné chez les Grecs (le kosmos) est ici un produit subjectif ; l’unité du monde ne va pas de soi. Elle est l’unité réalisée dans l’aperception transcendantale. De cela découle que la seule chose auquel le sujet puisse accéder comme noumène, c’est-à-dire en dehors tout élément sensible, c’est lui-même, non en tant qu’être soumis aux passions, mais en tant qu’être doué de raison et seulement d’un point de vue pratique.
Contre la philosophie morale traditionnelle qui liait bonheur, vertu et connaissance, Kant affirme la supériorité de la raison pratique sur la raison pure, de la volonté pure sur la connaissance. Avant Kant, le « souverain bien » était le terme du long parcours de la science ; avec Kant, il est maintenant accessible à tous puisqu’il peut être atteint si on agit selon la loi morale (« agis de manière à être digne d’être heureux »).
Cette double révolution est aussi l’affirmation de la causalité par la volonté ou causalité par la liberté qui seule peut remonter, des effets aux causes, à un inconditionné apodictique alors que la causalité naturelle ne permet d’arriver qu’à un inconditionné problématique. À partir du moment où est démontrée la possibilité d’une causalité de la volonté, le question centrale de la philosophie est complètement déplacée. La métaphysique classique cherche à rendre conscient, à faire venir dans la conscience du sujet l’ordre immanent du monde. Mais pour comprendre complètement cet ordre, il faut pouvoir remonter à la cause des causes, ou encore rechercher le moteur immobile. La dialectique kantienne, à travers les antinomies de la raison pure, démontre que cette recherche ne peut pas aboutir. On peut prouver tout aussi rationnellement que le monde a été créé ou qu’il existe de toute éternité. La critique de la raison pure cependant ne peut être réduite à l’idée que toute connaissance vient de l’expérience et que la raison pure ne doit pas outrepasser ces bornes et qu’au fond l’esprit humain doit se limiter à l’entendement.
L’usage de la raison pure est certes négatif puisqu’il est une discipline qui détermine les limites, une discipline qui ne permet pas d’étendre nos connaissances au-delà de ce que nous donne l’expérience, mais sert à prévenir l’erreur. Cependant la raison pure a aussi un usage positif. Kant remplace l’organon aristotélicien par un canon. Kant appelle canon « l’ensemble des principes a priori du légitime usage de certaines facultés de connaître en général ». L’analytique transcendantale est ainsi le canon de l’entendement pur.

La primauté de la raison pratique

Or, dit Kant, il ne peut pas y avoir de canon de la raison dans son usage spéculatif puisque cet usage est « dialectique ». S’il y a un canon de la raison pure, c’est un canon de son usage pratique. Pourquoi la raison est-elle entraînée à quitter son usage empirique, demande Kant ? La réponse est donnée dans la dernière partie de la Critique de la Raison Pure et sera à nouveau développée dans la Critique De La Raison Pratique : à cause d’un intérêt pratique. Kant montre que les objets dont la connaissance conduit à des antinomies dans l’usage spéculatif de la raison (c’est-à-dire la liberté de la volonté, l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu) n’ont qu’un faible intérêt du point de vue spéculatif — c’est beaucoup de fatigue pour peu de résultat et c’est pourquoi la pensée post-kantienne les renverra si facilement dans la poubelle de la « pensée métaphysique » pour se consacrer à ce qui est « positif ». L’intérêt de la connaissance des ces objets est pratique. Or ils ne se situent pas sur le même plan. Ce qui est pratique, c’est tout ce qui est possible par l’usage de la liberté. L’usage de la raison pure est ainsi mu par une finalité qui est le plus souvent soupçonnée, mais n’a pas été clairement énoncée avant Kant, son usage pratique. Hegel suit Kant sur ce dernier point : dans la PH.G. il définit la Raison comme une activité adéquate à une fin ». Et de ce point de vue, la question centrale est celle de la liberté de la volonté.
La Critique de la Raison Pratique développe ce thème. L’inconditionné à partir duquel s’organise l’usage pratique de la raison, c’est la liberté de la volonté, ou la volonté libre. Les deux autres objets problématiques dans la Critique de la Raison Pure (l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu) prennent une importance seconde puisqu’ils sont non des principes, mais des postulats de la raison pratique. Qu’est-ce donc que cette liberté de la volonté ? Dans les Fondements de la Métaphysique des moeurs, Kant fournit une première définition de la liberté : Dans la nature, toute chose agit d’après des lois. Or dit Kant, « Il n’y a qu’un être raisonnable qui ait la faculté d’agir d’après la représentation des lois, c’est-à-dire d’après les principes, en d’autres termes qui ait une volonté »i. Les choses de la nature sont soumises aux lois de manière directe, immédiate, déterminée. En tant qu’il est un être raisonnable, l’homme agit non suivant des lois, mais suivant la représentation qu’il se fait des lois. Cette capacité à repré­senter les lois, c’est la raison elle-même. La raison constitue le sujet puisqu’elle est ce qui lui permet de retourner à soi, de se saisir lui-même comme sujet.
Être sujet, donc, c’est être raisonnable. Kant précise bien : la loi morale est celle à partir de laquelle tout être raisonnable détermine sa volonté. La détermination de ce qu’est le sujet dans la philosophie de Kant n’est pas nettement tranchée : c’est et ce n’est pas l’homme ; c’est l’homme comme être raisonnable fini, mais c’est aussi tout être raisonnable. Il s’agit pour Kant de délimiter clairement l’homme, comme créature naturelle, comme phénomène, dont la connaissance est du domaine de l’entendement et l’homme dans son essence, en tant qu’être de raison. Mais parler de l’essence, c’est encore tordre dans le sens de la métaphysique traditionnelle, ce qu’est véritablement la pensée de Kant. Le sujet kantien n’est pas le sujet individuel de la psychologie, ni le zoon politikon d’Aristote, mais un sujet trans­cendantal, le lieu à partir duquel se trouvent définies les conditions de possibilité de toute connaissance et de toute action rationnelle. C’est bien pourquoi, le sujet intervient peu, directement, sous son nom, dans la philosophie de Kant. Le sujet est ce qui accompagne toute énonciation. Il n’est pas quelque chose, mais ce qui dit le « Je pense » accompagnant toute proposition. Il est une catégorie logique, mais douée d’une puissance propre. C’est donc plutôt la raison qui semble intervenir directement comme une puissance personnalisée. Mais la raison est ce qui caractérise le sujet. Ainsi, en de nombreux passages, là où Kant dit « la raison », on pourrait lire tout aussi bien « le sujet ».
En posant le sujet comme point de départ de la connaissance, Kant renouvelle totalement le dualisme classique du monde sensible et du monde intelligible. Il apparaît ainsi chez Kant une opposition entre le monde sensible qu’on ne peut connaître que par l’expérience et le monde intelligible dans lequel l’être raisonnable se situe par la raison pratique. On pourrait croire ainsi que les limites définies dans la Critique de la Raison pure ont été franchies dans la Raison pratique. Or il n’en est rien. Pour Kant :
Le concept d’un monde intelligible n’est donc qu’un point de vue que la raison se voit obligée d’adopter en dehors des phénomènes afin de se concevoir elle-même comme pratique...ii
L’idée d’un monde intelligible est donc, non quelque chose duquel on peut avoir une connaissance certaine, mais un point de vue nécessaire à la raison. Ou encore comme le dit Kant à plusieurs reprises quelque chose qui présente un intérêt pour la raison. La liberté elle-même n’est qu’une
« supposition nécessaire de la raison dans un être qui croit avoir conscience d’une volonté, c’est-à-dire d’une faculté bien différente de la simple faculté de désirer »iii
Expliquer comment la liberté est possible, c’est dès lors franchir les limites de ce que peut connaître l’homme. Ce serait en effet trouver ce qui est la cause de la liberté, donc la renvoyer au monde de la nature, et donc l’abolir en tant que liberté. L’objet de la Critique de la Raison Pratique, c’est de montrer pourquoi nous posons l’idée de liberté et pourquoi en même temps nous ne pouvons pas la connaître.

