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jeudi 4 février 2021

Sexe et consentement

Depuis le récit de Vanessa Springora intitulé Le consentement (récit inspiré par ses relatons avec Gabriel Matzneff alors qu’elle était encore adolescente) la question du consentement des mineurs aux relations sexuelles avec des majeurs est revenue dans le débat public. En publiant La familia grande, Camille Kouchner, belle-fille d’Olivier Duhamel,a contraint à aborder à nouveau cette question puisque quelques-uns des défenseurs du célèbre constitutionnaliste ont cru bon de suggérer que, peut-être, les relations sexuelles imposées à son beau-fils âgé de treize étaient consenties. Mais alors s’y est entremêlée la question de l’inceste. Entre temps le Sénat était saisi d’un projet de loi modifiant l’âge du consentement. Et comme d’habitude tout est embrouillé, tant dans les polémiques sur les réseaux sociaux que dans les dîners amicaux ou familiaux. Je vais laisser de côté les aspects juridiques de cette affaire. 


Quand on a appris que le Sénat avait porté à 13 ans l’âge du consentement, on a entendu des cris d’orfraies : le Sénat autoriserait les relations sexuelles avec des enfants. Pour un peu, les honorables « pères conscrits » de la République étaient assimilés à des pédophiles. Il n’en est évidemment rien. En fixant à 13 ans l’âge du consentement, le Sénat n’a pas changé l’âge de la « majorité sexuelle » (15 ans) mais il a durci la loi en supposant que des relations sexuelles avec un mineur de 13 ans étaient toujours considérées comme viol ou agression sexuelle et non plus simplement comme une atteinte sexuelle comme ce pouvait être le cas auparavant si le ce consentement était retenu comme excuse – ainsi un tribunal, il y a quelques années avait acquitté du chef d’accusation de viol un homme adulte ayant eu un rapport sexuel avec une fillette de onze ans, puisque les débats avaient établi le consentement de la victime ; ne restait que l’accusation d’atteinte sexuelle. Après le texte du Sénat, on pouvait lire sur les réseaux sociaux que 13 ans c’était vraiment trop jeune pour consentir, et que même à quinze ans une relation sexuelle était toujours une sorte de viol. Une furie purificatrice semble s’être emparée de meilleurs esprits et même chez des gens d’extrême gauche on a crié au laxisme – ce qui rappelait aux plus âgés la triste affaire de Bruay-en-Artois agitée à l’époque par les maoïstes, Serge July en tête : dans les affaires de sexe, la loi sur les suspects qui fut en vigueur pendant la Terreur est régulièrement réactivée.

Il serait facile d’ironiser. Depuis plusieurs décennies, on considère que les enfants sont des citoyens à part presque entière. À partir de 13 ans, ils peuvent choisir chez lequel des deux parents ils veulent vivre en cas de divorce, ils peuvent changer de nom (prendre celui de la mère plutôt que celui du père). On suppose leur consentement quand ils manifestent leur « dysphorie de genre ». Avec leur consentement prétendu, les parents peuvent faire ordonner des traitements hormonaux pour bloquer la puberté. Mais pour le sexe, si on en croit certains, il faudrait repousser l’âge de la majorité à 18 ans – comme en Turquie, bien que dans ce pays cela n’empêche nullement les mariages des enfants, pendant que la très gouvernementale direction des affaires religieuses rappelle que l’âge du mariage est de 9 ans pour les filles et 12 ans pour les garçons selon la loi islamique. Les propositions des défenseurs de enfants de 0 à 18 ans sonnent étrangement.

En réalité, nous en sommes là parce que l’ethos, la « Sittlkichkeit » comme dirait Hegel, s’est presque complètement effondré. Il faut des lois, toujours plus lois, des lois pour limiter d’autres lois et même les contredire, parce que l’idée de morale commune, à laquelle nous nous référerions spontanément est une idée qui a disparu. Les « bobos » (bourgeois bohèmes) sont aussi des « lilis » (libéraux-libertaires) et ils ont méthodiquement procédé à la destruction de cette éthique commune pour lui substituer la morale minimale1 et il nous faut affronter avec les moyens du bord la situation chaotique qui a été créée. Les pandores prennent la place du surmoi, dont Freud faisait pourtant un acquis civilisationnel précieux.

