jeudi 23 mai 2019

Faut-il être catastrophiste ?




La mode est aux catastrophes : réchauffement climatique, pollution des océans, extinction des espèces, démographie, inutile de se creuser la tête, demain sera atroce ! On pense à ce personnage de Tintin et l’étoile mystérieuse qui appelle les humains à se repentir car « la fin des temps est venue ». On pourrait donc se contenter de rire de cette vieille manie de la terreur face aux temps qui viennent – depuis le temps que la fin du monde est annoncée ! D’un autre côté, nous n’avons guère envie de rire. Jadis on attendait la fin des temps d’une intervention divine ou de quelque invasion des extraterrestres. Mais aujourd’hui, nous connaissons assez bien le démiurge qui veut nous faire retourner au chaos : nous-mêmes. Pas d’étoile mystérieuse, mais nos usines, nos avions, nos bagnoles, nos produits chimiques, nos emballages plastiques… Pas de Philippulus le Prophète, mais des rapports scientifiques, y compris ceux de la NASA. Et aussi cette certitude : nous sommes bien entrés avec la « révolution industrielle », c'est-à-dire avec le triomphe du mode de production capitaliste, dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène, une ère où l’homme est devenu le premier facteur géologique. Il y a quelques années Jean-Pierre Dupuy publiait un ouvrage intitulé Pour un catastrophisme éclairé. Depuis, certains auteurs ont proposé de développée une nouvelle science, fondée sur une approche interdisciplinaire, qu’ils ont baptisée, un peu ironiquement « collapsologie ». Dans Effondrement :  Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005), Jared Diamond avait étudié comment une société peut disparaître par surexploitation des ressources naturelles et incapacité de changer de mode de vie. Tous ceux-là sont-ils de nouveaux Philippulus ? Certainement pas.
Nous sommes dans une situation où le catastrophisme n’est plus prophétique (ou plutôt pseudo- prophétique) mais tout simplement méthodologique. Dans le Discours de la méthode puis dans les Méditations métaphysiques, Descartes propose une méthode, celle du doute « hyperbolique » : si l’on veut rechercher la vérité, dit-il, il faut commencer par révoquer tout ce en quoi il pourrait y avoir le moindre de doute et tenir pour faux ce qui est simplement douteux. Évidemment Descartes ne croit pas véritablement que l’on ne puisse faire la différence entre le rêve et la veille ou encore que nous n’ayons aucune certitude quant à l’existence de notre propre corps puisque les amputés croient encore longtemps avoir le membre que l’on vient de leur couper. Mais nous pouvons en faire l’hypothèse sans que nous ayons de preuves décisives à avancer et donc nous devons écarter ces certitudes comme de simples opinions. De la même façon, nous n’avons aucune raison a priori de penser que les scénarios optimistes quant à l’avenir de la planète ont toutes chances de se réaliser. Nous devons penser a priori que le plus probable est un scénario catastrophique. Le pire n’est « objectivement » pas toujours sûr, mais raisonnons comme s’il était certain. Il ne s’agit pas de prophétiser la catastrophe mais de raisonner en fonction de sa possibilité, ce qui, on en conviendra, n’est pas du tout la même chose. Comme Descartes propose le doute méthodique, nous devrions réfléchir sur l’avenir de l’écoumène – la Terre en tant que l’homme l’habite – en utilisant le catastrophisme méthodique. Nous avons intérêt, un intérêt cognitif et vital, à exagérer les raisons d’être pessimistes : Adorno pratiquait une stratégie de l’exagération, puisque « seule l’exagération est vraie » : exagération à la mesure de la constitution effective du sujet ; exagération à la mesure de la constitution érotique de la pensée : la pensée suppose le désir et pour penser il faut être touché, donner à l’autre plus que ce que l’on a reçu. La vertu de l’exagération est qu’elle fait voir le négatif (voir ma recension de Adorno l’humaniste).