Le sujet et la liberté

Donc, qu’on le considère sous l’angle de l’usage spéculatif de la raison pure ou sous l’angle de son usage pratique, le sujet est bien ce qui constitue et le monde sensible (quant à sa forme) et le monde intelligible. Kant dit même quelque chose qui pourrait choquer tout esprit rationaliste : « les lois universelles de la nature ont leur fondement dans notre entendement qui les prescrit à la nature »iv. Pourquoi en est-il ainsi ? Ce n’est pas parce que le sujet est l’esprit qui dans son odyssée parvient au savoir absolu, mais au contraire parce que l’homme possède une raison qui est par nature impuissante à dépasser certaines limites. La liberté, par exemple chez Spinoza ou chez Hegel n’est pas autre chose que la connaissance vraie. Connaître Dieu, parvenir au savoir absolu, telle est dans cette tradition la seule véritable liberté humaine. Chez Kant au contraire la liberté est l’ignorance dans laquelle se trouve l’homme quant aux questions fondamentales de la métaphysique. Ou encore l’homme n’est sujet que parce sa raison est enfermée dans des limites infranchissables. Kant le démontre par l’absurde par la dialectique de la raison pure dans la détermination du concept du souverain bien. Il explique (Dans la Critique De La Raison Pratique Livre II - Chapitre II IX) :
Supposez maintenant qu’elle [la raison humaine] se soit conformée en cela à notre souhait et qu’elle nous ait donné en partage cette capacité de pénétration ou ces lumières que nous voudrions posséder ou que quelques uns s’imaginent réellement avoir en leur possession, quelle en serait la conséquence selon toute apparence ? A moins que notre nature toute entière ne soit en même temps changée, les penchants qui ont toujours le premier mot, réclameraient d’abord leur satisfaction et unis avec la réflexion rationnelle, la satisfaction le plus grande et la plus durable possible, sous le nom de bonheur ; la loi morale parlerait ensuite pour retenir ces penchants dans les limites qui leur conviennent et même pour les soumettre tous ensemble à un but plus élevé n’ayant aucun rapport à aucun penchant. Mais au lieu de la lutte que l’intention morale a maintenant à soutenir avec les penchants et dans laquelle, après quelques défaites, l’âme acquiert cependant peu à peu de la force morale, Dieu et l’éternité, avec leur majesté redoutable, seraient sans cesse devant nos yeux[..]. La transgression de la loi serait sans doute évitée, ce qui est ordonné serait accompli.v
Mais, ajoute Kant, ce monde ordonné serait dépourvu de toute moralité :
la plupart des actions conformes à la loi seraient produites par la crainte, quelques unes seulement par l’espérance et aucune par devoir, et la valeur morale des actions sur laquelle seule repose la valeur de la personne et même celle du monde aux yeux de la suprême sagesse, n’existerait plus. La conduite des hommes [...] serait donc changée en un simple mécanisme où, comme dans un jeu de marionnettes tout gesticulerait bien, mais où cependant on ne rencontrerait aucun vie dans les figures.
Ce n’est évidemment pas une apologie de la sainte ignorance évangélique. Kant fait de la raison et de son exercice la caractéristique essentielle de l’homme. Mais ici on assiste à un retournement décisif : les limites de la raison qui sont posées d’abord négativement, apparaissent ici positivement puisque ce sont elles qui sont fondent le sujet libre et la loi morale. Ce qui est au delà des possibilités de la raison humaine n’est pas un néant, n’est pas un abîme de l’esprit, mais le lieu même de la liberté, le lieu de naissance du sujet. Notons cependant ceci qui différencie nettement Kant de la tradition rationaliste. Chez Descartes la connaissance part du sujet (ego) puisque la certitude que « je suis » est la première connaissance ; chez Kant au contraire on arrive au sujet en partant de l’objet. Chez Descartes, le sujet est défini comme substance pensante. Chez Kant, le sujet n’est pas une substance, il est pas un quoi, mais ce à partir de quoi tout « quoi » peut être pensé. Le sujet kantien est un « qui ».
Cependant, Kant ne s’intéresse pas uniquement à ce sujet transcendantal. L’homme est toujours considéré de manière double, comme noumène et comme phénomène, comme être raisonnable et comme moi pathologique, c’est-à-dire soumis aux passions.
La nécessité naturelle qui ne peut subsister conjointement avec la liberté du sujet, dépend simplement des déterminations de la chose qui est soumise aux conditions du temps, par conséquent uniquement des déterminations du sujet agissant comme phénomène.vi
[...]
Mais le même sujet ayant d’un autre côté, conscience de lui-même comme d’une chose en soi considère aussi son existence en tant qu’elle n’est pas soumise aux conditions du temps, et se regarde lui-même comme pouvant être déterminé seulement par des lois qu’il se donne par sa raison elle-même.vii

L’intersubjectivité

Cette dualité présente des difficultés. Si les hommes possèdent des connaissances provenant de la sensibilité, qu’est-ce qui va permettre l’objectivité de ces connaissances ? Kant consacre une partie de l’analytique des principes à la réfutation de l’idéalisme façon Berkeley. On sait aussi que, dans sa structure, la « critique de la raison pure » est très largement organisée comme une polémique avec ce que Kant appelle le scepticisme de Hume. La garantie de l’objectivité des connaissances réside dans le fait que les principes de l’entendement pur sont les principes a priori de toute expérience possible. Ces principes a priori qui sont propres au sujet transcendantal permettent d’expliquer l’objectivité des connaissances. La communication est possible, mais médiatisée par l’unité des principes de la connaissance.
Cependant, dans cette structure un homme ne peut pas connaître un autre homme comme sujet. Il ne le connaît que comme phénomène, situé dans l’espace et le temps. Dans la Critique La Raison Pratique, la communication entre les hommes est médiatisée par la loi morale qui nous enjoint d’agir vis à vis des autres êtres raisonnables en les prenant non comme moyens, mais comme fins en soi. La communication dans la raison pratique est une communication idéale qui repose sur la supposition d’une communauté des fins. Dans les deux cas, la communication entre les hommes est une communication indirecte.
Or cette séparation entre les deux usages de la raison et les deux modes de communication entre les hommes pose problème. Car, comme le dit Kant,
l’entendement et la raison ont deux législations différentes sur un seul et même territoire de l’expérienceviii
Il y a certes un abîme entre le domaine du concept de la nature et celui du concept de liberté. Pourtant il faut que le dernier puisse influencer le premier :
Le concept de liberté doit rendre réel dans la fin imposée par ses lois.ix
Kant est bien conscient donc que sa morale, telle qu’elle est définie dans la Critique de la Raison Pratique et dans les FMM n’est pas entièrement satisfaisante et qu’elle peut prêter à la critique, selon la célèbre formule qui dit que Kant à les mains pures, mais qu’il n’a pas de mains. Il lui faut donc trouver un fondement à l’unité du suprasensible qui permette de le passage de la manière de penser du domaine du concept de la nature à celui du concept de la liberté.

