Philosophie et Politique
Blog de Denis Collin
dimanche 29 juin 2025
La philosophie contre l'IA
L'épreuve de philosophie du baccalauréat 2025 fut classique. Parmi les sujets: « La vérité est-elle toujours convaincante?» Un professeur a eu l'idée de demander à chatGPT de rédiger sa propre "copie". Des professeurs sollicités donnèrent une excellente note à cette copie, entre 18 et 20! (voir la copie de chat GPT). J'ai sollicité l'avis éclairé de quelques collègues. Voici la réponse de Jean-Marie Nicolle.
mardi 24 juin 2025
Réflexions sur le droit international
Réflexions sur le droit international
Le droit international est régulièrement invoqué pour défendre telle ou telle cause. La nation qui vous déplaît est accusée de violer le droit international. Le problème est que nul ne peut dire réellement ce qu’est le droit international. Il existe de très nombreux traités, auxquels les États souscrivent… ou non, et auxquels ils se conforment ou non, quand ils les ont signés. Ainsi la Cour pénale internationale qui prononce des inculpations, des mandats d’arrêt, etc., n’est reconnue ni par les États-Unis, ni par la Russie, ni par la Chine, ni par Israël, ni par l’Iran. Mais l’Afghanistan est membre de cette CPI ainsi qu’un « État de Palestine » que de très nombreux pays, signataires ou non de la convention créant la CPI, ne reconnaissent pas…
On a tôt fait de déverser des flots impétueux de discours sur un droit international fait d’un bois trop tordu pour qu’il en puisse sortir quelque chose de droit. L’idée d’un « jus gentium » est née à Rome, dans cet empire qui voulait établir aussi loin de possible la « pax romana ». Le droit international est d’abord la recherche de la paix. Mais il est appuyé sur une puissance hégémonique qui fait régner l’ordre et dispose du « monopole de la guerre légitime » pour parodier une formule célèbre. Mais ces discours se heurtent à la réalité : le droit international est un droit qui n’a pas de moyen reconnu d’être appliqué et il se pourrait bien qu’il ne soit qu’un ensemble de vœux pieux ou une collection de traités plus ou moins cohérents.
Il y a en effet une question de fond : comment s’assure que les règles du droit international sont respectées et, donc, quelles sanctions sont prévues et comment peut-on les appliquer ? On peut prendre la liste des bombardements et interventions militaires en tous genres effectués par le gouvernement de Washington depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (on peut trouver cette liste sur Wikipédia). L’immense majorité de ces interventions se fait hors du cadre de l’ONU, souvent contre la décision de l’ONU et contre celle du pays concerné. Jadis, l’Union soviétique a régulièrement « rétabli l’ordre » en Allemagne de l’Est, en Hongrie, en Tchécoslovaquie ou en Pologne sans recevoir la moindre sanction. « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Notre grand écrivain n’aurait pas manqué de voir se rejouer sans cesse « Le loup et l’agneau » dans la politique internationale : « Là-dessus, au fond des forêts/Le Loup l’emporte, et puis le mange/Sans autre forme de procès. »
La position réaliste est certainement celle de Thomas Hobbes. Sur l’arène internationale, les États souverains étendent leur droit aussi loin que leur force le permet. Comme il n’y a pas « super-État » qui puisse contraindre les États à respecter les accords qu’ils ont passés, la paix n’est toujours qu’un état précaire entre deux guerres ouvertes. Comment pourrait-on lui donner tort ? Le droit international est une référence hautement louable, mais les États ne le respectent que tant qu’ils trouvent leur avantage, ou qu’ils ne peuvent pas le violer sans dommages pour eux — comme le remarquait déjà Machiavel. L’expérience du dernier siècle ne contredit pas ce constat, en dépit de l’existence d’un grand nombre d’organismes internationaux, tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle régionale. La politique internationale ne connaît que des États et ceux-ci n’ont pas d’amis, mais seulement des intérêts. Espérer que la politique devienne morale est une rêverie sans le moindre contenu.