La pédophilie est sans doute vieille comme le monde et sans doute plus courante dans le passé qu’elle ne l’est aujourd’hui. Quand on a commencé à la mettre en lumière, à partir notamment de l’affaire Dutroux puis du procès d’Outreau, on y est allé sans précaution. « Les enfants disent toujours la vérité », répétait Mme Royal, alors ministre et pas encore ambassadrice des pôles. Et puis, à Outreau et ailleurs on s’est aperçu, quelle découverte, que les enfants pouvaient mentir, accuser leur instituteur parce qu’ils voulaient lui jouer un mauvais tour ou se venger d’une réprimande. Sommes-nous vraiment sortis de là ? Sans doute pas et la mode des #metoo et la nouvelle loi sur les suspects promues par des féministes qui se prennent pour Saint-Just continuent de frapper – beaucoup de féministes et non des moindres exigent aujourd’hui une présomption de culpabilité, des hommes vis-à-vis des femmes, des adultes vis-à-vis des enfants. On trouve des philosophes (sic) et des juristes (resic) pour soutenir la présomption de vérité des victimes ou prétendues telles et pour mettre en cause la présomption d’innocence au motif que les salauds s’en tirent trop souvent. « Tous coupables », voilà le nouveau cri des Torquemada contemporains. Pour éradiquer un mal – comme si on pouvait définitivement éradiquer le mal – et pour faire advenir l’empire du bien absolu, nos sociétés semblent prêtes à balayer tous les principes du droit. Il y a des « bavures », des « dégâts collatéraux », des gens qui se suicident parce qu’ils ne supportent pas la calomnie, ni le regard des « braves gens » qui se disent « il n’y a pas de fumée sans feu »On ne peut plus tenir la meute quand le goût du sang l’excite.

J’ai eu l’occasion de dire ce que je pensais de l’affaire Matzneff et de l’affaire Duhamel. Inutile d’y revenir. Je voudrais plutôt dire quelques mots de la sexualité des enfants et des adolescents et du consentement, puisque cette circonstance a été invoquée comme une excuse possible dans le cas Duhamel – comme elle était invoquée dans le cas de Vanessa Springera tombée sous l’emprise de Matzneff. Le consentement est en effet une question essentielle. Toute la doctrine moderne du contrat repose sur le consentement : dès lors que les deux parties ont consenti, le contrat est valide et pacta sunt servanda (les pactes doivent être honorés). Toute la conception libérale du monde repose là dessus. Mais quid du consentement quand les contractants sont dans des positions asymétriques ? Peut-on consentir à se soumettre ? Cas classique : le contrat de travail qui est reconnu comme un « contrat de soumission » puisque le salarié s’engage à se soumettre à son employeur. Autre cas classique : l’abus de faiblesse. Arracher à un vieillard en état de faiblesse un testament, ce n’est pas un contrat mais une des variantes de l’escroquerie. Les enfants sont régulièrement soumis à de tels « contrats » reposant sur l’abus de leur faiblesse : le commerçant qui profite de la naïveté de l’enfant pour lui refourguer de la camelote ou lui vendre quelque chose dont il n’a aucun besoin commet un délit. Mais avec internet (entre autres) de tels délits se commettent à cadence élevée et sans qu’il y ait la plus petite sanction.

Comme le droit du travail doit protéger le travailleur des abus, toute la législation des mineurs doit les protéger contre les abus dont ils peuvent être victimes de la part des majeurs et c’est à l’intérieur de ce cadre que se place la question de la sexualité. Il est très simple de répondre à la question de la protection des mineurs face aux viols ou aux agressions sexuelles. Ces cas doivent être traités comme des violations graves des droits de la personne, avec la circonstance aggravante que la victime est mineure et qu’il est plus facile à l’agresseur, d’abuser de sa position dominante. Le viol est un crime qui peut valoir 20 ans de prison au coupable. Veut-on encore durcir la loi ? Faut-il rétablir la peine de mort?

Où les choses sont plus complexes, c’est quand le mineur a réellement consenti à des relations sexuelles avec un majeur. Jadis, il y a très longtemps, on prêtait aux enfants l’innocence de l’agneau et seuls les adultes vicieux pouvaient les corrompre. Mais la simple connaissance de la réalité humaine permet d’affirmer que les enfants ne sont « innocents » en matière sexuelle. Le sexe est une question qui les intéresse, bien avant que les garçons aient eu leurs premières pollutions nocturnes et les filles leurs premières règles. Cette curiosité sexuelle trouvait difficilement sa satisfaction, à part dans quelques jeux enfantins ou si un monsieur pas très bien intention venait offrir des bonbons à la sortie de l’école. Ce n’est évidemment plus le cas. Dans leur grande majorité, les enfants ont des smartphones qui leur donnent l’ouverture immédiate sur les sites pornos. Certaines enquêtes fixent à neuf ans l’âge moyen du premier visionnage de vidéo porno. On remarquera que cette évidente incitation à la débauche et à la corruption de mineurs n’est l’objet d’aucune mesure, de quelque nature qu’elle soit, sinon le grotesque « contrôle parental » et le clic sur « j’ai plus de 18 ans ». Les parents qui donnent des smartphones aux enfants pour les joindre (c’est un nouveau fil à la patte) et avoir la paix (pendant qu’ils jouent sur leur téléphone, ils ne nous cassent pas les oreilles) ont évidemment une grande responsabilité ! Mais même si vous ne odnnez pas de portable à votre enfant, il aura accès aux mêmes vidéos avec le portable d’un copain. Et, de toute façon, les intérêts commerciaux du porno sont si importants qu’on voit mal qui voudrait s’attaquer à PornHub, nonobstant le fait que le principe de liberté permet aux adultes de lire et voir ce qui leur plaît. Quoi qu’il en soit, nous avons là un chapitre de la protection des mineurs qui ne semble pas émouvoir grand monde. Il n’est pas besoin d’avoir fréquenté la villa de Duhamel à Sanary pour s’initier tôt à la chose sexuelle. Beaucoup de journalistes ont fait mine d’être outragés aux récits de Camille Kouchner, mais ils auraient du suivre d’un peu plus près leurs propres enfants…