La faculté de juger

C’est précisément le rôle que va remplir la critique de la faculté de juger, que Kant présente comme le moyen d’unir les deux parties de la philosophie. C’est la faculté de juger esthétique qui l’axe de la démarche kantienne car c’est elle qui fournit le modèle, le prototype de toute communication intersubjective directe. Le jugement de goût, dit Kant, n’est qu’esthétique, il est sans concept et ne porte que sur le rapport du sujet avec l’objet, mais en même temps il est nécessairement lié à la prétention à une universalité subjective. Il n’y a pas de détermination objective du goût, qui permettrait que tous les hommes soient d’accord pour dire que telle ou telle chose est belle. Mais un jugement de goût n’est considéré comme portant sur le beau (et non sur l’agréable) que s’il se pose comme un jugement universel qui pourrait être partagé par tous les êtres raisonnables.
Or cette universalité intersubjective du jugement esthétique n’est seu­lement quelque chose qui reste confiné au domaine étroit du jugement esthétique. Kant montre que la communication universelle des connaissances et des jugements est indispensable si on ne veut retomber dans le scepticisme. Or, écrit-il :
Si des connaissances doivent pouvoir être communiquées, il faut aussi que l’état d’esprit, c’est-à-dire l’accord des facultés représentatives en vue d’une connaissance en général [...] puisse être communiqué universellement ; sans cet accord en tant que condition subjective de l’acte de connaître, la connaissance considérée en tant qu’effet ne saurait se produire.x
L’analytique du beau et du sublime montre ce caractère des jugements esthétiques comme condition subjective de toute connaissance. Kant présente l’exercice de cette faculté de juger comme une propédeutique de la raison :
Toutes deux [les définitions du beau et du sublime], en tant que définitions de jugements esthétiques universellement valables, se rapportent à des principes subjectifs d’une part en relation avec la sensibilité, dans la mesure où elle favorise l’entendement contemplatif, d’autre part en opposition à la sensibilité, de par leur rapport aux fins de la raison pratique, et sont toutefois unies en un même sujet et possèdent un caractère final en relation au sens moral. Le beau nous prépare à aimer quelque chose d’une façon désintéressée, même la nature, et le sublime à l’estimer contre notre intérêt sensible.
On peut décrire ainsi le sublime : c’est un objet de la nature qui prépare l’esprit à penser l’impossibilité d’atteindre la nature en tant que présentation des Idées.xi
Mais ce n’est pas seulement une propédeutique. Si le plaisir pris à la beauté est le plaisir de la simple réflexion, l’universalité postulée du jugement esthétique permet de
définir le goût par la faculté de juger ce qui rend notre sentiment, procédant d’une représentation donnée, universellement communicable sans la médiation d’un concept..xii
Autrement dit, la faculté de juger esthétique et la faculté de communiquer directement avec les autres hommes sont une seule et même faculté. Le rôle social du jugement esthétique est nettement souligné :
Le beau n’intéresse empiriquement que dans la société ; et si l’on admet que la tendance à la société est naturelle à l’homme, mais que l’aptitude et le penchant pour la société, c’est-à-dire la sociabilité, sont nécessaires à l’homme en tant que créature destinée à vivre en société et constituent une propriété appartenant à l’humanité, on ne peut manquer de considérer le goût comme une faculté de juger ce qui permet de communiquer même son sentiment à tout autre et par conséquent comme un moyen de réaliser ce qu’exige l’inclinaison naturelle de chacun.xiii
Ou encore ceci qui donne le sens de l’art :
La forme agréable qu’on donne à l’oeuvre n’est que le véhicule de la communication.xiv
Il n’y a pas, dit Kant, de principe objectif du goût — ce que montre l’antinomie du jugement esthétique — et le principe du goût est seulement un principe subjectif, c’est-à-dire une Idée indéterminée du suprasensible qui est en nous.
A côté de la faculté de juger esthétique, Kant découvre une autre faculté : la faculté de juger téléologique. C’est la faculté qui consiste à soumettre les phénomènes de la nature à des causes finales. Kant semble soulever dans cette deuxième partie de la CFJ une problème essentiellement épistémo­logique puisqu’il concerne au premier abord les différences entre la causalité mécanique des sciences physiques et la conception de la causalité qui doit être mise en oeuvre en ce qui concerne les êtres organisés, problème qui est encore d’actualité. Quand Kant dit que :
Pour parler en toute rigueur, l’organisation de la nature n’a rien d’analogue avec une causalité quelconque connue de nous.xv
il est au plus près des problèmes qui sont ceux de la science actuelle. Mais c’est d’autre chose que d’épistémologie qu’il s’agit. Kant pose le concept de causes finales comme un fil directeur. Cette causalité ne s’oppose pas à la causalité mécanique, mais permet de découvrir de nouvelles connaissances sur la nature. Kant pose ainsi la question :
Il s’agit donc seulement de savoir si ce principe n’a qu’une valeur subjective, c’est-à-dire n’est qu’une simple maxime de notre faculté de juger, ou s’il est un principe objectif de la nature d’après lequel il reviendrait à celle-ci, outre son mécanisme (d’après de simples lois du mouvement), encore une autre sorte de causalité...xvi
La réponse à cette question est sans équivoque :
le concept d’une fin naturelle suivant sa réalité objective n’est pas démontrable par la raison (c’est-à-dire : il n’est pas constitutif pour la faculté de juger déterminante et il est simplement régulateur pour la faculté de juger réfléchissante).xvii
La question de savoir s’il y a une finalité dans la nature ou si on doit supposer une intention dans les phénomènes d’organisation est une question indémontrable. L’idée d’une finalité est soulevée par les besoins de la raison de la raison qui cherche l’inconditionné, mais elle est immédiatement restreinte au sujet seulement par l’entendement qui, comme dit Kant, « ne peut pas aller du même pas que la raison ».

Toutefois ajoute Kant, cette restriction est faite

d’une manière universelle à tous les sujets de cette espèce, c’est-à-dire à la condition que, d’après la nature de notre faculté de connaître (humaine) ou même en général d’après le concept que nous pouvons nous faire de la faculté d’un être raisonnable fini en général, on ne puisse et on ne doive penser autrement, sans toutefois affirmer que le fondement d’un tel jugement se trouve dans l’objet.xviii
Il est inutile de développement ici la longue discussion que Kant conduit concernant le rapport entre la téléologie et la science, discussion qui conduit d’une part à valider la recherche des causes mécaniques comme seule méthode scientifique et d’autre part à sauver la téléologie comme propédeutique à la morale et à la théologie. Notons seulement ceci : la téléologie est ce qui rend l’homme capable de concevoir le règne des fins. Mais ce règne des fins n’est pas autre chose que la réalité d’une communauté humaine d’où est exclue la violence et où la communication entre les sujets s’établit sur un mode rationnel.

