jeudi 4 octobre 2018

Notes de lecture : Le loup dans la bergerie, par Jean-Claude Michéa, éditons Climats, 2018


Le dernier livre de Jean-Claude Michéa, Le loup dans la bergerie a pour point de départ une conférence de novembre 2015 qui est agrémentée sur les habitudes de cet auteur d’assez nombreux scolies explicitant sa pensée. Il poursuit ici son chemin dans la critique du libéralisme comme complément nécessaire du capitalisme, dans la dénonciation de la vacuité de l’opposition droite-gauche qui n’est qu’un trompe-l’œil masquant la lutte des classes et l’opposition fondamentale entre le peuple (le petit peuple) et les puissants. Contre les divagations sociétales, il réhabilite la « common decency » d’Orwell.
 Comme toujours clair, c’est et incisif et je ne trouve guère de désaccords sérieux. Si Michéa est dans le camp des « nouveaux réacs », je me trouve assez bien avec lui. Au fond, son livr est composé d’une série de variations sur un passage important du Capital de Marx: «En réalité, la sphère de la circulation ou de l’échange des marchandises, entre les borens de laquelle se meuvent l’achat et la vente de la force de travail, était un véritable Eden des droits innés de l’homme. Ne règnent ici que la Liberté, l’Égalité, la Propriété et Bentham. Liberté ! car l’acheteur et le vendeur d’une marchandise, par exemple de la force de travail, ne sont déterminés que par leur libre volonté. Ils passent un contrat entre personnes libres, à parité de droits. Le contrat est le résultat final dans lequel leurs volontés se donnent une expression juridique commune. Égalité ! car ils n’ont de relations qu’en tant que possesseurs de marchandises, et échangent équivalent contre équivalent. Propriété ! car chacun ne dispose que de son bien. Bentham ! car chacun d’eux ne se préoccupe que de lui-même. La seule puissance qui les réunisse et les mette en rapport est celle de leur égoïsme, de leur avantage personnel, de leurs intérêts privés. Et c’est justement parce qu’ainsi chacun ne pense qu’à lui, personne ne s’inquiète de l’autre, et c’est précisément pour cela qu’en vertu d’une harmonie préétablie des choses, ou sous les auspices d’une providence tout ingénieuse, travaillant chacun pour soi, chacun chez soi, ils travaillent du même coup à l’utilité générale, à l’intérêt commun. » (Capital, Livre I, section II, chapitre IV) Il s’agit pour Michéa de critiquer l’idéologie des droits de l’homme aujourd’hui en s’emparant des analyses de Marx, un Marx d’ailleurs bien plus présent au fil de ses ouvrages. Comme il le fait remarquer : « on ne trouvera jamais un seul texte de Marx où celui-ci aurait eu l’étrange idée de se définir comme «un homme de gauche» (un point que la plupart des universitaires de gauche aujourd’hui continuent pourtant de dissimuler sans vergogne à leurs lecteurs moutonniers. » (p.80)
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On y trouOnOn On y trouvera aussi une bonne critique de Foucault, Deleuze, Guattari, et tutti quanti montrant leur parenté avec les libertariens et les apologistes du capitalisme absolu. On en déduira une proposition pour les amateurs de déconstruction: déconstruire toutes les idoles post-modernes, les Foucault, Derrida, et autres philosophes du même acabit et tous ceux qui croient qu'on peut éternellement leurrer les pauvres idiots ordinaires par une langue précieuse, contournée et aussi incompréhensible que possible. Je veux bien admettre qu’il y a quelque chose à sauver dans tout ce fatras de la « French Theory », Deleuze quand il se fait professeur et essaie d’expliquer Leibniz ou Bergson, mais pas L’Anti-Œdipe ou Mille plateaux. Peut-être le concept de « biopolitique » chez Foucault, mais pas grand-chose d’autre.
Je note encore ce passage désopilant sur le manque d'imagination des héros de la déconstruction. (pp 93 à 96) quand il propose en exemple de l’absurdité de la déconstruction des préjugés de sexe, de « race », etc., les préjugés « âgistes ».   Après tout, s’il suffit de se sentir femme pour être une femme, pourquoi ne suffirait-il pas de sentir jeune pour l’être. En effet, personnellement je me sens victime des stéréotypes « âgistes » puisqu'on me met à la retraite alors que mon âge ressenti n'est pas du tout mon âge sur l'état civil. Du reste puisque d'un homme qui se sent femme peut demander à être considéré comme femme sur l'état civil, pourquoi ne pourrais-pas demander qu'on recule de 10 ans ma date de naissance? Et nous, les victimes de préjugés âgistes, nous sommes nombreux !
Donc un livre à lire. Cependant, certains points me chiffonnent et ils concernent sans doute plus l’histoire de la philosophie que les conséquences qu’on en pourrait tirer aujourd’hui. Michéa fait des Lumières plus ou moins un « bloc libéral » qui serait responsable de la conception de la société comme agglomération d’individus menant des existences séparées et régie seulement par des règles « neutres » de coexistence des libertés individuelles. Cependant, cette vision est erronée car il y a plusieurs « Lumières ». Entre Voltaire et Rousseau, il y a un gouffre et pourtant Rousseau est bien un philosophe des Lumières. Jonathan Israël a soutenu de manière assez convaincante cette opposition entre les Lumières modérées et les Lumières radicales, courant qu’il fait remonter à Spinoza et aux penseurs hollandais proches de lui. Si le point commun des Lumières est la « foi dans le progrès », ce « progressisme » doit être conçu dialectiquement. Il est effectivement le porteur du mode de production capitaliste comme le soutient Michéa, mais aussi le porteur de la critique du mode de production capitaliste, il contient en lui « la conscience malheureuse » dont Hegel nous a donné la description. Ce caractère essentiellement contradictoire du progressisme permet de jeter sur l’histoire de la « gauche » en tant qu’elle s’identifie au progressisme un regard moins unilatéral que celui de Michéa. Un peu de dialectique ne nuit pas.
Denis Collin – 4 octobre 2018

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