On objectera que le droit international, si faible soit-il, vaut mieux que rien. Hugo Grotius, avant Hobbes, avait tenté de donner une version du droit naturel qui permettrait de construire un droit de la paix et de la guerre. Après tout, les principales puissances européennes se sont accordées aux traités dits de Westphalie (1648) pour définir des principes généraux qu’ils s’engagent à respecter. Les traités posent de nouveaux principes de politique internationale, et, pour la première fois, quelque chose comme un droit international est affirmé non dans les livres des philosophes, mais dans les engagements des puissances souveraines.
Tout d’abord est reconnu et étendu le principe des traités de Passau et Augsburg : « cujus regio ejus religio ». On s’interdit définitivement de faire la guerre à son voisin parce sa religion ne vous plaît pas. La souveraineté des États est reconnue dans tous les domaines, y compris ecclésiastique. Du coup le « Saint-Siège » voit son influence sur la politique européenne sérieusement rognée. L’Espagne également a du mal à accepter ces principes et poursuit la guerre contre la France jusqu’en 1659 (traité des Pyrénées).
Dans le système westphalien donc, les frontières des États sont considérées comme les murs de la « maison commune » des Européens. Elles sont inviolables et définissent le périmètre où s’exerce l’autorité absolue du pouvoir souverain (au sens de Hobbes). Chaque État a une importance égale à chaque autre État et la paix suppose, conséquence des principes précédents, la non-ingérence.
Tous les systèmes ultérieurs (SDN, ONU par exemple) conservent l’architecture de base de l’ordre westphalien. Évidemment, ce nouvel ordre n’empêche pas les guerres ! La plus longue période de paix en Europe occidentale, nous l’avons connue depuis 1945. C’est précisément pour cette raison que Kant critique ce concert des nations qui ne fonctionne que tant que les puissances sont à peu près égales et se tiennent mutuellement en respect.
La proposition kantienne du « traité de paix perpétuelle » repose sur trois principes : la constitution républicaine des nations, la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres, reconnaissance d’un droit cosmopolitique limité à l’universelle hospitalité. Une Société des Nations serait donc une société des nations républicaines (celles qui respectent la souveraineté du peuple sur le plan législatif et les droits humains fondamentaux), mais elle ne pourrait donc englober tous les États. Rawls a tenté d’améliorer le schéma kantien en se demandant comme des sociétés hiérarchiques (ne reconnaissant pas l’égalité de droit de tous les humains) pourraient s’intégrer à une Société des Nations œuvrant pour la paix.
Aussi intéressantes soient les propositions de Kant et de Rawls, qui peuvent fixer des idéaux politiques, elles se heurtent à la dure réalité des rapports de forces et des appétits de domination des uns et des autres. Face aux conflits, il n’est pas très efficace d’invoquer le droit international. Israël bafoue le droit international en attaquant l’Iran. Mais l’Iran se moque du droit international comme de son premier turban. La récompense offerte par Khomeiny pour tuer l’écrivain pakistanais devenu anglais Salman Rushdie était parfaitement contraire au droit international, tout les innombrables groupes terroristes financés et armés par l’Iran. Quand Poutine invoque le droit international pour condamner l’intervention israélo-américaine contre Téhéran, on se dit que c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Et ne parlons pas des Français qui ont renversé par une intervention militaire le colonel Kadafi, ni des Anglais qui sont toujours là quand il y a un sale coup à faire. Ceux qui demandent à l’OTAN de faire respecter le droit international auraient demandé à Al Capone de rétablir l’honnêteté et le règne de la loi…
Dans ce chaos, les moins dangereux sont les « réalistes » (comme les Américains Mearsheimer ou Jeffrey Sachs) parce qu’ils ne racontent pas des histoires à dormir debout, mais se contentent de la « vérité effective de la chose », pour parler le langage de Machiavel. Et c’est de cette vérité dont nous avons besoin. De cette vérité dont les peuples ont besoin s’ils veulent peser sur leur propre destinée et sur celle du monde. Car nous n’irons pas vers un « nouvel ordre mondial » pacifique et juste tant que les gouvernements capitalistes feront la loi. La paix et la transformation sociale sont intimement liées.
