lundi 1 octobre 2018

Faut-il légaliser l'euthanasie?

Cet article a été publié pour la première fois en décembre 2008. Je le publie à nouveau sans modification. Mais tout cela mériterait d'être développé au moment où ce débat refait surface et où la cause des euthanasieurs semble encore avoir progressé.



À nouveau le vieux débat sur la légalisation de l’euthanasie a fait retour avec une proposition de loi de Laurent Fabius contresignée avec une députée UMP. Il s’agit de dépénaliser l’assistance au suicide et de consacrer un « droit à mourir ». Pour mettre en conformité la législation française avec celle qu’on déjà adoptée plusieurs pays européens, on nous propose un nouveau « progrès » sociétal (faute de pouvoir proposer le progrès social). Quitte à fâcher mes amis libres penseurs, je dois avouer mon malaise devant ce genre de « progrès ».
Tout d’abord, le « droit à mourir » me semble une expression dépourvue de sens. C’est en effet un droit garanti à tous sans condition et que tous sont contraints d’exercer un jour ou l’autre ! Et la plupart des mortels ont surtout à se plaindre d’être obligés d’user de ce « droit à mourir » un peu plus tôt qu’ils ne le voudraient.
En France, plus de 10.000 personnes exercent volontairement ce droit à mourir chaque année et se suicident sans assistance. C’est deux fois le nombre de morts par accident de la route. Le suicide représente, avec 14% des cas, la deuxième cause de mortalité chez les 18-24 ans. Bien qu’il n’y ait pas de statistique fiable, les syndicats estiment à plus de 300 le nombre annuel de travailleurs qui se suicident faute de pouvoir résister à la pression au travail – des cas récents à Renault, PSA et France Télécom avaient attiré l’attention sur ces drames soigneusement camouflés car ils dévoilent ce qu’est la violence de l’exploitation. Tous ceux-là ont exercé leur « droit à mourir ». À 35 ans l’espérance de vie des cadres dépasse de sept ans celle des ouvriers. Doit-on en déduire que les ouvriers jouissent plus vite, avec plus d’empressement de leur « droit à mourir ». On pourrait empiler les statistiques et se demander , de dehors de toute prise de position  ou juridique sur le « suicide assisté » pour quelle raison notre société et nos hommes politiques (droite et gauche confondues) semblent bien plus préoccupés de hâter la mort que de préserver la vie. À se demander si la pulsion de mort, Thanatos, n’est pas la pulsion dominante de la société capitaliste libérale avancée – trop avancée, comme on le dit d’un aliment qui commence à pourrir...
Mais revenons sur le « droit à mourir ». Si c’est un droit, on peut exiger d’en jouir et il doit y avoir en contrepartie un devoir d’assurer au titulaire du droit à mourir la possibilité d’exercer son droit. Or, un tel droit n’existe pas. Jusqu’à présent sous aucune forme. Le suicide est un fait, mais nullement l’expression d’un « droit » puisque l’exercice de ce droit supprime son titulaire ! Mais si quelqu’un assiste à une tentative de suicide, son devoir le plus absolu est d’empêcher, par tous moyens à sa disposition, le désespéré de parvenir à ses fins. A fortiori, il est évidemment impossible d’exiger de quelqu’un qu’il garantisse ce prétendu droit à mourir en prêtant assistance. Le droit à mourir en général est un galimatias.
On me dira qu’il ne s’agit pas d’un droit à mourir en général mais d’un droit à mourir dans la dignité pour les patients atteints d’un mal incurable. Mais ce n’est pas en rajoutant toutes sortes de qualificatifs et de compléments à une expression au mieux totalement vide qu’on va la rendre plus sensée. Car personne n’est capable de dire ce qu’est « mourir dans la dignité ». Jadis, on pensait que mourir dans la dignité, c’était accueillir le plus sereinement possible la mort. Les souffrances qui précèdent la mort (ou ne la précèdent pas, d’ailleurs) peuvent être terribles pour le mourant mais elles ne rendent pas la mort « indigne ». Une longue agonie ne plonge pas celui qui la subit dans l’indignité. Elle le fait souffrir, peut-être inutilement, mais la dignité n’a