Que des enfants, surtout à l’âge de la puberté puisse consentir, pleinement, à des propositions de nature sexuelle, ce n’est pas du tout étonnant. Les enfants, même petits, peuvent être amoureux. Tout juste adolescents, combien sont « tombés amoureux » d’un de leurs professeurs et si se noue une relation intime, on aura du mal à plaider qu’elle ait été contre le consentement du jeune garçon ou de la jeune fille, sauf à considérer qu’avant 18 ans on est dépourvu de tout discernement et de toute personnalité propre. En 1969, Gabrielle Russier, professeur de lettres, tout juste trentenaire, est traînée en justice à la suite d'une liaison amoureuse avec un de ses élèves, Christian Rossi, alors âgé de seize ans ; elle est condamnée à un an de prison avec sursis pour enlèvement et détournement de mineur et se suicide dans son appartement marseillais. L’affaire avait ému l’opinion publique, jusqu’au président de la République de l’époque, Georges Pompidou. Quelques années plus tard, le futur président de la république, Emmanuel Macron nouait avec son professeur de lettres une relation amoureuse qui ne semble plus choquer personne. Dans les deux cas, la relation entre un mineur (consentant) et une personne ayant autorité sur lui rend la relation illicite. La détermination des âges légaux a toujours quelque chose d’arbitraire et on présume que les magistrats seront aptes au discernement – ce qui ne va pas de soi, puisque désormais la multiplication des lois rend souvent le verdict presque automatique. Mais le véritable problème n’est justement pas légal. Il devrait être moral.

Freud avait expressément interdit la relation entre le psychanalyste et ses patientes – interdit que Ferenczi avait allégrement enfreint. Pourquoi ? Tout psychanalyste sait que son patient fera un transfert vers son analyste et que donc l’amour qui lui est adressé ne lui est pas adressé réellement. Il est adressé à la personne dont l’analyste est le substitut dans le processus d’analyse. De la même manière l’amour que l’élève pourrait vouer à son professeur n’est jamais l’amour voué à la personne du professeur en tant qu’humain, mais un substitut de l’amour dirigé vers le père ou la mère, une manifestation à retardement du complexe d’Œdipe. Par conséquent, l’éthique du professeur devrait lui interdire de céder au désir qu’il pourrait éprouver envers ce jeune garçon ou cette jeune fille. Les discussions sur l’âge légal du premier rapport sexuel sont donc un peu oiseuse si on ne met pas à l’arrière-plan cette simple décence qui devrait être commune. Selon la loi, un jeune homme de 18 ans et un jour qui couche avec une fille de 14 ans et 364 jours est un hors la loi. On se doute qu’il ne se trouvera pas un seul juge pour condamner le jeune homme dès lors que la jeune fille était consentante. Du moins, on ose l’espérer.

Fixer un âge en-dessous duquel on considère qu’il y a toujours non-consentement, voilà qui pourrait sembler évident. Mais cela pose aussi de très nombreuses questions. Deux adolescents de 14 ans sont assez grands pour tenter leur première expérience amoureuse. On considérera qu’il n’y a pas atteinte sexuelle dans ce cas, suppose-t-on. Mais que l’un ait plus de quinze ans, cela change-t-il quelque chose ? Là encore, on peut espérer que les magistrats, si une telle affaire arrivait devant eux, seraient assez avisés pour suivre le bon sens. Mais rien n’est garanti, comme n’est pas garantie la mansuétude des parents.

L’âge du consentement n’est pas plus facile à fixer que celui de la majorité pénale. Dans une note du Sénat, on peut lire : « La jurisprudence considère en général que, dès huit à dix ans, les enfants possèdent la capacité de discernement suffisante pour être pénalement responsables de leurs actes. Quant aux sanctions pénales encourues par les délinquants mineurs âgés d'au moins treize ans, elles ne sont pas énoncées par le code pénal, mais par l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, car le droit pénal des mineurs est un droit autonome. » Il faut donc distinguer la capacité de discernement (les Sénateurs, comme la tradition, la fixent à huit-dix ans, c’est-à-dire quand l’enfant a atteint « l’âge de raison »). Si à dix ans on est pénalement responsable2, pourquoi ne pourrait-on pas consentir à des rapports sexuels ? On aurait du discernement pour savoir qu’il est mal de voler ou de tuer mais plus de discernement pour les choses du sexe ?

Toute cette histoire de consentement soulève plus de problèmes qu’elle en résout et ouvre la voie à des discussions sans fins et à des injustices. Mais, comme toujours, on croit bien faire en édictant des lois sévères, mais les lois sévères n’ont jamais arrêté les prédateurs tout en augmentant mathématiquement et sans raison le nombre des délinquants. Là encore, on espère que la magie du texte viendra suppléer l’absence de décence commune.

