Les mortels : c’est ainsi que les Grecs désignaient les humains. Il est cependant quelque chose d’aussi important pour les désigner : la natalité. Hannah Arendt a bien souligné cette dimension rarement notée. Tous les humains sont nés du ventre d’une femme et le simple savoir de ce fait est la connaissance intime de notre dépendance radicale, de notre contingence ou pour parler comme Sartre de notre facticité.
On a souvent pensé que d’être né créait une sorte d’amour naturel envers la mère (voir Freud) mais on a trop peu souligné l’ambivalence des sentiments. Car il n’est pas agréable du tout de savoir sa propre facticité, de reconnaître sa dépendance, d’apprendre que sa liberté s’élève sur fond de non-liberté. Les filles peuvent trouver une compensation à cette conscience malheureuse dans le savoir qu’elles peuvent devenir mères à leur tour et disposer de ce pouvoir extraordinaire de mettre au monde des nouveaux humains, ces nouveaux qu’il faudra ensuite faire entrer dans le monde. Pour les garçons et pour les hommes rien de tel. La virilité est toujours problématique et la paternité incertaine. L’angoisse de la castration par la mère castratrice, voilà qui explique les méfaits de nombreux malfaiteurs et l’ardeur qu’ont mise les mâles historiquement à réduire les femmes en servitude.
Si l’on suit le rassurant schéma hégélien de la dialectique maîtrise-servitude, tout cela devrait se terminer dans la reconnaissance réciproque et l’égalité. Mais Hegel est le dernier grand philosophe des Lumières et pèche souvent par trop d’optimisme. Surtout ne pas être femme, voilà la réaction que produit aussi chez les femmes la haine des mères, qui devient une terrible haine de soi, laquelle ne peut que devenir une implacable haine des autres. Et c’est sans doute là que l’on devrait rechercher l’origine de ces deux phénomènes en apparence opposés, le retour en force d’un islamisme marqué par une haine des femmes inouïe comme nous le voyons chez les talibans, et la recherche folle d’indifférenciation des sexes, de leur suppression pure et simple, ce qu’exprime la mode du « trans » et les revendications ouvertes de castration de tous les mâles.
Au moment où notre société pue la mort comme jamais, où la vie est déclarée ennemi numéro un, la haine de la natalité des humains trouve naturellement toute sa place. Non pas la haine d’avoir des enfants, mais la haine d’avoir des enfants que l’on n’a pas entièrement contrôlés ab initio. Un enfant fabriqué n’est plus un enfant à naître avec sa redoutable contingence pour la mère et, le cas échéant, le père. Un enfant fabriqué est un produit qui manifeste notre liberté sans loi qui est toujours plus une pure folie.
Il y a là seulement quelques intuitions et quelques pistes pour un programme de recherche pour psychanalystes, historiens et sociologues. Nous sommes engagés dans un bouleversement anthropologique sans précédent et à la clé il se pourrait que l’homme (le genre humain) finisse par s’effacer « comme un visage de sable » ainsi que le prophétisait avec gourmandise Michel Foucault.
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