Conclusions sur Kant

Kant présente la faculté de juger comme un « moyen terme entre l’entendement et la raison ». Mais l’exposition de la critique de la faculté de juger va beaucoup plus loin que cela. Sans cette faculté de juger réfléchissante, unissant le jugement esthétique et le jugement téléologique, l’homme ne disposerait pas des conditions subjectives de la connaissance, ou encore les connaissances objectives que nous pouvons acquérir sont fondées sur la puissance subjective.
Si donc nous essayons de résumer, à partir des questions pointées ici, la problématique du sujet chez Kant dans la philosophie critique, nous pourrions souligner les articulations suivantes :
  1. La difficulté fondamentale est la relation sujet-objet. C’est autour de l’élucidation de cette difficulté que s’organise la philosophie critique qui renverse la conception traditionnelle de la philosophie. Il est cependant un peu trop schématique de poser le kantisme comme un renversement absolu. Lucien Goldmann montre bien comment la révolution copernicienne de Kant s’inscrit pleinement dans le courant culturel du rationalisme de Descartes, Spinoza, Leibniz...
  2. En renonçant à la connaissance des grandes questions métaphysiques dont nous pouvons seulement nous former une idée, Kant dégage en même temps l’espace qui fait du sujet le point central de la philosophie. La connaissance, la vérité ne sont pas des choses données qu’il faut découvrir, mais des productions de l’activité cognitive humaine.
  3. Le sujet n’est pas un sujet absolu, mais un sujet limité, déterminé par la condition humaine. En tant que sujet transcendantal, il est raison, mais il n’est que raison limitée parce qu’il est un sujet humain. Autrement dit si la connaissance de la chose n’est jamais la chose elle-même reflétée dans l’esprit humain, c’est parce que le sujet est défini chez Kant fondamentalement comme manque, comme limitation, négativement. Le sujet, c’est ce lieu situé au delà des limites de l’entendement. Chez Descartes, le moi, l’ego est une substance dont l’attribut est la pensée. Kant, à la différence de Descartes ne pose pas le sujet comme substance. Le sujet est manifesté par ses facultés : le sujet est celui qui dispose des facultés de connaissances.
  4. Sous peine de donner prise au scepticisme, on doit pouvoir poser les conditions de la communication entre sujets. Formellement la possibilité des jugements syn­thé­tiques a priori et la possibilité de l’exercice a priori de la raison pratique ont été démontrée. Mais matériellement, non dans le cas général d’un sujet transcendantal abstrait, mais dans le cas d’un sujet humain, c’est-à-dire fini, l’exercice de cette raison repose sur la communication intersubjective dont le modèle est donné par le jugement esthétique.
  5. Ce qui est posé d’abord comme limitation du sujet, manque, se trouve maintenant chargé d’une connotation positive. Le manque dans la puissance de l’entendement est aussi la liberté du sujet. L’homme est l’être capable de poser lui-même, arbitrai­rement dit même Kant, ses propres fins. Or la fin pour l’homme, c’est l’homme lui-même. La raison pratique impliquait que l’action morale soit accomplie sans finalité. Avec le jugement téléologique, Kant réintroduit la finalité dans l’action pratique : nous sommes capables d’envisager l’action dans la perspective d’un règne des fins, déter­miné librement.
La pensée de Kant est presque obsédée par la recherche des conditions qui rendent une connaissance objective possible. Donc la possibilité transcendantale d’énoncer des assertions vraies, indépendamment de qui les énonce. L’effort kantien est tendu contre le scepticisme de Hume — ou ce que Kant appelle de ce nom —, mais cet effort conduit à faire de l’intersubjectivité le fondement de tout discours rationnel. Comme le dit Philonenko, c’est l’intersubjectivité qui se trouve constituer le couronnement et l’unité de toute la philosophie critique.

Habermas : critique immanente de Kant

Habermas s’inscrit d’abord dans la tradition l’école de Francfort ou de la théorie critique. Il s’agit, pour cette école, représentée par Adorno, Horkheimer ou Marcuse, de refuser le marxisme dogmatique tel qu’il s’est imposé dans les partis ouvriers social-démocrates ou communistes, pour mettre en œuvre une lecture de Marx qui fait du marxisme une théorie critique, c’est-à-dire non une philosophie positive, mais une mise en cause de toutes les philosophies et idéologies sous-jacentes aux sciences humaines. C’est déjà, bien que de manière pas toujours explicite, ce que Habermas appellera, d’une expression quelque peu pléonastique, l’auto-réflexion. Parmi les autres origines de la philosophie de Habermas, il faut citer Max Weber, dont l’influence sur l’école de Francfort ou sur le jeune Lukacs était déjà nette. On peut aussi citer le kantisme de l’austro-marxisme, incarné surtout par Max Adler sur le plan philosophique, ou encore par Otto Bauer en sociologie et en histoire.
Habermas se sépare cependant assez vite des théoriciens de l’école de Francfort. Alors que Adorno et Horckheimer, dans la « Dialectique de la Raison » exprimaient un point de vue pessimiste sur les développements de la rationalité occidentale, Habermas se donne l’objectif de reconstruire cette rationalité globalement, non comme un Logos transcendant, mais comme l’activité de la communication intersubjective.