Bien que le lien ne soit pas évident, j’aborde pour terminer la question de l’inceste. Le lien est fait par l’affaire Duhamel. Jusqu’en 2010, la loi française ignorait purement et simplement l’inceste. Le code civil interdit les mariages entre frères et sœurs ou entre ascendants et descendants, mais nullement les rapports sexuels dès lors qu’ils ont lieu entre majeurs consentants. Plus, le mariage entre cousins germains n’étant pas expressément interdit par la loi est donc autorisé. Mais comme dans ces affaires on parle à tort de consanguinité, sont également interdits les mariages entre un homme ou une femme et les enfants de son ex-épouse ou époux qui n’ont pourtant aucun lien de « sang ». De même les enfants adoptés sont-ils considérés comme « tabou » bien qu’ils n’aient pas de liens consanguins avec leurs parents adoptifs. La notion d’inceste n’existe que pour les cas d’atteinte ou d’agression sexuelle comme circonstance aggravante si le coupable a des relations de parenté avec la victime. De fait ça ne change rien, puisque de toutes façons l’exercice de l’autorité sur un mineur est une circonstance aggravante. L’insertion de l’inceste dans le code pénal en 2010 a satisfait certaines obsessions mais évidemment n’a pas protégé les enfants contre les atteintes sexuelles incestueuses. On peut se demander pourquoi, avant 2010, l’inceste ne figurait pas dans le code pénal ? Tout simplement parce que l’inceste ne peut pas être juridiquement défini ! Seuls les liens légaux de parenté sont définis puisqu’ils figurent dans le code civil. Les « liens du sang », la loi française, et c’était sa grande sagesse, les ignorait. L’introduction de l’inceste s’inscrit dans un ensemble de dispositions qui visent de facto et paradoxalement à re-naturaliser la filiation qui est simplement affaire de loi jusqu’à présent. Comme on va bientôt abolir l’accouchement sous X et l’anonymat des donneurs de sperme, on va se trouver confronté à des tas de complications déjà prévisibles. Un donneur de sperme tombe amoureux de sa fille génétique devenue majeure, que fait-on ? Jusqu’à présent, il ignore que c’est sa fille génétique et donc il ne se passe rien. Si demain il sait et si elle aussi sait, ils n’auront plus l’excuse de l’ignorance et leur relation deviendra incestueuse. L’obsession de la pureté du sang et des tests génétiques pour vérifier la filiation va se généraliser. La destruction de l’ordre symbolique ouvre bien la voie à ce que Pierre Legendre appelle « conception bouchère de l’humanité ». Il ne faudra plus inscrire les humains sur un état civil mais sur un « herd-book » comme les animaux.

Ainsi nos innovations juridiques propulsées par les revendications de tous les groupes de pression et par la passion ravageuse du bien absolu nous mènent droit vers un monde qui sera de moins en moins vivable.

Denis Collin – 2 février 2021

1Voir Denis Collin & Marie-Pierre Frondziak, La force de la morale, éditions R&N, 2020

2Ne pas confondre responsabilité pénale et sanction pénale.

