lundi 27 février 2017

Sur la justice sociale

Partons d’une affirmation assez célèbre en son genre de Friedrich (von) Hayek : « le concept de justice sociale est nécessairement vide et dénué de sens » (dans Droit, Législation et Liberté, 1973) Fondateur de la société du Mont Pélerin et grand prêtre du « néo-libéralisme », F. von Hayek l'a emporté. La « justice sociale » a déserté le champ du discours politique. Tout un pan de la pensée philosophique, d'Aristote à John Rawls en passant par Thomas d'Aquin, Rousseau, Kant et Hegel a été mis hors-circuit. Au moment où les inégalités explosent, où les protections arrachées par les travailleurs au cours de luttes multiséculaires sont balayées par les "réformes" d'un capitalisme devenu absolu, il est impératif de revisiter la pensée de la justice sociale, car il n'y a aucune liberté là où les droits et la dignité des plus pauvres sont bafouées.
Faire la liste des théories de la justice est impossible dans un temps aussi court que celui d’une conférence. On pourrait aussi essayer de faire des typologies pour classer ces différentes typologies. Mais on s’en tiendrait à des abstractions creuses. Je vais essayer (I) de montrer ce qu’est une théorie de la justice ; (II) de montrer les diverses manières d’envisager la question de la justice sociale et (III) d’examiner les limites de cet exercice intellectuel en allant au-delà de la justice sociale.
(I)
On parle de théorie de la justice (pour reprendre l’expression consacrée du livre majeur de John Rawls) quand on cherche à définir les principes selon lesquels une société « bien ordonnée » devrait être gouvernée. Une théorie de la justice est donc toujours une théorie normative. Elle tente de définir rationnellement ce qui doit être – sans préjuger de ce qui est réellement, ce qu’on laissera aux sociologues et aux moralistes. Lorsque Aristote, dans le livre V de L’éthique à Nicomaque définit la justice, il s’agit pour lui de concevoir quelles sont les lois qui doivent gouverner les rapports entre humains à l’intérieur de la cité pour que celle-ci soit véritablement ce qu’elle doit être, le lieu d’une vie heureuse guidée par un choix réfléchi. Bien sûr Aristote n’invente rien. Il s’appuie sur la polis qu’il connaît bien, Athènes, sur sa constitution et sur la conception morale commune qui est celle de cette communauté politique, son ethos. Mais il fixe des principes généraux qui, d’ailleurs, auront une longue descendance, que ce soit dans l’éthique des grands philosophes arabo-musulmans, comme Averroès, dans l’éthique chrétienne telle que la fixera Thomas d’Aquin et au-delà dans une tradition qui irrigue encore la pensée juridique et philosophique contemporaine. Que vise Aristote ? On pourrait le dire avec les mots de Rawls, « une société bien ordonnée ». Qu’est-ce donc qu’une société bien ordonnée ? C’est une société qui « n’est pas seulement conçue pour favoriser le bien de ses membres », mais « est aussi déterminée par une conception publique de la justice. » (Rawls, 1987, 31). Il ne s’agit donc pas d’une réflexion morale sur le juste en soi, mais bien d’une conception publique, c’est-à-dire d’une conception qui peut être partagée par la majorité des membres d’une communauté et à laquelle ils peuvent se référer dans leurs décisions et comportements quotidiens et à laquelle le législateur se référera pour l’établissement des lois. C’est pourquoi la justice, chez Aristote, concerne d’abord la répartition des biens, des positions sociales et des récompenses (ce que l’on appelle la justice distributive), les punitions des délits (la justice corrective) et les règles de l’échange (la justice dite parfois « commutative »), bref l’ensemble des règles de la vie sociale. Cette conception s’est complexifiée dans les sociétés modernes, dans la mesure même où les attributions de l’État se sont étendues. À la justice distributive, on peut lier l’ensemble des lois sociales, des systèmes de protection contre la maladie, l’assurance-vieillesse, etc. La justice corrective elle aussi est devenue plus complexe, prenant d’ailleurs en compte bien des remarques qu’Aristote avait faites et qui restèrent pendant longtemps lettre morte, par exemple sa critique de la loi du talion, la question de la responsabilité, etc. Enfin la justice des échanges renvoie à toutes les réglementations économiques, qui vont de la garantie de la loyauté dans les transactions commerciales au droit du travail.