Le but de Habermas : science et critique

Comme Kant, Habermas se pose, tout au long de son œuvre, la question des conditions de possibilité de l’exercice de la raison et la question du degré ou du mode de validité des énoncés et tout comme Kant, il a posé la question centrale des liens entre la raison théorique et la raison pratique. Mais il ne s’agit pas simplement d’une reprise ou d’un retour à Kant. Une des conséquences possibles du kantisme est le positivisme ou le scientisme : la critique de la raison a, au fond, validé la démarche mise en oeuvre par la physique moderne depuis Galilée et Newton. La physique mathématique est précisément cette science qui organise l’expérience sensible à partir des conditions a priori de la sensibilité et qui écarte comme « métaphysique » ou comme « spéculatif » tout ce qui sort de ce cadre. Kant, réduit à l’analytique transcendantale, peut être interprété dans le sens du positivisme moderne. Habermas s’oppose radicalement à cette lecture. Il s’agit pour lui d’abord de mettre en cause le positivisme, la croyance aveugle en une rationalité absolue et indiscutable des sciences de la nature en les ramenant à leurs conditions humaines de production. Dans La technique et la science comme idéologie, il montrait les liens entre technique, science et systèmes de légitimation dans le capitalisme tardif (« Spätkapitalismus »).
Le problème fondamental posé est celui de la légitimation et du rôle de la science dans les nouveaux procédés de légitimation. C’est un thème que J.H. reprendra avec « Connaissance et intérêt » et la nécessaire autoréflexion de la science qui se place donc au sommet la théorie critique. La rationalité de l’ac­tivité sociale (qui est censée être explicitée par les sciences de l’homme) tend à généraliser dans l’activité humaine un modèle issu des sciences de la nature.
Dans la mesure même où la science et la technique s’introduisent dans les sphères institutionnelles de la société et où, par là, elles transforment les institutions elles-mêmes, les anciennes légitimations se trouvent détruites. La sécularisation et la désacralisation des images du monde orientant l’action, voire la tradition culturelle dans son ensemble, sont la contrepartie d’une « rationalité » croissante de l’activité sociale.xix
Autrement dit, les anciens systèmes de légitimation qui étaient visiblement tels sont remplacés par des systèmes de légitimation qui se présentent sous la forme « objective » de la science. Habermas relie cette transformation à la nature même de l’organisation sociale :
Ainsi que l’ont proposé Marx et Schumpeter, chacun à sa manière, le mode de production capitaliste peut être compris comme un mécanisme qui garantit un élargissement des sous-systèmes d’activité rationnelle par rapport à une fin, ébranlant ainsi la prééminence traditionnelle du cadre institutionnel par rapport aux forces productives.xx
Et donc
Ce n’est qu’avec le mode de production capitaliste que la légitimation du cadre institutionnel peut être directement liée au système du travail social. C’est seulement alors que le statut de la propriété, de rapport politique qu’il était devient un rapport de production, car il trouve sa légitimation dans la rationalité du marché et non plus dans un statut de domination légitime en soi.xxi
La détermination du mot « idéologie » lui-même est liée à ce stade historique.
Ce n’est qu’alors qu’apparaissent les idéologies au sens étroit du terme. Elles remplacent les légitimations tradi­tionnelles de la domination en même temps qu’elles se présentent en se réclamant de la science moderne et en se justifiant en tant que critique de l’idéo­logie. Les idéologies sont indissociables de la critique de l’idéologie. En ce sens, il ne saurait y avoir des idéologies « pré-bourgeoises ».xxii
Ainsi s’impose la nécessité d’une approche critique de la science, de ce que Habemras une « autoréflexion ». Dans Connaissance et Intérêt, Habermas va s’attaquer non simplement à la manière dont la science et la technique sont mises à l’œuvre dans le cadre social contemporain, mais à la logique et à la méthodologie même des sciences de la nature aussi bien que des sciences humaines. Dans un texte de 1965 publié sous le même titre, Habermas dégageait déjà son objectif :
...tant que la philosophie reste prisonnière de l’ontologie, elle succombe elle-même à un objectivisme qui tient cachée la solidarité existant entre la connaissance philosophique et l’intérêt pour une pensée émancipée.xxiii
Le refus de l’ontologie et de l’objectivisme va constituer la trame de la pensée de Habermas qui se définit aujourd’hui comme une pensée « post-métaphysique » et construit sa philosophie du sujet en refusant en même temps la métaphysique du sujet de la philosophie classique. Et pour ce faire il reviendra toujours au lien avec le criticisme kantien.

Connaissance et Intérêt

C’est donc bien à partir de l’explication kantienne fondamentale de « l’intérêt pour la raison » que Habermas fonde la philosophie comme pensée émancipée. En effet, à partir du moment où la raison pure spéculative est rendue problématique, la question de la légitimation de la pensée rationnelle se trouve posée de façon très aiguë.
Examinons la démarche de Habermas à partir de la critique de Kant. Le but de « Connaissance et Intérêt » (« Connaissance et intérêt ») est un examen critique du positivisme et le développement de l’autoréflexion des sciences. Cette tâche s’impose pour Habermas, car après Kant la science n’a plus jamais été pensée sérieusement. La théorie de la connaissance, qui recueille l’héritage de la philosophie première, est devenue une théorie de la science, c’est-à-dire, dit Habermas, une « méthodologie pratique dans l’autoconception scientiste des sciences. »xxiv
Dans ce texte est posé d’abord le problème d’une critique immanente de Kant. Habermas part de la critique de Kant par Hegel et constate que cette critique n’est pas une critique immanente puisqu’elle a des présuppositions qui se situent hors du champ de la philosophie critique. Habermas reprend différemment la critique de Kant. Il met en évidence les présuppositions de la théorie de la connaissance, savoir :
  1. un concept normatif de la science (dans la Critique de la Raison Pure, c’est la physique mathématique qui fournit de la prototype de toute science) ;
  2. un concept normatif du moi. Habermas note :
Hegel voit que la critique kantienne de la connaissance commence par une conscience qui n’est pas transparente à elle-même.xxv
  1. la distinction entre raison théorique et raison pratique.
Mais précisément la critique hégélienne manque son but, parce que
le prétention qu’élève la réflexion rationnelle contre la pensée abstraite de l’entendement est synonyme de l’usurpation du droit des sciences indépendantes par une philosophie qui se présente, après comme avant, comme science universelle.xxvi
C’est pourquoi, dit Habermas, dans la mesure où la critique immanente du kantisme n’a pas pu être menée, le positivisme a pu ensuite se développer. Dans une première phase, Habermas va donc chercher le dépassement du kantisme en gardant les acquis de la philosophie critique dans le travail de Marx. Commentant la première thèse sur Feuerbach, Habermas écrit :
l’activité objective acquiert alors le sens spécifique d’une constitution d’objets qui, comme objets naturels, partagent avec la nature le moment de l’être-en-soi, mais portent en eux-mêmes le moment de l’objectivité produite qu’ils tiennent de l’activité humaine. Marx conçoit l’activité objective d’une part comme réalisation transcendantale ; à cette activité correspond la constitution d’un monde, dans lequel la réalité se soumet à des conditions qui permettent l’objectivité d’objets possibles. D’autre part, Marx voit cette réalisation transcendantale fondée dans des processus réels de travail. Le sujet de la constitution du monde n’est pas une conscience transcendantale en général, mais le genre humain concret...xxvii
La synthèse qui est dans la théorie kantienne de la connaissance l’acte essentiel — toute la critique vise à énoncer les conditions de possibilité de production de jugements synthétiques a priori — « n’apparaît plus désormais comme une activité de la pensée, mais comme une production matérielle. » Ce qui exclut tout lecture de Marx comme un « naturalisme plat ». Habermas tente de penser le matérialisme histo­rique à partir d’une lecture matérialiste de la philosophie critique ou d’une interprétation kantienne de Marx. Ainsi pousse-t-il la comparaison entre Kant et Marx ; ainsi la nature au sens de Marx est-elle mise en corrélation avec la chose-en-soi kantienne :
Bien que nous devions, du point de vue de la théorie de la connaissance, pré­supposer la nature comme étant en soi, nous n’avons nous-mêmes accès à la nature qu’à l’intérieur de la dimension historique ouverte par les processus de travail, dimension dans laquelle la nature sous une forme humaine se médiatise avec la nature en tant que nature objective qui forme la base et l’environnement du monde humain.