jeudi 23 janvier 2020

La morale du consentement en question


Le titre du livre de Vanessa Springora, Le consentement, est à la fois ironique (l’homme mûr a mis dans son lit une jeune fille « consentante ») et inquiet. Inquiet parce que le récit de Mme Springora nous confronte à la question épineuse du consentement, non pas seulement du consentement des jeunes filles, mais du consentement en général. Évidemment, que les exploits de Gabriel Matzneff aient pu passer pour de la littérature pendant si longtemps, c’est déjà inquiétant. Il écrit si bien, disait-on ! Comme si ce qu’il écrivait était de la fiction, lui qui confessait son goût pour ce « troisième sexe » formé par les garçons et les filles entre dix et quinze ans… Matzneff s’était vanté sans que cela choquât l’honorable société des gens de lettres d’avoir sodomisé des garçons de 10 ou 11 ans lors d’un voyage dans quelque contrée asiatique spécialiste du tourisme sexuel. Voilà pour la partie visible de l’affaire, pour ce qui a fini par constituer, à juste titre, un scandale. Mais si l’on s’en tient là, tout cela sera inutile. Ce dont il s’agit au fond, c’est de mettre à nu, sans esquive et sans faux-fuyant tout ce qui se cache dans la « société du consentement » et pas seulement du consentement dans les choses sexuelles.
Le consentement, c’est d’abord et avant tout ce qui conclut un contrat. Si les deux parties ont consenti, le contrat est valide. Les partisans de la « morale minimale » font du consentement l’ultima ratio de la morale. L’État n’a rien à dire à propos quelque chose qui se passe entre personnes privées consentantes. Rien à dire, par exemple, contre les pires pratiques sadomasochistes dès lors qu’il s’agit d’adultes consentants. Dans son livre, L’individu qui vient, Dany Robert Dufour rappelait cette histoire passablement glauque de deux notables faisant subir à l’épouse de l’un d’entre eux les pires avanies avant de poster sur internet la vidéo de leurs exploits. Le mari avait été condamné par la justice belge pour « coups et blessures ». L’affaire alla jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme qui considéra qu’il s’agissait de la vie privée et de « l’autonomie personnelle » des individus en question. Par conséquent, la Cour conclut que « le droit pénal ne peut en principe intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles consenties, qui relèvent du libre arbitre des individus », sauf « des raisons particulièrement graves », ici en l’espèce réunies, puisque l'épouse demandait sans succès l’arrêt des blessures qui lui étaient infligées et était ainsi privée du moyen d’arrêter « une escalade de violence ». Ce n’est que dans la mesure où, dans cette affaire, l’auteur des blessures a continué malgré la demande de la masochiste, que la Cour estime que la condamnation du sadique par le juge pénal belge est justifiée. Autrement dit, le consentement n’a aucune espèce de limite dès lors qu’il reste dans le domaine privé. La « morale par agrément » défendue notamment par David Gauthier est une morale des contrats, conforme à la philosophie politique dominante chez les Anglo-saxons, une philosophie qui se retrouve à tous les étages du système juridique – voir notamment le rôle majeur que joue le pratique américaine des transactions (le plea bargaining) dans la procédure judicaire.
Que le consentement soit la condition minimale des accords, c’est suffisamment évident pour qu’il soit inutile de développer plus. Les relations sexuelles non consenties s’appellent « viol » et un don non consenti s’appelle un vol. Mais une condition nécessaire n’est pas une condition suffisante ! Que je dise « oui » (c’est le « performatif » du consentement) ne rend pas pour autant légal et encore moins juste l’acte auquel j’ai dit « oui ». Schématiquement, on peut définir trois dimensions du consentement qui vont venir compliquer sérieusement la tâche des minimalistes moraux.
Tout d’abord qui peut consentir ?
Tout individu est un sujet de droit, titulaire de droits inaliénables, mais tout individu n’est pas toujours en mesure d’exercer tous ses droits et pour cette raison d’ailleurs la loi se doit de défendre les droits de celui qui ne peut pas les défendre lui-même. Le consentement des enfants est loin d’être une affaire simple. On se passe du consentement des enfants pour les envoyer à l’école, mais qu’ils aient consenti à suivre un monsieur qui leur offre des bonbons à la sortie de l’école ne fait pas du détournement de mineurs un acte légal ! La loi fixe des âges auquel l’enfant entre graduellement dans le monde des adultes, dans le monde où il peut à la fois décider et être rendu responsable. Il y a, en France, une justice spéciale des mineurs. On peut infliger des sanctions pénales à un jeune entre 13 et 18 ans. Avant 18 ans, toutefois, le jeune prévenu bénéficie de l’excuse de minorité, excuse qui peut néanmoins être levée sur décision motivée du juge. Remarquons aussi, dans un autre ordre d’idées, qu’à partir de l’âge de 13 ans les enfants mineurs peuvent décider eux-mêmes chez lequel de leurs parents ils habiteront, en cas de divorce.
En matière sexuelle, la majorité est fixée à 15 ans, mais il n’y a pas d’âge minimum pour dire si une relation est consentante ou pas. Qu’un adulte ait des relations avec un mineur de moins de 15 ans est une violation de la loi, mais pas forcément un viol. Tous ces points sont en discussion aujourd’hui. Dans le cas Matzneff, l’écrivain était coupable de relations sexuelles avec mineure de moins de quinze ans, mais non coupable de viol sur la personne de Vanessa Springora. Vouloir confondre les deux, comme l’idée en est avancée par M. Macron, qui propose de présumer le non-consentement en-dessous de quinze ans, semble très contestable puisque l’on confond alors des choses très différentes et cette confusion rejaillirait immanquablement sur l’ensemble du Code pénal. Donc que Vanessa Springera ait été « consentante » ne suffit pas à disculper Matzneff, mais cela n’en fait pas un violeur. Le problème est ailleurs et en confondant les deux, comme le font les partisans de la présomption de non-consentement, on évite de poser ce problème plus grave !
Notons également que le consentement de certains majeurs peut être, lui aussi, sans valeur : les vieillards séniles ou les déments ne peuvent consentir. Par exemple, profiter de la faiblesse ou de la sénilité d’une personne pour extorquer un consentement est puni par la loi (abus de faiblesse) et un testament obtenu dans de telles conditions peut être annulé.
En deuxième lieu, il faut interroger les conditions de l’accord.