Il s’agit ici seulement de déterminer des principes, c’est-à-dire de les fonder en raison. Pour Aristote, les choses se présentaient de manière assez simple : il y a une justice « naturelle », une justice qui découle de l’ordre des choses, qui doit trouver ensuite sa concrétisation dans la « justice légale ». Par exemple, il semble naturel pour Aristote que l’on donne à chacun selon son mérite ; mais immédiatement après, il remarque qu’il n’est pas facile cependant de s’entendre sur la définition du mérite ! C’est un point sur lequel je reviens plus loin. Mais si on ne croit pas à l’existence d’une justice naturelle, si l’on pense que les principes du droit et de la législation sont fixés par le contrat social, il semble que soit bonne toute règle qui trouve l’assentiment du pouvoir souverain. Hobbes le dit. « Par bonne loi, je n'entends pas une loi juste, car aucune loi ne peut être injuste. La loi est faite par le pouvoir souverain, et tout ce qui est fait par ce pouvoir est cautionné et reconnu pour sien par chaque membre du peuple : et ce que chacun veut ne saurait être dit injuste par personne. Il en est des lois de la République comme des lois des jeux : ce sur quoi les joueurs se sont accordés n'est pour aucun d’eux une injustice. » (Thomas Hobbes, Léviathan, chapitre XXX trad. Tricaud, Sirey, 1971, p. 370). Cette conception radicalement positiviste pose problème. C’est pourquoi Rousseau et Kant ont tenté, selon des principes assez convergents, de construire des principes de justice que l’on puisse déduire rationnellement d’une opération de pensée – le pacte social originaire chez Rousseau, l’application au droit de l’impératif catégorique chez Kant. Rawls veut donner une justification a priori des principes de justice : ils « sont issus d’un accord conclu dans une situation initiale elle-même équitable ». (Rawls, 1987, 39) Ils sont donc renvoyés à une situation initiale (à la manière des théories du contrat social) entre des partenaires qui seraient « des êtres rationnels qui sont mutuellement désintéressés. » (Rawls, 1987, 40) À la place de la fiction de l’état de nature, Rawls propose une autre fiction, celle du « voile d’ignorance » : les principes de base justes sont les principes qu’adopteraient des individus placés sous le voile d’ignorance, c'est-à-dire des individus réunis pour délibérer, qui connaîtraient les principes de base de l’économie et de la philosophie politique, mais ignoreraient tout de leurs propres avantages. Reprenant certaines hypothèses des théoriciens du choix rationnel en situation d’incertitude, Rawls affirme que ces individus placés sous « voile d’ignorance » adopteraient les principes de sa théorie de la justice parce qu’ils adopteraient la stratégie du « maximin » qui consiste à maximiser la situation la plus défavorable.
Une autre manière d’envisager la construction de la justice sociale est donnée par l’utilitarisme et en premier lieu par Jeremy Bentham dans ses Principes de morale et de législation. Il s’agit pour lui de définir les principes de morale et législation à partir de l’idée presque évidente selon laquelle est bonne toute action qui produit une augmentation du bonheur (ou une minimisation de la peine) pour le plus grand nombre. Cette conception radicalement « collectiviste » du bien a été accueillie avec beaucoup de faveur tant dans les milieux libéraux au sens du libéralisme économique que dans certains milieux socialistes. L’utilitarisme repose sur un calcul des plaisirs et des peines et leur sommation à l’échelle de la société. Elle rompt cependant avec les philosophies issues de Rousseau ou Kant. L’utilitarisme suppose en effet que les droits et intérêts du petit nombre puissent être sacrifiés pour le plus grand bonheur du plus grand nombre. C’est pour cette raison que Rawls rejette radicalement l’utilitarisme.
(II)
Si l’on cherche un point commun entre les différentes théories de la justice (et j’excepte ici l’utilitarisme … encore que …), la question de l’égalité semble essentielle. La justice, c’est l’égalité, dit Aristote. C’est naturel semble-t-il de penser ainsi. Mais il faut ensuite s’accorder : égalité de qui et de quoi ? Aristote ne pose pas du tout l’égalité entre les hommes car pour lui il va de soi que les hommes ne sont pas égaux. Les esclaves ne sont pas égaux aux hommes libres, les femmes ne sont pas les égales des hommes, etc. Mais ce qui définit les citoyens, c’est qu’ils sont des égaux dans l’espace public. La liberté est même définie ainsi : être libre, dit Aristote, c’est être gouverné par des gens du même genre que soi !
L’égalité, chez Rousseau, est la condition même du contrat social. Or cette égalité, chez lui, n’est pas que purement juridique – la fameuse égalité en droit – il est nécessaire qu’il y ait aussi une certaine égalité des conditions et des fortunes. De trop grandes inégalités de fortunes sont incompatibles avec des libertés politiques égales pour tous. Autrement dit, si on veut garantir cette liberté politique égale pour tous, il faut aussi limiter assez sévèrement l’inégalité par ailleurs – Rousseau donne un critère simple : que personne ne soit assez riche pour en acheter un autre, que personne ne soit assez pauvre pour être obligé de se vendre.
Les théories de la justice contemporaines tournent elles aussi autour de cette question de l’égalité. Chez Rawls, la liberté égale pour tous est le principe inviolable. Ronald Dworkin oppose l’égalité des ressources et Amartya Sen l’égalité des « capabilités ».
John Rawls
John Rawls (1921-2002) est un philosophe américain dont les travaux ont profondément renouvelé la philosophie morale et politique dans la dernière partie du XXe siècle et suscité un vaste débat parmi les philosophes et bientôt au-delà chez les économistes, les sociologues et les politiques.