Y a-t-il un danger à être catastrophiste ? Nous retrouvons ici un argument qui pourrait faire penser au fameux pari de Pascal. Si la situation est aussi grave que ce que disent les scénarios catastrophistes, nous avons une petite chance d’échapper à la catastrophe en agissant dès maintenant et sérieusement. Mais si nous agissons pour prévenir une catastrophe qui ne menace pas véritablement, nous ne perdrons rien cependant, bien au contraire : en cherchant un mode de vie plus économe, plus soucieux du rapport entre nous-mêmes et notre milieu vital, si nous cherchons à mieux articuler notre corps animal et notre corps médial (pour reprendre la terminologie d’Augustin Berque), nous devrions vivre mieux qu’aujourd’hui, toutes choses étant égales par ailleurs. De nombreux rapports alarmistes (dont ceux de la NASA) soulignent qu’on ne pourra sauver les conditions de la vie humaine sur Terre qu’en changeant radicalement de mode de production et en organisant la répartition des richesses de manière plus égalitaire. Qu’aurions-nous à y perdre ?
Il y a deux arguments contre le catastrophisme méthodique. Le premier fait valoir qu’en criant au loup sans que n’arrive la catastrophe, l’humanité sera anesthésiée quand la catastrophe sera vraiment là. À cet argument, on peut répondre deux choses. Premièrement, faisons une analogie : je ne suis pas sûr du tout que le renard va venir faire un tour dans le poulailler la nuit prochaine, mais je préfère m’assurer que les poules sont bien dans le poulailler et je ferme les portes. Deuxièmement : la catastrophe n’est pas hypothétique puisqu’elle a déjà commencé.
Le deuxième argument contre le catastrophisme n’est que rarement énoncé comme tel mais il est implicite dans l’idéologie dominante. C’est l’argument du risque. La société n’avance que si nous pouvons prendre des risques. Les individus qui privilégient la recherche de la sécurité ne sont pas bien vus en général. Ne pas prendre des risques est considéré comme une preuve d’un manque de caractère dans un monde de compétition. C’est d’ailleurs au nom de cette prise de risque prétendument nécessaire qu’est entreprise la démolition de tous les systèmes de protection sociale considérés comme anesthésiant les facultés des individus à se battre. L’idéologie libérale dominante est celle de Calliclès dans le Gorgias de Platon : il est juste que les forts gagnent et il ne faut pas rogner les griffes des jeunes lions ! Au contraire, le catastrophisme de méthode revient à cultiver la prudence, à prendre des garanties, à privilégier la sécurité, etc., bref s’oppose radicalement à l’état d’esprit nécessaire pour que chaque individu devienne sa propre « start up ».
Ce deuxième argument explique certainement pourquoi, en dépit des proclamations qui affirment que « la maison brûle et nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac) tout le monde agit comme s’il n’y avait aucun danger, et comme s’il ne s’agissait que d’un spectacle de plus. On peut, à une minute d’intervalle, louer la manifestation des jeunes pour « sauver le climat » et se féliciter de l’augmentation prévisible de 3 à 5% par an du trafic aérien pour la décennie avenir.
La veille de la Première Guerre Mondiale était « la Belle Époque ». Et pourtant les avertissements ne manquaient pas. Mutatis mutandis…
Le 23 mai 2019 – Denis Collin



2 commentaires:

  1. Il y a plusieurs autres éléments qui interviennent et je pense a la cupidité de grands de ce monde à éliminer (philisophie du trop grand nombre) comme solution pour ne pas se priver.

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  2. Les prophéties apocalyptiques n'ont que pour but d'imposer un point de vue et de renforcer le pouvoir de ceux qui les profèrent. La raison n'a que faire de ces prophéties. Au contraire elle doit les fuir pour éviter toute pression émotionnelle qui dilue l'entendement.

    Je trouve votre texte très superficiel et très convenu.

    Personnellement je refuse d'entrer dans le jeu religieux des croyances et des affirmations que formule cette idéologie totalitaire qu'est l'écologisme.
    Le monde par ailleurs ne va pas si mal que cela (ou que l'on prétend). Le monde n'a jamais été idéal et il va plutôt mieux aujourd'hui. La vie a toujours été un défit aussi difficile qu'aujourd'hui. Mais c'est un défit plein de promesses, faites de difficultés mais aussi de joies. Le pessimisme ne crée pas il mortifie.

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