Autrement dit

La chose en soi kantienne réapparaît au titre d’une nature précédant l’histoire humaine..xxviii
À partir de cette mise en relation systématique de Kant et Marx, Habermas peut faire ressortir ce qui selon lui constitue la différence spécifique qui concerne chez Kant l’ac­tivité de la conscience en général alors que chez Marx il s’agit d’activité instru­mentale de l’homme manipulant des outils.
La synthèse de la matière de l’intuition par l’imagination reçoit son unité nécessaire à travers les catégories de l’entendement. En tant que purs concepts de l’entendement, ces règles transcendantales de synthèse sont un inventaire interne et invariable de la conscience en général. La synthèse de la matière du travail par la force de travail reçoit son unité effective à travers les catégories de l’homme mani­pulant. Comme instrument dans la plus large acception, ces règles techniques de la synthèse prennent une existence sensible et appartiennent à l’inventaire historiquement variable des sociétés.xxix
Mais cette différence spécifique, telle que Habermas la conçoit, montre en même temps comment la « conception matérialiste d’une synthèse par le travail social » s’inscrit dans le mouve­ment de la pensée qui commence avec Kant. Habermas distingue ainsi chez Marx :
  • un moment kantien : concept d’une synthèse par le travail social développé par une théorie instrumentaliste de la connaissance.
  • un moment non-kantien qui renvoie à Fichte : production de l’espèce humaine par elle-même à travers une histoire.
Habermas cependant n’accepte pas telle quelle cette « conception matérialiste ». Il reproche à la conception marxienne de réduire, du point de vue de la théorie de la connaissance, l’histoire humaine à l’activité productrice et ainsi de ne pas donner un cadre de référence permettant de penser l’interaction, la communication entre les individus et de donc réduire de fait la réflexion ou la critique au statut des sciences de la nature. Ce qui n’empêche par Marx de distinguer soigneusement sujet et objet, le contrôle conscient de soi effectué à l’échelle social et ce qui ressort de la régulation automatique d’un processus de production.
Habermas ne met pas en cause les recherches matérielles de Marx, qui, dit-il, « fait toujours fond sur une pratique sociale qui comprend le travail et l’interaction »xxx. Mais il estime que le cadre théorique dans lequel est pensée la conception matérialiste de l’histoire est trop étroit pour son objet. Ce qui conduira Habermas dans un premier temps à vouloir effectuer une reconstruction du matérialisme historique (cf. »Après Marx ») puis dans un deuxième temps à créer sa propre terminologie et sa propre conception des sciences sociales avec la Théorie de l’agir communicationnel.
Revenons à « Connaissance et intérêt » : Habermas distingue donc deux niveaux ou deux points de vue dans la conception des sciences sociales. Le sujet interprète la nature et d’interprète lui-même selon ces deux modalité :
  1. l’activité instrumentale : elle correspond à la contrainte de la nature extérieure.
  2. l’activité communicationnelle : elle correspond à la répression de la nature intérieur de chacun.
L’émancipation du sujet n’est donc possible qu’en fonction de ces deux modalités. À la première correspond la disposition technique de la nature (ou encore la croissance des forces productives), donc à la croissance d’un savoir techniquement exploitable. À la deuxième correspond une organi­sation des échanges sociaux liée uniquement à une communication exempte de domination. Pour résumer on pourrait ainsi schématiser la vision d’Habermas telle qu’elle se présente dans « Connaissance et intérêt » :
Contrainte naturelle
Contrainte sociale
Savoir technique exploitable
Activité communicationnelle sans domination (rationalité)
Sciences de la nature
Réflexion
Progrès technico-scientifique
Processus social
Forces productives (en termes marxistes)
Rapports sociaux (en termes marxistes)
Notons que la dernière ligne du tableau n’est qu’une approximation. Pour Habermas en effet la dialectique des forces productives et des rapports sociaux de production reste vaine tant que n’est pas éclaircie la synthèse de l’homme et de la nature qui est, du point de vue marxiste, conçue exclusivement en terme de production.
Les deux colonnes du tableau pourraient fort bien être rattachées à la dichotomie kantienne entre entendement et raison pratiquexxxi. Les grandes divisions de la philosophie critique peuvent se retrouver avec un système de correspondances dans la philosophie de Habermas.
Kant
Habermas
Raison pratique
Activité communicationnelle sans domination (rationalité – savoir herméneutique)
Entendement
Savoir techniquement exploitable (ou savoir nomologique)
Sujet transcendantal
Sujet empirique social
Synthèse a priori
Synthèse pratique sociale
Pour mieux appréhender ces correspondances, mais aussi les différences spécifiques, analysons l’important chapitre IX de « Connaissance et intérêt » intitulé « Raison et intérêt : Retour sur Kant et Fichte ».
Dans ce chapitre, Habermas explicite ses positions par rapport à celles de Kant ; il s’agit en particulier d’assurer le passage du sujet transcendantal kantien au sujet « espèce humaine » et d’en tirer les conséquences quant à la logique des sciences. Il montre que la logique et les règles métho­dologiques des « sciences morales » (ou « sciences hermé­neutiques »), aussi bien que des sciences de la nature (ou encore « empirico-analytiques » ou « nomologiques ») n’ont plus le statut de règles transcen­dantales pures, mais proviennent des milieux de vie factuels. Donc on doit comprendre la constitution de ces sciences à partir de « conditions de vie fonda­mentales » qui « forment un ensemble d’intérêts par rapport auquel se mesure le sens de validité des énoncés qui peuvent être obtenus »xxxii au sein des systèmes formés par les règles de ces sciences. Habermas refuse la réduction naturaliste du concept d’intérêt.
J’appelle intérêts les orientations de base liées à certaines conditions fondamentales de la reproduction et de l’autoconstitution de l’espèce, c’est-à-dire au travail et à l’interaction.xxxiii
La notion d’intérêt est donc liée directement au processus de constitution du sujet comme tel. Nous avons vu que Kant utilise cette notion ou ce concept d’intérêt pour la raison. Les Idées ne peuvent être connues et présentent un intérêt spéculatif faible, mais présentent dit Kant un intérêt pratique en ce que précisément elles fondent le sujet comme sujet libre, ce qui rend possible la recherche de l’autonomie. Habermas reprend ce concept, mais en en transposant complètement le cadre. L’intérêt pour la raison est chez Habermas un intérêt de connaissance émancipatoire. Chez Kant, l’intérêt vise notre faculté de désirer. Mais l’intérêt se présente sous deux formes :
Intérêt pur ou pratique
Intérêt empirique ou pathologique
pris pour l’action
pris pour l’objet de l’action
éveille un besoin
provient d’un besoin
Inclination intellectuelle
inclination sensuelle
Or ce concept d’intérêt pose un problème global d’interprétation du trans­cen­dantalisme kantien. Kant attribue une cause à l’exercice de la raison dans la faculté de désirer. Il est clair ainsi que le sujet n’est pas seulement transcendantal et qu’il ne peut plus est simplement considéré comme une instance logique — ce que est pourtant un peu souvent dit dans les lectures rapides de Kant —, mais que le sujet est l’homme empi­rique mu par la faculté de désirer. Il faut dit Kant, que la raison ait la faculté d’inspirer un sentiment de plaisir. Selon Habermas, cette inter­férence de la sensibilité dont dépend le sentiment de plaisir, et de la raison « fait éclater le cadre de la logique trans­cendantale. »xxxiv Que le plaisir procuré par la raison soit un plaisir pur ne change rien à l’affaire. On ne détache l’intérêt pour la raison des mobiles purement factuels qu’en intro­duisant dans la raison elle-même un moment de facticité. Le sentiment moral fait le lien entre la sensibilité et la raison et doit ainsi revendiquer le rôle d’expérience trans­cen­dantale. Car « l’intérêt qui nous pousse à obéir aux lois morales est engendré par la raison et il est cependant un fait contingent qui ne peut pas être admis a priori. »xxxv Voici donc une philosophie transcendantale dont les déterminations ne sont pas entièrement indé­pendantes de l’expé­rience, ce qui est une contradiction logique, puisque est trans­cen­­dantale « toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets, mais sur notre manière de les connaître, en tant que cela est possible a priori. »xxxvi Ces contradictions sont particulièrement claires quand on étudie la « Critique de la Faculté de juger » : Kant y présente cette faculté comme la faculté intermédiaire qui assure l’unité des facultés du sujet, mais uniquement subjectivement. Le tableau qui conclut l’introduction est le suivant :