Son ouvrage majeur est la Théorie de la justice, publié en 1971 (Seuil, 1986, réédition en « Points »). La théorie de la justice (TJ) est une tentative de définir les principes d’une société à la fois égalitaire et pluraliste. Il ne s’agit pas de décrire la société existante, mais une société utopique, bien qu’il s’agisse d’une « utopie réaliste » puisque ses présuppositions sont les conceptions morales et politiques des sociétés libérales démocratiques modernes. Rawls propose une théorie d’ensemble qui porte aussi bien sur l’organisation politique que sur le droit. Mais le centre de sa réflexion consiste à déterminer comment et à quelles conditions il est possible de concilier liberté et égalité.
La TJ vise une société bien ordonnée. Dans une telle société, les inégalités de revenus ou de positions sociales ne peuvent dépendre de la loterie naturelle qui distribue les talents, mais doivent être justifiées, si elles sont nécessaires, par les principes de justice – et non pas la règle de l’utilité sociale.
Dans une société bien ordonnée, les participants sont des agents rationnels, poursuivant leurs propres intérêts : ainsi, la TJ est compatible avec le libéralisme traditionnel. Des égoïstes rationnels pourraient accepter les principes de base de la TJ et, a fortiori, des êtres altruistes le feraient aussi. L’objet de la TJ est la détermination de la structure de base de la société, c'est-à-dire un ensemble d’institutions sociales formant un système cohérent de coopération.
Les principes de base sont formulés ainsi :
  1. « Chaque personne a un droit égal à un ensemble pleinement adéquat de libertés et droits de base égaux pour tous, qui soit compatible avec un même ensemble pour tous, et dans lequel les libertés politiques égales, et elles seules, doivent être garanties à leur juste valeur. » C’est le principe d’égale liberté pour tous.
  2. « Les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et (b) qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous. » C’est le principe de différence.
Ces deux principes se résument ainsi : « l’injustice alors est simplement constituée par les inégalités qui ne bénéficient pas à tous. »
Le premier principe est un principe « constitutionnel. » Il faut en déduire les mesures adéquates, par exemple, concernant la répartition équitable, et à peu près égale, des moyens de participation à la vie politique.
Le principe de différence part de la maximisation de la position des plus désavantagés. Il permet de répondre aux critiques traditionnelles contre l’égalitarisme puisqu’il se présente comme un principe d’égalité intégrant un principe d’efficacité.
L’égalité des chances est définie par Rawls comme « égalité équitable ». Elle se distingue de la simple égalité des chances qui est l’égalité formelle. Les positions doivent être ouvertes à tous ceux qui ont les mêmes dons innés et les mêmes motivations, quelles que soient leurs origines sociales.
Sans prôner l’égalitarisme, Rawls estime que la répartition des richesses et des positions sociales ne ressortit pas à la mécanique « naturelle » de l’économie de marché mais au contrat social. Ce qui suppose des institutions puissantes de redistribution.
Rawls veut donner une justification a priori des principes de justice : ils « sont issus d’un accord conclu dans une situation initiale elle-même équitable. » Ils sont donc renvoyés à une situation initiale (à la manière des théories du contrat social) entre des partenaires qui seraient « des êtres rationnels qui sont mutuellement désintéressés. » À la place de la fiction de l’état de nature, Rawls propose une autre fiction, celle du voile d’ignorance : les principes de base justes sont les principes qu’adopteraient des individus placés sous le voile d’ignorance, c'est-à-dire des individus réunis pour délibérer, qui connaîtraient les principes de base de l’économie et de la philosophie politique, mais ignoreraient tout de leurs propres avantages.
Reprenant certaines hypothèses des théoriciens du choix rationnel en situation d’incertitude, Rawls affirme que ces individus placés sous « voile d’ignorance » adopteraient les principes de la TJ parce qu’ils adopteraient la stratégie du « MAXIMIN » qui consiste à maximiser la situation la plus défavorable.
Ainsi, dès que l’égalité est possible et avantageuse pour tous, on choisira un partage égalitaire : si celui qui doit partager le gâteau se sert en dernier, il fera des parts égales. De là on peut déduire le principe d’égale liberté pour tous. Rawls admet que la récompense de l’inégalité des talents et des mérites peut être avantageuse pour tous. Si on admet que les plus pauvres d’une société inégalitaire seraient moins pauvres que ceux dans une société égalitaire, en adoptant la stratégie du « maximin » on choisira une société inégalitaire dans la distribution des richesses, des revenus et des positions sociales ; mais entre toutes les répartitions inégalitaires possibles, on choisira pour les mêmes raisons celles qui maximisent la position des plus défavorisés. Ainsi est justifié le principe de différence.