Denis COLLIN — le 24 juin 2024
samedi 7 juin 2025
L’abus de droit et de droits nuit gravement à la santé
On est en train de voter une loi pour le droit à mourir, ou plus exactement pour le droit d’être tué par une âme compatissante. On a mis en place depuis le longtemps le droit à changer de sexe (pardon, j’emploie encore des gros mots). À l’école, les élèves ont le droit à la réussite (égale pour tous). Les homosexuels ont le droit d’être homosexuels et les lesbiennes le droit d’être lesbiennes. À toute occasion, chacun exhibe ses droits et en toutes circonstances on fait appel au droit pour régler ses comptes avec ses ennemis du moment. Les lois se multiplient à n’en plus finir.
De la haine
La haine de la haine est devenue quasi universelle. Il faut traquer les discours de haine et même les punir. Un certain parti s’appellerait le RHaine, successeur du FHaine, deux surnoms qui devraient suffire à le discréditer. Comme on confond tout et que les mots n’ont plus beaucoup de sens, les haineux sont des « phobes ». Celui qu’on qualifie d’islamophobe est censé haïr les musulmans et même les persécuter par la parole – au moins – alors que les phobies sont des peurs névrotiques : les claustrophobes ne haïssent pas les portes… On confond trop souvent craindre et haïr.
lundi 19 mai 2025
Mourir, un nouveau droit !
Lors d’un échange sur « les réseaux sociaux », à mon post dénonçant le projet de loi légalisant l’euthanasie, j’ai reçu de nombreuses réponses, toutes révélatrices de l’ambiance « morale » de notre temps.
samedi 17 mai 2025
Marx était-il écolo? (Conférence à l'association "Les Remparts" - Avallon
Conférence du 16 mai 2025.
Je voudrais citer en exergue cette phrase de Jean Vioulac dans Métaphysique de l’anthropocène : « Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale . Mais il se peut que les choses se présentent tout autrement . Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui voyage dans ce train tire les freins d’urgence. »
La question que nous nous posons ce soir est au fond de savoir si Marx peut nous être utile pour réfléchir à la crise de l’anthropocène dans laquelle nous sommes entrés ou si on peut laisser son œuvre à la « critique rongeuse des souris ».
Pour écouter la conférence, cliquer ici
lundi 5 mai 2025
Individu et individualisme
Il est de bon ton de dénoncer l’individualisme de la société moderne, lequel serait la cause de la plupart des maux qui nous frappent. Mais cette rengaine ne nous aide pas à comprendre les crises auxquelles nous sommes confrontés.
lundi 28 avril 2025
En finir avec la modernité ?
Pierre Legendre fait des remarques sur la Shoah qui devraient nous interpeller. Nous manquerions la dimension institutionnelle de la Shoah en la réduisant à l’extermination des Juifs par les nazis. Il faut s’interroger sur la dimension la plus fondamentale de cette entreprise qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire connue.
vendredi 25 avril 2025
De l'existence du monde
Le monde n’existe que pour un sujet qui le perçoit, l’organise et se situe dans ce monde et même au centre de ce monde. Le monde en soi est une abstraction, vide de sens, en vérité. Elle peut se ramener à l’ensemble des phénomènes qui peuvent être subsumés sous des lois régulières, mais ce n’est pas un monde.
Droits des trans?
Jadis, on disait que le Parlement britannique peut tout faire, sauf changer un homme en femme. La Cour suprême du Royaume-Uni vient de confirmer cet adage en arrêtant qu’un homme est un homme et une femme est une femme et que la distinction était fondée biologiquement – les chromosomes XY et XX sont donc considérés comme des marqueurs fiables du sexe d’une personne. Les honorables juges ont donc statué que ce qui est réel est réel et ce qui n’est pas réel ne l’est pas, nouvelle version du vieil adage du philosophe grec Parménide, « l’être est, le non-être n’est pas ».
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