Facultés de l’âme dans son ensemble
Facultés de connaissance
Principes a priori
Application
Facultés de connaître
Entendement
Conformité à la loi
Nature
Sentiment de plaisir et de peine
Faculté de juger
Finalité
Art
Faculté de désirer
Raison
But final
Liberté
Mais la raison ne s’exerce effectivement que mise en route par le sentiment de plaisir. Donc l’ordonnancement de ce tableau ne correspond pas à la hiérarchie des facultés telle que Kant la développe dans le corps du texte qui suit cette introduction.
La critique de Habermas met clairement en évidence que la rigueur et la construction triadique de la philosophie critique de Kant ne sauraient dissi­muler les difficultés de l’interprétation du texte même. Habermas reproche à la critique hégélienne de Kant de ne pas être une critique immanente puisque Hegel s’oppose à Kant en présupposant un Savoir Absolu que justement Kant refuse. Au contraire, Habermas reprend à son compte la démarche kantienne en montrant la nécessité de dépasser les contradictions du transcendantalisme tel qu’il est exposé par Kant. Il s’appuie sur Fichte pour opérer ce dépassement. Avec Fichte, il remet en cause la division kantienne car celle-ci ne peut pas expliquer comment une simple pensée qui ne contient en elle-même aucun élément sensible, peut-elle produire une sensation de plaisir ou de douleur. Pour Habermas (après Fichte) cette difficulté provient du fait que Kant a conçu la raison pratique sur le modèle de la raison théorique, au lieu de partir du fondement de toute philosophie qui se trouve dans l’intuition intellectuelle qui concerne non pas un être (Kant refuse en effet l’intuition intellectuelle comme moyen de connaître ce que ne nous est pas accessible par l’expérience), mais une activitéxxxvii. En faisant de la raison pratique le modèle de la raison théorique, la difficulté disparaît. Habermas écrit :
l’intérêt pratique de la raison appartient à la raison elle-même : dans l’intérêt pour l’indépendance du moi, la raison se réalise dans la même mesure que l’acte de la raison comme tel produit la liberté. L’autoréflexion est à la fois intuition et émancipation, compréhension et libération de la dépendance dogmatique.xxxviii
Et Habermas conclut :
Le développement du concept d’intérêt de la raison conduit de Kant à Fichte, du concept d’un intérêt qu’on a pour les actions du libre arbitre et qui est dicté par la raison pratique, au concept d’un intérêt qu’on a pour l’autonomie du moi et qui opère dans la raison elle-même.xxxix
Pour Habermas donc il s’agit d’aller jusqu’au bout de la critique du concept contemplatif de la connaissance, concept qui pose l’intérêt comme un élément extérieur à la connais­sance, un moment étranger à la théorie. Il place au centre de l’activité cognitive la réflexion sur les intérêts qui commandent cette activité (intérêts instrumentaux ou com­mu­nicationnels). Pour Habermas, « c’est en accomplissant l’autoréflexion que la raison se saisit comme raison intéressé.xl » Autrement dit les conditions de l’objectivité de la connaissance sont réunies à partir du moment où la connaissance est complè­tement ramenée, dans toutes ses dimensions à l’activité du sujet vivant.
C’est pour cette raison que Habermas va se tourner vers le pragmatisme. Cette philosophie en effet détermine clairement et consciemment ses critères de valadité à partir des intérêts de la raison. L’analyse de la pensée de Peirce conduit à ceci :
Peirce a conçu le cadre méthodologique de la recherche et le domaine de l’activité instrumentale dans lequel il s’insère comme des substituts évolutifs de mécanismes d’orientation animaux perdus ou atrophiés.xli
La réinsertion des mécanismes cognitifs et communicationnels dans un processus de l’évolution au sens presque darwinien, c’est quelque chose que Habermas développera dans « Après Marx ». Pour l’instant contentons-nous de noter ce qui importera pour la synthèse que propose Habermas. Il montre que l’intérêt qui commande la connaissance n’est ni un intérêt seulement empirique ni un intérêt pur (Kant). L’intérêt, lorsqu’il est satisfait ne conduit pas à la jouissance, mais au succès. Habermas parle d’un « intérêt qui commande la connaissance et qui vise à la manipulation technique possible. »
Un intérêt de ce genre ne peut être attribué qu’à un sujet qui combine le caractère empirique d’une espèce issue de l’histoire naturelle avec le caractère intelligible d’une communauté constituant le monde à partir de points de vues transcendantaux. »xlii
On a ici les deux éléments de la distinction kantienne ; mais Habermas refuse de les séparer, de les opposer ; l’homme est à la fois phénomène sensible, compréhensible par les sciences nomologiques et il appartient au monde intelligible, sachant que ce monde intelligible n’est pas autre chose qu’une communauté de sujets. C’est le concept d’intérêt qui permet d’unir ces deux types de réalités.
La réflexion de Habermas sur le pragmatisme vise en même temps donc à mettre en évidence les limites de ce pragmatisme tel que Peirce l’avait conçu. L’énonciation de la vérité met en jeu une activité communicationnelle et donc la recherche ne peut être enfermée dans le domaine de l’activité technique instrumentale.
Le concept du moi individuel inclut une relation dialectique entre le général et le particulier qui ne peut pas être pensée dans le domaine où s’exerce l »activité instrumentale.xliii
Le dialogue entre sujets s’annonce ainsi comme la précondition du savoir. La condition de la connaissance, c’est la formation du sujet individuel sur la base de l’intersubjec­tivité. Les chercheurs utilisent pour communiquer entre eux un système de symboles qui médiatisent leur communication ; la connaissance de ces symboles est présuppposée dans l’acquisition d’un savoir techniquement exploitable. Donc « elle ne saurait elle-même être justifiée selon les catégories de ce même savoir. »xliv
Le pragmatisme dans les sciences de la nature ne peut être retenu que si on trouve dans les « sciences morales » un orientation qui ne contredirait pas l’orientation pragmatiste. C’est le rpele que va jouer l’analyse des positions de Dilthey. Pourquoi l’herméneutique peut-elle s’accorder avec le pragmatisme ? Habermas donne une réponse :
La compréhensoin herméneutique n’est que la forme méthodiquement développée de cette réflexivité vague ou de la démi-transparence dans laquelle s’accomplit déjà la vie des hommes vivant une communication et une interaction sociale préscientifiques.xlv
Ancrer la connaissance dans l’intersubjectivité, c’est aussi ancrer la communication entre chercheurs sur non sur un modèle théorique, mais sur la stucture préalable de la compréhension de la pratique quotidienne.
Habermas  reprend la distinction kantienne :
Les sciences herméneutiques sont insérées dans les interactions médiatisées du langage ordinaire comme les sciences empirico-analytiques le sont dans le secteur de l’activité instrumentale.xlvi
Et ce déplacement de la structure kantienne en dehors de l’idéalisme pour la reconstruire dans une optique « matérialiste » est très net dans le passage qui suit :
nous qualifions de pratique l’intérêt commandant la connaissance dans les sciences morales. Il se distingue de l’intérêt de connaissance technique en ceci qu’il ne vise pas à saisir une réalité objectivée, mais à maintenir l’intersubjectivité d’une compréhension entre individus dans le seul horizon de laquelle la réalité peut apparaître comme étant quelque chose.xlvii
L’intérêt, défini ainsi, n’apparait plus comme corruption de la connaissance, mais bien comme condition de toute connaissance possible.
La critique de l’autoconception objectiviste des sciences conduit dans « Connaissance et Intérêt » à poser la psychanalyse comme le seul modèle tangible d’une science qui recourt méthodiquement à l’autoréflexion en ceci que :
  • L’interprétation psychanalytique s’occupe de ces connexions de symboles dans lesquels un sujet se fait illusion sur lui-même.
  • La technique psychanalytique se définit clairement comme une hermé­neutique. C’est une « herméneutique des profondeurs » qui rend le sujet conscient de l’histoire de sa propre formation. Dans son essence donc la psychanalyse est auto-réflexion.xlviii
  • La technique psychanalytique refuse l’objectivation de la maladie, mais bien au contraire le retour au sujet :
Parce que l’analyse exige du patient l’expérience de l’autoréflexion, elle exige aussi une responsabilité morale pour le contenu de la maladie.xlix