Très généralement, la structure de base doit garantir l’égalité des chances, éviter que la répartition des individus d’une génération donnée sur les positions sociales ne soit que la reproduction de la répartition de la génération précédente. La mobilité sociale et la possibilité d’une promotion sociale fait partie de ces biens de base. La dernière dimension : « respect de soi ». Ce « sens qu’un individu a de sa propre valeur » dépend en effet très largement des institutions sociales. Si la conception moderne de la liberté politique place l’individu à la base du contrat social, elle affirme donc la valeur intrinsèque de l’individu, qui n’est plus seulement un membre du corps social. La participation à la vie politique et à la culture de sa propre nation, l’ouverture sur la culture des autres nations, font à l’évidence partie de ces aspects des institutions sociales de base qui sont nécessaires pour garantir le respect de soi.
Ronald Dworkin
Philosophe du droit, à la fois l’un des porte-parole du libéralisme politique américain et un théoricien du droit naturel, Ronald Dworkin (1931-2015) défend le principe d’égalité comme principe de la démocratie libérale. Partant du constat que « parmi les idéaux politiques, l’égalité fait figure d’espèce menacée », il rappelle que la légitimité d’un gouvernement repose sur l’égalité d’attention qu’il apporte à chacun des citoyens (« sans elle, le gouvernement n’est qu’une tyrannie »). Cette égalité d’attention inclut la manière dont les richesses sont distribuées, puisque cette distribution est le produit de l’ordre juridique : « la fortune de tel ou tel citoyen dépend massivement des lois dont la communauté auquel il appartient s’est dotée. »
L’égalité ne peut donc être formelle, elle suppose une forme d’égalité matérielle. Mais cette conception à son tour suppose deux principes éthiques fondamentaux : celui d’importance égale des vies individuelles et celui de responsabilité. Ainsi le propos de Dworkin est de construire un égalitarisme libéral.
Dworkin se concentre d’abord sur le problème de l’égalité distributionnelle, c’est-à-dire celui de la distribution de l’argent et des ressources. Il oppose à ce sujet deux théories : l’égalité de bien-être et l’égalité des ressources. La première définit une distribution qui « traite les individus comme égaux lorsqu’elle répartit ou transfère les ressources parmi eux jusqu’au moment où aucun transfert additionnel ne pourrait accroître leur égalité du point de vue du bien-être ». Dans la seconde théorie on réclame seulement une répartition et des transferts qui assurent l’égalité maximale des ressources. Bien que la plus séduisante au premier abord, l’égalité de bien-être présente de nombreuses difficultés – en premier lieu parce qu’il existe différentes façons de définir le bien-être – et elle s’avère donc au total une théorie faible.
L’égalité des ressources concerne les ressources qui peuvent être possédées de manière privative – la question de l’égalité de pouvoir est différente. Il s’agit donc bien de rester dans le cadre libéral qui suppose la propriété privée, ce qui suppose la possibilité de transfert des biens et donc du marché. Dworkin soutient que l’objectif de l’égalité des ressources ne s’oppose pas à l’action du marché et il s’agit donc ici d’aboutir à un équilibre ou un compromis entre l’égalité et les autres valeurs (efficacité, prospérité, utilité globale).
Pour exposer le principe de l’égalité de ressources, il a recours à une fiction heuristique, celle des naufragés sur une île déserte. Toutes les ressources disponibles sur l’île doivent être également partagées entre les naufragés et cette répartition doit supporter le test d’envie : « aucune répartition des ressources n’est une répartition égale si, une fois qu’elle est achevée, l’un des immigrants préférerait posséder le paquet de ressources possédé par un autre au lieu de son propre paquet ». Le mécanisme de la répartition doit être une vente aux enchères, les participants disposant au départ d’une quantité égale d’une monnaie conventionnelle (des coquillages par exemple). Dworkin se réfère ici explicitement au modèle walrasien et à la théorie de la valeur de Debreu. La monnaie sert de mesure qui permet d’évaluer la réalisation de l’égalité des ressources. Si l’égalité est assurée au moment de la « vente aux enchères », elle peut néanmoins être rapidement brisée pour des raisons qui ne mettent pas en cause la responsabilité des individus, mais la chance ou la malchance. Il faut distinguer ici la chance ou la malchance liée aux options (les paris risqués pris par l’individu en connaissance de cause) et la chance ou la malchance pure. Les inégalités qui naîtraient de la réussite ou non des paris ne peuvent pas être considérées comme injustes et il ne serait pas juste de procéder a posteriori à une redistribution des richesses en parieurs chanceux et malchanceux. En ce qui concerne la malchance pure, un système d’assurances (avec un marché des assurances incluant une assurance fixe obligatoire) complète le modèle. Reste à traiter la question des inégalités de talent qui pourrait conduire avec le temps à des inégalités croissantes. Dworkin propose de remédier à ce problème par des redistributions périodiques – sur le principe de l’impôt sur le revenu : il s’agit d’un compromis entre deux exigences égalitaires. Ce schéma doit évidemment être développé, complexifié de manière à pouvoir déterminer une politique réelle – le but réaffirmé de Dworkin. Alors que le principe de justice de Rawls définit les positions des groupes, Dworkin insiste sur le fait que l’égalité est d’abord une question de droits individuels, parce qu’elle « définit un rapport entre citoyens ».