Les conditions sociales ou individuelles peuvent très bien aboutir à arracher le consentement d’une personne majeure et saine d’esprit. C’est ce qui arrive très souvent dans le cas de relations asymétriques. En période de disette, le vendeur de pain peut vendre son pain à n’importe quel prix tant qu’il trouvera un acheteur. Il exploitera ainsi la situation particulière en vue de s’assurer un avantage particulier. C’est pourquoi Robespierre avait fait prendre cette législation rigoureusement antilibérale sur le maximum auquel on pouvait vendre des aliments. Dans les relations de travail, il existe également une asymétrie radicale entre employeur et employé. Le contrat de travail est un contrat de soumission qui permet à l’employeur d’obtenir le consentement de l’employé… qui n’a pas d’autre choix que de consentir sous peine de se retrouver à la rue. Les libéraux n’aiment guère que l’on parle de ces choses désagréables à leurs oreilles libérales : pour eux le renard est libre et les poules sont libres de se faire manger avec leur consentement.
En ce qui concerne le consentement sexuel, il est assez clair que les relations consenties entre un monsieur d’âge mûr et une jeune fille sont des relations asymétriques : l’homme mûr exploite son avantage, parfois en toute bonne conscience, sur une adolescente qui se trouve dans la confusion des sentiments si caractéristique de cet âge et peut trouver un père de substitution avec lequel elle puisse avoir des relations sexuelles. Tout homme responsable, même s’il sait les sentiments de la jeune fille, devrait refuser d’y donner suite… et encore moins les susciter. Certes, la chose serait plus difficile à décider dans le cas où la différence d’âge est plus faible : que penser des relations entre un majeur de 18 ans et une mineure de 14 ans ? Sans changer le principe, on pourrait laisser la décision au discernement du juge si l’affaire était portée à la connaissance de la justice. Par ailleurs l’arsenal judiciaire en ces matières est déjà très complet – la corruption de mineurs par exemple est là pour protéger les mineurs des tentations que leur offrent des adultes. Mais, quoi qu’il en soit, il est clair que le consentement dans les relations sexuelles entre mineurs et majeurs ne joue que pour distinguer le viol du détournement de mineurs, ce qui n’est pas rien.
En troisième lieu, il faut déterminer quel est l’objet du consentement.
Consentir à apporter le café à son patron ou consentir à coucher avec lui, ce n’est pas la même chose. À l’intérieur des relations de travail, le contrat de travail et le droit du travail fixent les limites du consentement. C’est d’ailleurs pour s’affranchir de ces limites que les « libéraux » ont entrepris de détruire le Code du travail afin de pouvoir extorquer sous pression le consentement des employés à toutes les décisions patronales. On invoque le consentement dans le cadre des lois bioéthiques. Toute démarche de soin lourde (opération, chimio, etc.) requiert le consentement du patient. De même quand un patient est pris dans un traitement expérimental, il doit en être informé et doit donner son accord pour être cobaye. Il en va de même pour les dons d’organes. On demande toujours au donneur un « consentement libre et éclairé » et il en va de même pour le receveur. Mais ce que cela signifie n’est pas du tout clair. En quoi un patient gravement malade peut-il donner un consentement libre ? Et a fortiori que veut dire qu’il est éclairé puisque ce sont précisément les réactions à son traitement qui doivent éclairer le corps médical ? Mais il y a aussi des cas où le consentement est soit impossible – sauver un accidenté entre la vie et la mort, par exemple – soit discutable : celui qui refuse la transfusion sanguine qui le sauvera doit-il être laissé à son triste sort et doit-on le laisser mourir parce que telles sont ses convictions religieuses ? Plus, qu’en est-il quand c’est un enfant qui est en cause et que ses parents, type témoins de Jéhovah, refusent pour lui cette transfusion qui le sauvera ? Il semble bien que les médecins quand il s’agit de la vie du patient soient en droit de ne pas prendre en compte le consentement du patient ou du tuteur du patient.
Si l’on revient au cas abordé en introduction, jusqu’à quel point le consentement, par masochisme, à des tortures sadiques est-il admissible ? Poussé jusqu’au bout, le masochiste demande la mort. Si je demande à un proche de me tuer et que je couche mon consentement sur papier devant notaire, quelle valeur aura ce consentement quand mon « euthanasieur » passera à l’acte ? On voit que l’on touche très vite les limites de cette notion de consentement.
En vérité, le consentement n’est souvent ni nécessaire ni suffisant !
La place que le consentement occupe dans la réflexion morale contemporaine est liée évidemment à l’affaissement général de la morale et au fait qu’il n’existe plus guère que le droit pour faire tenir ensemble les individus dans la « société liquide ». Mais précisément le droit est toujours, et c’est tant mieux, restreint dans son champ d’application à ce qui est strictement nécessaire, alors que la morale, non pas la morale abstraite, mais la morale pratique et communément admise (l’éthicité, dirait Hegel) est seule apte à guider notre jugement. Si dans certains pays – et ce sera immanquablement le cas de la France dans un avenir très proche – les jeunes gens ne peuvent plus flirter sans avoir signifié officiellement leur consentement (il existe pour cela des applications sur téléphone portable), c’est tout simplement parce que les règles élémentaires de la civilité se sont dissoutes, parce que la confiance mutuelle dans des valeurs morales communes n’existe plus, parce que la simple courtoisie, la retenue dans les rapports entre les sexes sont désormais tenues pour des prescriptions hors d’âge. Dans le cas Matzneff, le problème n’est pas le consentement (ou non) de Vanessa Springora, mais l’absence totale de sens moral de ce vieux porc célébré par l’intelligentsia parisienne – C’est d’autant plus vrai qu’en l’occurrence il ne s’agissait pas d’un accident, d’une faiblesse soudaine chez un homme touché par le retour d’âge, mais d’un comportement théorisé et assumé, au point qu’il en a longtemps tiré gloire auprès de ses pairs…
Certes, si l’on suit ce raisonnement, il faudra retourner à cette horrible chose qu’on appelle morale et admettre que tous les individus ne peuvent se ramener à l’équivalent général « individu consentant », admettre que les parents et les enfants, ce n’est pas la même chose, que les jeunes tout juste sortis de l’adolescence et les vieux barbons ne peuvent être interchangeables, et même, que c’est terrible à dire, que les rapports entre les sexes ont soumis à des règles de pudeur et que les sexes ne sont pas, eux non plus, interchangeables. Il faudrait aussi en profiter pour mettre en question cette société des individus, sevrés de toute communauté, et qu’on laisse désolés face à monde où dans chaque acte de sa vie il faut être l’entrepreneur de soi-même. Ici on touche clairement aux implications les plus politiques de ces affaires morales.