rien à voir là-dedans. Seulement l’éternelle souffrance humaine. Alors pourquoi ce jargon incompréhensible ? Pour éviter d’employer le mot tabou d’euthanasie dont les résonances sont assez fâcheuses – nous sommes encore nombreux à entendre « État nazi » quand on prononce le mot « euthanasie », cette prétendue « mort heureuse ». Comme si la mort pouvait être heureuse ! Elle est éventuellement heureuse pour les héritiers, qui vont toucher le magot, pour la famille qui ne supporte plus de rendre visite au parent agonisant, pour le trou de la sécurité sociale, etc. Mais pour le mortel, la mort n’est jamais heureuse et si parfois il l’accueille comme une délivrance, c’est seulement parce qu’elle lui semble un moindre mal, parce qu’il n’a plus la force de vivre, que les causes extérieures ont eu raison de son effort vital, de son conatus comme dirait Spinoza.
Alors que faire face aux souffrances insupportables des malades qu’on a dit condamnés ? Légalement, juridiquement, rien du tout ! La loi permet de ne pas prolonger les traitements inutiles, elle permet de ne pas maintenir artificiellement en vie un individu déjà mort cliniquement, elle permet au malade de refuser la énième opération inutile et de demander à bénéficier des soins palliatifs. On ne peut rien demander de plus à la loi et surtout pas d’autoriser explicitement « le suicide assisté ». L’expression « suicide assisté » est du reste encore un contradiction dans les termes. « Suicide » veut dire homicide de soi-même. Le suicide assisté est l’homocide de soi-même par un autre ! Quel embrouillamini dans le cerveau des défenseurs de l’euthanasie ! Mais passons. Si on admet un droit à l’euthanasie, il reste à savoir qui va exercer ce droit. Si le corps médical est autorisé à euthanasier les malades, en ce qui me concerne, je ne mets plus les pieds dans un hôpital ! Et pourquoi faudrait-il confier cette « tâche » aux médecins. Soigner est un art difficile mais tuer est à la portée de tout le monde. Donc si la famille se plaint de l’agonie qui dure, pourquoi ne procéderait-elle pas au geste fatal ?
Qu’on me comprenne bien : le problème n’est pas celui des dérives éventuelles de ce prétendu droit à l’euthanasie. Le problème, c’est le geste lui-même. Tant qu’il est interdit, est préservé le caractère sacré de la vie et l’interdit absolu du meurtre – interdit fondateur faut-il le rappeler ? Il arrive ensuite, que dans certaines circonstances quelqu’un (médecin ou membre de la famille) donne la mort à l’agonisant et alors il doit encore en rendre compte devant la justice. Laquelle n’est pas obligée d’être stupide et doit savoir faire la différence entre le meurtre pour avoir l’héritage et la mort donnée à un être cher qui n’en peut plus de vivre. L’examen des circonstances permet de trancher et éventuellement d’acquitter le prévenu. Mais celui qui donne la mort doit continuer de répondre de ses actes.
Il y aurait de nombreuses leçons à tirer de cette insistance de nos sociétés à se donner le droit de faire mourir les malades, à trancher entre les vies qui méritent d’être vécues et celles qui ne vaudraient pas la peine d’être vécues. Dans le monde libéral des « sujets-rois », individus absolument souverains, complètement émancipés, le non-maitrise de la vie et de la mort devient insupportable. On proclame le « droit à l’enfant » (un droit absurdissime) et maintenant le droit de mourir. Les liens de ce droit avec l’idéologie libérale-capitaliste dominante sont absolument évidents. Il y a une autre raison : l’idéologie du progrès qui devait nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature », cette idéologie qui soutient la marche en avant de plus en plus destructrice de la société technique industrielle, se heurte de front, dans le malade incurable, à l’irrépressible question de la mort. C’est insupportable et c’est pourquoi il faut à tout prix éliminer ces témoins gênants de l’échec inévitable des ambitions folles de l’accumulation illimitée du capital.
Denis Collin, décembre 2008

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