L’égalité des ressources posée dans le monde fictif des naufragés et de la vente aux enchères des ressources disponibles peut-elle réellement être mise en œuvre, même de manière approximative, dans le monde réel ? Dans les sociétés réellement existantes, même celles qui ont de longtemps appliqué des politiques de welfare, « les riches sont beaucoup mieux lotis et les pauvres beaucoup moins bien lotis que ne l’exigerait l’égalité des ressources. » Un programme de réforme redistributeur pourrait obliger les plus riches à exploiter leur richesse dans certaines directions. Mais ceci exigerait des contraintes juridiques et des limitations de la liberté qui sont exclues dans la conception de Dworkin. Pour savoir dans quelle mesure des lois limitant la liberté des riches de dépenser leur richesse selon leur bon vouloir seraient ou non légitimes, Dworkin invente le principe de « victimisation » : une personne est victime dès lors qu’elle subit un déficit de liberté. À l’aide de ce principe, il montre que la loi limitant les dépenses dans les campagnes électorales ne fait aucune victime – personne ne voit sa liberté restreinte. Appliquant ces principes au système de santé, il soutient que le principe de victimisation permet de déterminer quel est le paquet de mesures souhaitables pour la réforme du système de santé.
Amartya Sen
Amartya Sen (né en 1933) est un économiste d’origine indienne qui a étendu sa réflexion aux questions de philosophie sociale et de théorie de la justice. Il a reçu le prix de l’Académie de Stockholm, dit « prix Nobel d’économie » en 1998 pour ses travaux sur la famine et le développement humain. Il soutient, notamment, que la démocratie est une des conditions pour qu’un gouvernement soit apte à lutter contre la famine.
La capabilité vise à définir la liberté effective dont peut jouir un individu, c’est-à-dire l’ensemble des combinaisons de vie auquel il peut avoir accès. Dans une perspective proche et différente de celle de Ronald Dworkin ou de John Rawls, il veut redéfinir l’égalité dans une société libérale et démocratique. Il est en effet impossible d’opposer liberté et égalité, puisqu’une éthique qui fait de la liberté la valeur première est toujours obligée de se poser la question de la répartition de la liberté et jusqu’à quel point elle doit être égale.
Une éthique de l’organisation sociale qui puisse résister au temps est toujours fondée sur l’égalité de quelque chose. Le problème est seulement de savoir « égalité de quoi ? ». La difficulté pour répondre à cette question tient à deux facteurs : l’hétérogénéité humaine et la multiplicité des critères permettant de définir l’égalité : égalité des revenus, égalité de bien-être, égalité des utilités. On peut même, comme Nozick, justifier l’inégalité (des revenus, etc.) par l’égalité des droits « libertariens », c’est-à-dire une égalité qui se résume à l’égal des propriétaires à jouir de leur propriété sans être entravés par les revendications des autres. En outre, si on choisit de faire valoir les exigences de l’égalité dans certains espaces, il est pratiquement inévitable que se maintiennent ou se développent de substantielles inégalités dans d’autres espaces. Les conflits peuvent surgir entre les divers espaces où les revendications égalitaires peuvent se faire jour. Une large égalité des droits libertariens doit nécessairement s’accompagner d’une grande diversité de revenus.
Sen réfute les thèses utilitaristes car elles ne peuvent par construction prendre en compte la liberté et l’égalité de droits. Il s’oppose également aux approches fondées sur la distribution des ressources, comme celles de Dworkin ou de Rawls, bien que ces deux auteurs en mettant l’accent sur l’égalité des moyens aient très justement tourné la réflexion sur l’égalité vers la question de la liberté.
Pour comprendre la notion de « capabilité », Sen introduit la notion de « fonctionnement » : une vie est faite d’un ensemble de fonctionnements – avoir suffisamment à manger, être en bonne santé, etc. – composés d’états et d’actions. L’accomplissement d’un individu est alors défini comme le « vecteur de ses fonctionnements ». La capabilité peut alors être définie comme les diverses combinaisons de fonctionnements que la personne peut accomplir. La capabilité permet d’indiquer que l’individu est libre de mener telle ou telle vie. Par rapport aux théories qui partent des ressources ou des biens premiers, l’avantage de l’évaluation de la position d’un individu en termes de capabilités est qu’elle ne s’en tient pas aux instruments mais pose directement la question des possibilités d’activité de l’individu et leur lien avec le bien être. Par exemple un handicapé peut avoir plus de biens premiers mais moins de capabilités qu’un autre. Il y a une nécessité de prendre en compte les situations particulières des individus et le sens qu’ils donnent à leur propre vie.
L’approche par capabilités présente de nombreuses difficultés : les capabilités ont des poids relatifs différents : se mouvoir est plus important que pouvoir jouer au basket. Sen propose des méthodes d’évaluation sachant qu’il reste une indécidabilité résiduelle inéliminable.