Denis Collin – le 23 janvier 2020

dimanche 5 janvier 2020

Affaires de pédophilie : un nécessaire retour à la décence commune



Quelques considérations à partir de "l'afffaire Matzneff". [Une version courte de cet article a été publiée le 30 décembre sur le site du journal Marianne]

La pédophilie a toujours fait partie des mœurs des puissants. Sade donne sur ce plan un témoignage terrible. Dans la Philosophie dans le boudoir, il rappelle : « Néron, Tibère, Héliogabale immolaient des enfants pour se faire bander ; le maréchal de Retz, Charolois l’oncle de Condé, commirent aussi des meurtres de débauche : le premier avoua dans son interrogatoire, qu’il ne connaissait pas de volupté plus puissante que celle qu’il retirait du supplice infligé par son aumônier et lui sur de jeunes enfants des deux sexes. » Sade et combien d’autres ? Toujours le « divin marquis » donne la clé : « il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande ».
La domination sur les femmes trouve son prolongement dans la domination sur les enfants. Et la racine de toutes ces formes de domination n'est rien d'autre que la mise en esclavage de l'homme par l'homme. Lire ou relire Engels, même si on vous répète que c’est dépassé. On trouvera ces affirmations bien schématiques, mais on ne peut pas séparer en tranches distinctes les différentes formes de domination. Quand apparaît la domination de l’homme sur l’homme ? Nous n’en savons rien. Avec le néolithique, pensait-on et l’apparition d’un surplus social relativement important, peut-être avant – Brian Hayden la fait remonter quelques dizaines de milliers d’années plus tôt, avec les premières formes de sédentarisation (l’âge des cabanes cher à Rousseau). Mais quoi qu’il en soit, les systèmes de domination n’apparaissent qu’à un certain stade du développement de l’humanité et ne sont pas ancrés dans la différence chromosomique des sexes comme semblent le soutenir certaines féministes de l’école d’Antoinette Fouque. Que les femmes et les biens deviennent des biens dont on peut jouir à volonté, c’est propre à la société de classes, c'est-à-dire aux sociétés évoluées qui permettent la stabilisation d’une couche de dominants. Le trafic des humains en général et le trafic des femmes en particulier ne peuvent pas épargner les enfants. Bien au contraire : ils sont les plus faibles et leur vie ne vaut rien.
Évidemment, pendant des millénaires, on s’en est peu soucié. L’enfant étant « celui qui n’a pas la parole » (en latin l’infans est celui qui ne parle pas – fari) n’est presque pas un humain. On commence à se soucier des enfants à l’époque moderne et la pédophilie n’est devenue criminelle que tardivement et surtout dans les pays chrétiens bourgeois où sont proclamés « les droits de l’homme » comme droits « innés ». Situation du reste très contradictoire puisque dans son développement le capital va avaler la chair fraîche des enfants jusqu’à ce que les premières lois sociales du XIXe siècle.
Les contes avec ogres et grands méchants loups racontent aussi cette situation précaire des enfants. Et le peuple, de long temps, soupçonna vite, et parfois à juste titre, les puissants d’abuser sexuellement des enfants – ils les mangent symboliquement. Le puritanisme protestant a contribué à déplacer les accusations de pédophilie vers les classes intellectuelles et artistiques aux mœurs dissolues. Matzneff n’est vraiment pas un cas isolé. On se souvient d’un chanteur français célèbre, homosexuel, accusé d’avoir un amour immodéré des petits garçons. La grosse différence avec Matzneff est que cette pédophilie est revendiquée et qu’elle fut longtemps défendue par toute une frange de l’intelligentsia, principalement de gauche, mais pas seulement, puisque Matzneff mangeait à tous les râteliers.
Précisons encore un point : la pédophilie n’est pas réservée aux classes dominantes. On a de bonnes raisons de penser que le viol des enfants et l’inceste sont aussi bien répandus dans les classes populaires. La différence est ceux qui s’en prennent aux enfants sont très mal vus – le sort des violeurs d’enfants dans les prisons est bien connu – et qu’il n’y a de présentateurs de télévision et de doctes intellectuels pour défendre les coupables.
On peut éclairer autrement ces questions. L'immense mérite de Freud est d'avoir montré que la civilisation repose sur l'interdit et l'ordre de la Loi qui définit la « logique des places ». L'Œdipe indique que les pères ne peuvent être les partenaires sexuels des enfants et pas plus les mères et que l’amour des enfants pour le père, la mère ou l’un de leurs substituts doit être refoulé pour être converti en désir de devenir adulte et d’aimer quelqu’un de son âge. Horrible apologie de la société patriarcal, lit-on ici et là. Et d’ailleurs, tout le monde branché sait ça : Freud est obsolète.