Conclusion sur Habermas et Kant

Habermas reprend donc la théorie critique et la concept de réflexion qu’il trouve dans l’idéalisme allemand. Mais il opère un déplacement significatif. Le sujet n’est plus un sujet transcendantal, mais un sujet empirique. Un sujet empirique est pour Kant une contradiction in adjecto puisque l’homme en tant qu’il peut être connaissable par l’expérience sensible est un objet qui est un objet de connaissance des sciences de la nature. Habermas lève cette difficulté en divisant les sciences en sciences nomologiques et sciences herméneutiques. L’anthopologie qui est chez Kant une science appliquée peut ainsi devenir chez Habermas la philosophie elle-même dans ce qu’elle a de plus fondamental. « Connaissance et Intérêt » est ainsi un essai d’ »anthro­pologie matérialiste de la connaissance ». Ainsi l’intersubjectivité qui n’est abordée que dans ses principes et ses conditions a priori chez Kant peut-elle devenir le centre même de la philosophie de Habermas, à travers la Théorie de l’agir communi­cationnel. Dans la science kantienne, ce sont les facultés du sujet qui constituent les con­ditions transcen­dantales de la connaissance. Chez Habermas, c’est l’inter­sub­jectivité qui constitue la condition trascendantale de la formation du sujet.
On peut résumer ainsi les sources à partir desquels Habermas opère sa synthèse :
  • Kant & Fichte : criticisme - penser l’activité cognitive comme activité du sujet constituant le monde.
  • Marx : matérialisme historique - refus d’un sujet transcendantal au profit d’une d’un sujet empirique, l’espèce humaine. Importance de la synthèse par le travail.
  • Peirce : pragmatisme. La vérité scientifique est jugée par ses résultats en fonction d’une fin.
  • Dilthey : herméneutique. Distinction entre « sciences morales » et « sciences de la nature ».
  • Freud : théorie critique ou la possibilité d’une science comme autoréflexion.
Connaissance et intérêt dégage ainsi un terrain qui sera exploité par la suite. L’activité communicationnelle est inséparable de la morale et du droit. Il s’agira donc pour comprendre cette activité communicationnelle de procéder à la recherche de la genèse des structures normatives. Ce qui est le centre de « Après Marx » dans lequel Habermas opère la substitution du concept de « reconstruction » à celui d’autoréflexion.
i"Fondements de la métaphysique des mœurs" page 122
ii"Fondements de la métaphysique des moeurs" page 202
iiiFondements de la métaphysique des moeurs page 203
ivCritique de la faculté de juger page 28
vCritique de la Raison Pratique page 156/157
viPage 103 nbn
viipage 104
viiiCritique de la faculté de juger - préface page 24 (VRIN - édition Philonenko)
ixop.cit. page 25
xCritique de la faculté de juger page 78
xiop.cit. page 105
xiiop.cit. page 129
xiiiop. cit. page 130
xivop. cit. page 143
xvop. cit. page 194
xviop. cit. page 206
xviiop. cit. page 211
xviiiop. cit. page 216
xixLa Technique et la Science comme idéologie - Tel-Gallimard page 4
xxLa technique ... op.cit. page 28
xxiLa technique ... op.cit. page 31
xxiiLa technique ... op.cit. page 34
xxiiiin "La technique ... " op.cit. page 150
xxiv"Connaissance et intérêt" pages 36.37
xxv"Connaissance et intérêt" page 48
xxvi"Connaissance et intérêt" page 56
xxvii"Connaissance et intérêt" page 59
xxviii"Connaissance et intérêt" page 66
xxix"Connaissance et intérêt" page 67
xxx"Connaissance et intérêt" page 85
xxxiLes comparaisons avec Max Weber s'imposent également : Habermas se situe clairement dans la problématique rationalité en vue d'un but et rationalité axiologique.
xxxii"Connaissance et intérêt" page 229
xxxiii"Connaissance et intérêt" page 230
xxxiv"Connaissance et intérêt" page 234
xxxv"Connaissance et intérêt" page 235
xxxviKant Critique de la raison pure page 73
xxxviiOn peut remarquer que la critique de Marx fait au matérialisme ancien est dans sa structure identique à la critique de Kant par Fichte.
xxxviii"Connaissance et intérêt" page 241
xxxix"Connaissance et intérêt" page 242
xl"Connaissance et intérêt" page 245
xli"Connaissance et intérêt" page 169
xlii"Connaissance et intérêt" page 170
xliii"Connaissance et intérêt" page 174
xlivibid.
xlv"Connaissance et intérêt" page 183
xlvi"Connaissance et intérêt" page 209/210
xlvii"Connaissance et intérêt" page 210
xlviiiFreud écrit : "La psychanalyse suit la technique qui consiste autant que possible à faire résoudre ses énigmes par le sujet analysé lui-même."(Introduction à la Psychanalyse page 87)
xlix"Connaissance et intérêt" page 268 - à rapprocher de ce que dit Lacan : L'analye ne peut avoir pour but que l'avènement d'une parole vraie et la réalisation par le sujet de son histoire dans sa relation à son futur." (Fonction et champ de la parole et du langage in Ecrits 1 - Seuil)

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