La définition de la justice découle de ce concept de capabilités : il s’agit de l’égalité des capabilités. « Dans l’évaluation de la justice fondée sur la capabilité, les revendications des individus ne doivent être jugées en fonction des ressources ou des biens premiers qu’ils détiennent respectivement, mais de la liberté dont ils jouissent réellement de choisir la vie qu’ils ont des raisons de valoriser. » Il s’agit donc pour Sen de penser l’égalité en matière de « liberté réelle » et non seulement en matière d’instruments de la liberté. Ce faisant il écarte deux manières erronées de penser l’égalité : l’égalité des moyens et l’égalité des résultats.
Comme toutes les éthiques égalitaires, l’égalité de capabilités doit répondre aux arguments des défenseurs de l’inégalité. Les deux arguments principaux concernent l’incitation et l’asymétrie opérationnelle. Cette dernière consiste à donner plus de pouvoir à certains individus pour des raisons d’efficacité – tout le monde ne peut pas avoir une égale capabilité à prendre des décisions, puisque des compétences différentes et bien déterminées sont nécessaires dans la direction de l’État ou des entreprises. Mais l’argument de l’asymétrie opérationnelle ne concerne que certains domaines particuliers et pourraient bien ne pas être pertinents pour un grand nombre d’autres domaines. En ce qui concerne l’incitation qui joue un grand rôle dans la littérature économique concernant l’allocation des ressources, on ramène souvent les inégalités d’accomplissements aux décisions et aux efforts différents des individus. Mais si des différences humaines spécifiques jouent un rôle majeur dans l’inégalité des accomplissements ou des libertés, l’argument de l’incitation perd beaucoup de sa portée. Par exemple, les différences d’âge et de sexe jouent un rôle important dans l’inégalité des capabilités. Dans ce cas une politique égalitariste ne pourrait pas entraîner une baisse de l’incitation comme l’affirment les modèles économiques standards. De même, en matière de soin, on ne voit guère que la gratuité des soins puisse inciter les agents à tomber malade pour profiter des avantages de l’assurance maladie. Par conséquent toutes discussions sur l’argent comme moyen de responsabiliser les malades sont au mieux stupides.
Non seulement l’égalité des capabilités offre une approche intéressante en termes de libertés réelles, mais elle permet aussi de mieux cerner les revendications qui pourraient être adressées à une éthique sociale en matière d’égalité de bien-être : « l’approche du bien-être par la capabilité diffère de la concentration traditionnelle sur l’aisance économique (sous la forme du revenu réel, des niveaux de consommation, etc.) à deux titres importants : (1) elle transfère le centre d’intérêt de l’espace des moyens (biens et ressources) à celui des fonctionnements qui sont perçus comme des éléments constitutifs du bien-être humain ; et (2) elle permet – sans en faire une obligation – de prendre en considération l’ensemble constitué par les vecteurs de fonctionnements possibles entre lesquels la personne peut choisir. » On peut donner à tous les moyens de faire du sport (c’est égalitaire!) mais celui qui préfère étudier le latin sera lésé !
(III)
Si intéressantes que soient ces théories de la justice – notamment parce qu’elles ont une vertu heuristique et une vertu critique, elles ne sauraient remplacer une philosophie sociale. Purement normatives, elles présupposent de fait des sociétés comme les nôtres, c’est-à-dire des sociétés libérales reposant sur le marché et la libre concurrence. Elles s’inscrivent toutes d’ailleurs dans l’optique que Rawls a définie comme « libéralisme politique ». Mais c’est là que le bât blesse et cela explique sans aucun doute leur éclipse du débat public. Rawls, comme j’ai eu l’occasion de le dire, produit une théorie de la justice compatible avec l’État keynésien du welfare dont il fournit au fond une justification théorique. Mais le welfare est mort. Mort de la crise du mode d’accumulation post-seconde guerre mondiale, crise ouverte en 1971 avec la mort du système monétaire international de Bretton Wood. Mort aussi de la chute de l’Union Soviétique : tant que les capitalistes ont craint l’expansion du système soviétique, ils ont souvent cherché à proposer une alternative sociale qui préserve les bases du mode de production capitaliste. La fin de la « peur du rouge » combinée à la nouvelle période d’accumulation dominée par la mondialisation et la financiarisation rend l’État social modèle 1945 inutilement coûteux.
Posons le problème autrement.
D’une part, on peut faire remarquer que la justice ne s’impose comme question centrale que lorsque l’amitié civique n’existe plus et que les individus sont voués à mener des existences séparées, pour reprendre la formule du père spirituel des libertariens américains Robert Nozick. Tant que prime la loi communautaire, la solidarité s’organise spontanément, car « entre amis tout est commun ». De ce point de vue les critiques libérales qui disent que la justice sociale administrée par l’État n’est qu’une manière de nous faire agir conformément à des sentiments que nous n’éprouvons point n’est pas sans fondement !
