En cette fin d'année 2023, il semble qu'il n'y a rien de plus urgent, de plus grave, de plus crucial que de savoir si Depardieu est un « gros con », un « gros porc »... ou un violeur. Les deux premiers qualificatifs ne sont pas punissables par la justice — s'il fallait mettre tous les gros porcs et des gros cons en prison, on n'en finirait jamais... Seul le troisième qualificatif est un crime, et le jugement des crimes dans un État de droit n'est pas du ressort des assemblées de lyncheurs, mais des tribunaux. Comme je ne fréquente pas Depardieu, ni toutes les belles gens qui se sont manifestées d'un côté ou de l'autre dans cette affaire, qu'il soit un gros con ou un gros porc, cela m'est parfaitement égal. Pour le reste, la justice qui, me semble-t-il, est saisie, dira ce qu'il en est.
Mais on peut d'ores et déjà dire que révèle cette affaire.
En premier lieu, nous voyons que tous ces emballements de l'opinion publique, n'ont que de lointains rapports avec l'exigence de justice. Y règne le « deux poids, deux mesures ». Parmi les anti-Depardieu, on trouve, mais ils ne sont les seuls, des défenseurs des « courageux résistants du Hamas» qui se sont courageusement manifestés par des viols de masse et imposent chez eux la charia (sûrement une bonne manière de lutter contre le patriarcat ?). Parmi les dénonciateurs du « gros porc », une bonne partie de ceux qui ont porté aux nues un type médiocre metteur en scène, le nommé Ladj Ly, inculpé pour sa participation à ce qu'il est convenu d'appeler un « crime d'honneur » (il est condamné pour enlèvement et séquestration, dans une affaire qui est, en fait, une tentative de meurtre... ) Mais Ladj Ly fait partie, par nature, de la catégorie «petits anges» et non de celle des «gros porcs». Dans la même catégorie «deux poids, deux mesures», de notoires défenseurs et pratiquants de la pédophilie n'ont jamais été inquiétés et plus personne ne parle de M. Duhamel (qui ne devait pas être un «gros porc»). Etc. Donc pourquoi Depardieu, aujourd'hui, lui dont l'inconduite est notoire depuis très longtemps?
En second lieu, remarquons qu'aujourd'hui, on adore la grossièreté, la vulgarité, l'humour (sic) scatologique mis en spectacle. Je ne citerai pas de nom pour ne pas me faire encore plus d'ennemis. Pourquoi la retenue, le sens des convenances, la simple politesse, la courtoisie, la galanterie disparaissent-ils de nos conduites quotidiennes ? La violence du langage des enfants, reflet de celle de nombreux parents qui ne savent plus parler sans employer tout un cortège d'expressions plus grossières les unes que les autres, ne manque jamais de me surprendre. Haïr Depardieu, c'est donc se dédouaner à bon marché, sur le dos du baudet, comme dans la fable de la Fontaine, de cette évolution des mœurs que tous chérissent par ailleurs - la grossièreté ferait partie de cette transparence qui a si bonne presse. L'affaire Depardieu, ce n'est rien d'autre qu'une variante sur le thème «Les animaux malades de la peste».
En troisième lieu, que la présomption d'innocence est en train de disparaître. Elle ne vaut plus que pour le ministre de la Justice (par ailleurs avocat de métier, ténor du barreau et accessoirement garde des Sceaux!), coupable à l'insu de son plein gré et donc innocenté. Mais le vulgum pecus que les tribunaux médiatiques désignent, celui-là doit être exécuté sans autre forme de procès. Il y a quelques années, une philosophe (sic) féministe avait déclaré qu'en matière de violences et de crimes dont les femmes sont les victimes, il fallait inverser la charge de la preuve et donc l'homme (le mâle si possible blanc) mis en cause est donc présumé coupable jusqu'à ce qu'il ait réussi à prouver son innocence... Les tribunaux populaires à la sauce maoïste des années 1970 se portent bien. L'idéologie a changé, mais la pratique demeure et chacun peut jouir tranquillement de sa puissance dans le maniement du fouet symbolique. Compensation de toutes les frustrations que nous subissons dans ce monde de plus en plus surveillé, contrôlé, policé et de plus en plus soumis aux « brigades des mœurs » façon Téhéran.
En quatrième lieu, nous assistons à un phénomène propre au monde de la connexion généralisée, l'abolition entre le public et le privé et entre le commun et l'intime. Si on faisait le compte des artistes qui furent de «gros cons» et de «gros porcs» dans l'intimité, on viderait fissa les musées et les bibliothèques. Pourquoi ne pas interdire Sade ? Et André Gide ?, etc. Et ce monsieur Rodin, comment se comporta-t-il vis-à-vis de Camille Claudel ? Il est vrai que tous ceux-là ont la chance d'être morts et de n'être pas encore passés au tribunal woke. Mais on apprend que, tout mort qu'il soit, Serge Gainsburg est sur la sellette : à ceux qui veulent donner son nom à une station de métro, il est reproché par une pétition ses « violences contre les femmes », ses « tendances pédocriminelles » et son apologie de l'inceste (rien que ça). Qu'un nombre considérable de rues et d'avenues de notre pays portent le nom de M. Thiers, un politicien retors, qui a vendu la France aux Allemands en 1870 et organisé la plus terrible répression anti-ouvrière de notre histoire avec les dizaines de milliers de morts de la Semaine sanglante, cela ne dérange nullement nos censeurs. Mais Gainsbourg, vous n'y penbursez pas ! Ses chansons prouvent que c'était un vicieux ! Qu'on déterre son cadavre et qu'on lui coupe la tête ! Les Américains adorent les criminels de guerre tant qu'ils ne commettent pas d'infidélités conjugales ou ne se font faire quelques gâteries dans leur bureau de la Maison Blanche. Nous voilà sur la même pente.
En vérité, toute cette histoire pue la mort. La mort d'une civilisation à laquelle, en toute bonne foi, les « braves gens » apportent leur concours.
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