Le démontage systématique de Freud par le « libéralisme libertaire » et l'exaltation des « machines désirantes » accompagnent le mot d’ordre fameux, « il est interdit d’interdire », et un autre non moins fameux, « Jouir sans entraves, vivre sans temps morts ». Les propagateurs de ces absurdités sont encore vivants et « du côté du manche », c'est-à-dire du pouvoir. C’est le bouillon de culture où se sont fabriquées les horreurs dont on feint de s'offusquer maintenant. Pousser des cris d'orfraie aujourd'hui contre Matzneff (qui ne l’a pas volé) et se réjouir de toutes les nouvelles transgressions qu'on nous propose là où domine l'idéologie « trans » (du transgenre au transhumanisme, toutes les frontières doivent être franchies), tout cela est assez étrange. Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », fait-on dire à Bossuet. Quand des philosophes à la mode, loués sur France-Culture, célèbrent la zoophilie (Donna Haraway), « l'avortement post-natal » (Peter Singer) et l'euthanasie des vieux dont la vie n'a plus de valeur (encore Singer), au nom de quoi peut-t-on condamner la pédophilie ? On invoquera le consentement, comme dans l’éthique minimale, mais le consentement n’est souvent que l’alibi de toutes les servitudes – voir Michela Marzano, Je consens donc je suis, qui démonte clairement cette idéologie du consentement (PUF, 2006). Si le corps n'est qu'une matière à notre disposition, pourquoi certains corps, celui des enfants par exemple, garderaient-ils leur caractère « sacré » ? Encore une fois, la pédophilie n’est pas un produit de la folie post-moderne, mais celle-ci développe toutes les prémisses de sa justification théorique et de sa pratique en toute « bonne conscience ». Le libéralisme libertaire, plutôt « de gauche », peut d’ailleurs faire facilement sa jonction avec la mentalité élitiste libérale d’une certaine « droite » qui se pense comme « la race des seigneurs » et s’accorde facilement les privilèges qu’elle refuse au commun des mortels – Matzneff, idéologiquement de droite, a su faire la fonction de ces deux tendances.
Bref si on était sérieux, si on n'était pas dans un énième gadget médiatique, les affaires Matzneff, Cohn-Bendit, le rappel des déclarations de soutien à la pédophilie dont nombre d’intellectuels parmi les plus prestigieux n’ont pas été avares (par exemple les pétitions de soutien à trois pédophiles, parues dans Libération et le Monde en 1979 et signées en par tout le gratin de l’intelligentsia française), les protestations contre les « people », devraient servir à une mise en question générale des mœurs de notre époque. Retrouver des idées simples : les enfants et les adultes ne sont pas sur le même plan, ils n’ont pas le même statut ; ce qu’on autorise entre adultes ne doit pas englober les enfants ! On n’est pas obligé de sur-sexualiser l’instruction en développant des prétendus enseignements sur les « phobies » modernes. On ne peut faire des leçons de morale tout en promouvant comme symbole de la culture des « chanteurs » (sic) qui ne parlent que de « sucer des bites » et « enculer » tel ou tel. On interdit la vente d’alcool aux mineurs, pourquoi se refuse-t-on à leur interdire la pornographie ? Pourquoi peut-on vendre tranquillement, et non dans les sexshops, des magazines pour adolescentes ou des sites qui leur sont destinés et qui indiquent tous les moyens de procurer du plaisir aux garçons – entre « connaître sa famille pour Noël » et quelques recettes de cuisine, on peut facilement apprendre comment réussir une fellation. Il y a dans la dénonciation médiatique de la pédophilie de grandes manifestations de tartufferie.
Le livre de Vanessa Springera qui est à l’origine de l’affaire Matzneff s’intitule Le consentement. La jeune fille qu’était à l’époque l’auteur était consentante. Au sens strict du terme, elle n’a pas été violée et Matzneff peut même s’offrir le luxe de parler d’histoire d’amour. Qu’une jeune fille puisse être amoureuse d’un écrivain qui était pour elle un homme prestigieux et un substitut paternel et qu’un homme de la cinquantaine puisse désirer cette « jeune fille en fleurs », on le comprend facilement. Mais le passage à l’acte était et reste interdit : car ni le désir ni le consentement ne font pas loi et seule la loi fait la loi ! Les mineurs sont mineurs et doivent être protégés, y compris et peut-être d’abord contre eux-mêmes. Du coup les partisans de la « morale minimale », à la Ruwen Ogien (RIP !) devraient profiter de l’occasion pour faire leur examen de conscience. La morale minimale, c’est tout simplement le droit du plus fort d’imposer, par la force ou par la persuasion, sa loi au plus faible.
Contre l’indécence généralisée, il faudrait retrouver la décence commune, c'est-à-dire la force de la morale.
Le 5 janvier 2020 – Denis Collin

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