D’autre part, ce qui me semble essentiel, pour le dire vite, ce n’est pas la question des inégalités – n’en déplaise à Thomas Piketty – mais celle des rapports sociaux de production et des rapports de propriété. Est-il si important de se demander si X gagne légitimement quatre fois plus que Y quand on évite de poser la question des rapports sociaux entre X propriétaire des moyens de production et acheteur de force de travail et Y qui n’a pour vivre que sa force de travail à vendre ? Qu’un joueur de football gagne des sommes extravagantes, cela peut choquer, mais personne n’oblige les supporters à acheter hors de prix les billets des matches de football ou à se précipiter sur les retransmissions télévisées financées par la publicité qui trouve là une belle occasion d’investir les temps de cerveau disponible.
S’il y a un problème avec l’inégalité des fortunes, c’est en tant que l’argent est à la fois l’expression et le moyen d’un pouvoir sur autrui, un des aspects de la domination. Mais la question clé est celle de la domination, sous tous ses aspects. C’est précisément pourquoi, comme Sandel ou Pettit, je crois que le républicanisme constitue une réponse sérieuse aux théories de la justice, si on entend par républicanisme la conception de la liberté comme non-domination.
À cette question de la non-domination, il y a évidemment toute une dimension proprement politique – que j’ai déjà eu l’occasion de développer longuement – mais aussi une dimension qui recoupe les préoccupations des théories de la justice. Je vais partir du plus important : les rapports de domination politique trouvent leur soubassement dans les rapports sociaux. Être dominé, c’est subir la domination des classes dominantes. L’esclave est l’instrument de son maître. Son humanité est niée radicalement. Mais il en va de même, à bien des égards, du prolétaire. Celui qui ne peut vivre qu’en vendant sa force de travail est d’abord celui qui doit se soumettre à la volonté d’un autre homme. Le contrat de travail, tout le monde le sait, et aussi bon soit-il, est un contrat de soumission. Le vrai problème, devenu incompréhensible à une grande majorité de nos contemporains et en particulier à nos contemporains « de gauche », ce n’est pas que l’ouvrier gagne moins que le patron ! Le vrai problème c’est que le patron a barre sur lui. La formule du capital, c’est A-M-A’ explique Marx et le « mystère » de cette formule, ce qui explique que l’échange équivalent contre équivalent finisse par produire une survaleur, c’est l’exploitation, c’est-à-dire l’appropriation du travail gratis laquelle découle du rapport salarial lui-même comme rapport de domination. Les formes ici importent peu. Le travail à façon qu’effectuent ces artisans ruinés qu’étaient les canuts n’était qu’une forme primitive de cette soumission du travailleur aux conditions de travail, c’est-à-dire au capital. Aujourd’hui, cela s’appelle « uberisation » de l’économie ; il paraît que c’est le dernier chic de la modernité, ce qui préfigure notre avenir à tous : plus de salariat mais des « contrats de missions », déjà fort utilisées dans les professions très qualifiées. Que sont ces « contrats de missions » ? Rien d’autre que des contrats salariaux dans lesquels le patron n’est plus obligé de vous payer, de vous licencier ou que sais-je encore dès lors que le carnet de commandes fléchit, qu’une machine est tombée en panne ou que les intempéries affectent l’activité. Pour comprendre tout cela, il suffit de lire Le Capital de Marx, un livre qu’on ne lit plus, une pensée qu’il faut exterminer pour faire passer la marche arrière toute vers les formes les plus barbares de l’exploitation comme la marche en avant vers l’avenir radieux qu’ouvrent les nouvelles technologies, qui se révèlent, une fois de plus, comme des technologies de l’asservissement des hommes et du bourrage de crâne.
Voilà, donc, si on est contre la domination, il faut être pour l’abolition du salariat et par la même occasion du patronat – comme le disait la Charte d’Amiens de la CGT en 1906 ! Reprendre cette perspective, réfléchir à des modèles qui permettraient la transition entre aujourd’hui et demain, voilà ce qu’il faudrait faire, voilà à quoi les intellectuels, les politiques, les militants syndicaux qui affirment défendre les intérêts des travailleurs, devraient occuper non seulement leur loisir mais aussi une bonne partie de leur activité. Au lieu de dénoncer qui l’islamophobie, qui telle ou telle oppression sociétale, qui la laïcité – forcément « ringarde », et j’en passe et des meilleures. Abolition du salariat et patronat, ça s’appelle communisme, en vieux français et comme je ne crois pas (ou plus) au dépérissement de l’État, je vais appeler ça « communisme républicain ». J’expliquerai un jour pourquoi ça pourrait s’appeler aussi « socialisme libéral » en reprenant les thèses de Rosselli et des gens du « Parti d’action » italien.
Vous l’avez compris : communisme ici, ça n’a donc rien à voir avec la transformation de tout le monde en salarié d’un nouveau patron, l’État. Ça, ce serait simplement le capitalisme d’État qu’on a vu à l’œuvre au siècle passé.
