Personne ne peut vouloir que le mal reste impuni. Notre sentiment de la justice exige que le malfaiteur rende compte de ses méfaits, que le criminel soit poursuivi et puni pour ses crimes. Voilà qui ne souffre guère de discussion. Cependant, depuis les Lumières, la doctrine pénale, sous l’influence de grands esprits comme Cesare Beccaria, notamment, a admis que l’on devait résolument séparer justice et vengeance, que la justice ne devait pas être une sorte de vengeance légale et que la justice de Rhadamanthe, qui exige que le meurtrier soit tué, devait être remise au magasin des antiquités. On a également conçu que la punition n’avait pas pour but de dissuader ceux qui seraient tentés de devenir criminels, mais seulement de garantir l’ordre social et éventuellement la réinsertion du coupable.
C’est ainsi que tous les pays civilisés ont abandonné la
peine de mort – l’Italie, patrie de Beccaria, montra la voie en l’abolissant
d’abord dans le grand-duché de Toscane en 1786, puis après l’unité italienne en
1889 avant que le fascisme ne la réintroduise. Chez nous, en dépit de la
puissante voix de Hugo, on s’est longtemps accroché à l’idée de peine
dissuasive. Quarante ans après l’abolition, des hommes politiques et une partie de
l’opinion persiste à croire que plus les peines seront dures, moins il y aura de
crimes et de criminels. Quand il s’agit de faits dans lesquels les victimes
sont des enfants, les agitateurs d’émotions y vont de bon cœur. C’est ainsi que
l’actualité a tourné les projecteurs, une nouvelle fois, sur l’inceste et la
pédophilie et que, sous le coup d’émotions habilement entretenues, on se
prépare à voter des lois absurdes au motif qu’elles devraient décourager les
pédophiles et les parents incestueux. Le Parlement discute ainsi une loi qui
fixera le consentement en matière sexuelle à 15 ans, ce qui veut dire que toute
relation sexuelle entre un adulte et un mineur de moins de 15 ans sera
considérée comme un viol, c'est-à-dire un crime, puni comme tel, et que le
consentement du mineur ne pourra plus être invoqué par l’accusé. Et certains
pensent que ce n’est pas suffisant et proposent même de fixer le consentement à
18 ans… ou encore de rendre imprescriptibles tous les délits et crimes sexuels.
Prenons un à un les principaux arguments.
Pour défendre les victimes, il faut renforcer les peines :
cet argument est typiquement l’argument de la force de dissuasion de la peine.
Le violeur ne craint pas la peine au moment où il viole ! Il sait bien
qu’il risque jusqu’à 15 ans d’emprisonnement, première hypothèse, ou alors la
mauvaise foi lui donne toutes les excuses possibles pour dénier le caractère
criminel de son entreprise. Si on pense de peines plus lourdes dissuaderont les
violeurs potentiels, alors il faut aller jusqu’au bout du raisonnement :
le viol peut actuellement être puni de 15 ans de prison, au maximum et il
faudrait donc allonger cette peine maximale : 30 ans, réclusion criminelle
à perpétuité… Et après il ne restera plus qu’à ressortir « la
veuve ».
Le deuxième argument consiste à dire qu’un garçon ou une
fille de moins de quinze ne peut pas consentir à des rapports sexuels avec un
adulte. C’est si manifestement absurde qu’on se demande comment des gens sensés
peuvent croire à de telles calembredaines. L’obscurantisme fait des progrès
galopants. Ce n’est certes pas parce qu’une fille de 14 ans veut faire l’amour
avec son professeur que celui-ci doit satisfaire ce désir ! Un minimum de sens moral ou de décence devrait l’en dissuader, quelque forte puisse être la tentation – la civilisation
nous apprend à supporter la frustration. Mais nul ne peut nier qu’il peut céder
à désir qui nait de ce que l’on se croit désiré et nul ne peut nier que la
jeune personne est vraiment consentante. Ce n’est pas bien, pas bien du tout, mais
ce n’est pas un crime ! On peut sans doute révoquer le professeur, qui a
abusé de son autorité, mais pas le jeter pour de nombreuses années dans un cul
de basse fosse. Les peines doivent être évidemment nécessaires et
proportionnées, dit la déclaration de 1789.
Si un mineur de quinze ans ne peut pas consentir, on va donc
être obligé de supposer qu’il n’a pas encore l’atteint l’âge où il peut juger
du bien et du mal dans tous les domaines, et pas seulement en matière sexuelle.
Il faudra donc réviser toutes les lois et fixer la majorité pénale au moins à
15 ans. Par exemple, un mineur de 14 ans entrainé dans une bande de petits
voyous de 18 ans devra être considéré comme victime ! C’est l’une des
nombreuses absurdités auxquelles conduit le déchaînement punitif actuel. Jadis,
on fixait l’âge de raison à 7 ans… Le progrès est époustouflant.
Comme si cela ne suffisait pas, on ajoute un élément
supplémentaire, l’inceste. Certains proposent que non seulement l’inceste soit
considéré comme circonstance aggravante, mais encore que dans ce cas le
consentement soit fixé à 18 ans. L’introduction de l’inceste dans le droit
pénal est une innovation que l’on doit à Nicolas Sarkozy. Elle est contraire à
toute la tradition française qui ne considère pas les « liens du
sang » mais les rapports d’autorité – c'est-à-dire au fond la question de
la liberté du sujet. Mais tout le monde a oublié cette affaire et, à droite
comme à gauche, la doctrine sarkoziste est devenue si commune qu’on ne la
remarque plus. Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette question de
l’inceste. Ce qu’on fera une autre fois.
Nous sommes en vérité face à une situation étrange. On
s’évertue de tous côtés à détruire le « surmoi », c'est-à-dire la
constitution d’une instance qui impose la loi à chacun d’entre nous. On parle
de sexe dès l’école, on stimule la curiosité des enfants, on vend de la
quincaillerie qui permet de regarder son premier film porno à l’âge de 9 ans. Mais
d’un autre côté, on entreprend des croisades pour extirper définitivement le
mal. Sous des formes variées, une nouvelle sainte inquisition est en marche
pour assurer la purification des mœurs, puisque nous savons maintenant qu’un
homme adulte qui fait la cour à une femme adulte est déjà un violeur en
puissance.
J’y vois le vigoureux commencement du totalitarisme.
Le 21 mars 2021
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