On me dira : c’est bien joli tout ça, mais c’est de l’utopie ! Alors prenons le problème autrement. La justice la plus élémentaire, le droit le plus fondamental, c’est le droit de vivre. C’est même le droit naturel le plus sérieux comme le pensent les philosophes du droit naturel comme Spinoza et Rousseau. C’est pour cette raison que les hommes vivent sous le gouvernement de lois communes. La république doit garantir la sécurité et autant que possible l’absence d’inquiétude quant aux perspectives de vie de chaque citoyen. La propriété privée a pour seule et unique légitimité de procurer à celui qui en dispose un abri dans le monde. Quand notre système de protection sociale (contre la maladie et la vieillesse) a été conçu, il s’agissait justement de donner collectivement ce quelque chose qui les garantirait contre les aléas de l’existence. La protection sociale, c’est la propriété de ceux qui sont privés de propriétés. La « justice sociale » a un nom commun pour nous, elle s’appelle sécurité sociale. Le travailleur étant privé de la propriété des moyens de production, c’est la sécurité sociale qui est sa propriété. Mettre en cause cette protection sociale, c’est donc évidemment le contraire de la justice sociale. Notre constitution garantit aussi le droit au travail. Si est juste le principe « qui ne travaille pas ne mange pas », si on a raison de dire en chantant « L’Internationale », « l’oisif ira loger ailleurs », alors il faut rendre ce droit au travail effectif, pour que chacun puisse vivre décemment du fruit de son travail, tant que la maladie ni la vieillesse ne l’en empêchent. On le voit, ces deux principes de justice élémentaires sont aujourd’hui en conflit violent avec l’évolution du mode de production capitaliste à notre époque. Ceux qui défendent la sécurité sociale fondée sur la solidarité collective et les retraites fondées sur la répartition non seulement défendent la justice la plus élémentaire mais encore défendent des éléments de communisme qui existent d’ores et déjà dans nos sociétés et dont l’existence est devenue une intolérable limite au mode de production capitaliste et à sa domination absolue.
Encore autre chose : si le contrat salarial est un contrat de soumission, il existe pour les salariés une protection légale, le code du travail qui fait valoir les besoins fondamentaux des salariés face aux empiétements du pouvoir patronal. Dans la conception républicaniste, la liberté et la loi ne s’opposent pas. Bien au contraire, le républicanisme, c’est la liberté par la loi. Et le code du travail est l’expression la plus claire de cette loi qui vise à protéger les individus contre la domination. Évidemment, elle contredit la liberté du capital, elle bride la tendance des grands à tyranniser le peuple (pour parler ici comme Machiavel). Il faut en comprendre le sens qui n’est pas simplement « conservateur » comme on dit dans ce monde où les capitalistes s’affirment comme les révolutionnaires par excellence, les vrais partisans de la révolution permanente. Et ce sens est tout simplement de limiter les entraves à la concurrence que les ouvriers se font entre eux pour vendre leur force de travail. Or, cette concurrence que les ouvriers se font entre eux pour vendre leur force de travail, c’est cela le salariat ! Tout ce que couvre le code du travail apparaît maintenant sous son vrai jour, le début, les prémices de l’abolition du salariat, telle que la pensaient Marx ou les anarcho-syndicalistes qui ont fondé la CGT. On le voit encore, la justice sociale en tant que système de lois protégeant les individus contre la domination, la justice sociale pensée par le républicanisme est étroitement liée à la lutte des classes, à la lutte entre les grands et le peuple.
Ces quelques exemples montrent bien pourquoi il nous faut dépasser l’abstraction des théories de la justice pour enraciner la réflexion dans une philosophie sociale.
Je pourrais pour terminer esquisser une théorie de la justice autour de quelques principes :
  • comme le dit Aristote, à chacun selon son mérite ! Donc qui ne travaille pas ne mange pas ! Car nous, démocrates et républicains faisons du travail le mérite fondamental. Donc les revenus de la rente et des dividendes sont illégitimes ; bienheureux celui dont les économies sont simplement conservées par leur placement, car le travail accumulé ne peut être conservé que par la vie du travail vivant. Je ne veux pas discuter pour savoir si le médecin mérite cinq fois ou dix fois le salaire d’un travailleur non qualifié. Tout cela se règle « sur le tas » en tenant compte des besoins sociaux. Mais il faut clairement interdire que l’argent puisse faire des petits tout seul, il faut refuser la domination de la vie sociale par la chrématistique comme le disait déjà Aristote.
  • De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins, c’est la devise du communisme selon Marx. Sans doute est-il difficile de généraliser ce précepte. Mais tout ce qui est fondé sur la « caisse de solidarité » communautaire doit être régi sur ce principe. Pour la sécurité sociale, chacun cotise selon ses capacités et chacun reçoit selon ses besoins.
  • Les biens sociaux primaires (selon Rawls) doivent être également partagés entre tous. L’éducation doit donc être gratuite. Tout le monde doit pouvoir bénéficier d’un logement décent, de congés, d’un accès égal à sa propre culture et à la culture des autres.
Je ne vais pas plus loin. On voit bien qu’il ne s’agit pas réfuter les diverses théories de la justice existantes mais bien d’en faire des outils de la lutte sociale. Car il n’y a pas de justice sociale sans lutte sociale. Et, comme disait Victor Hugo, ceux qui vivent sont ceux qui luttent.


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