On
peut écrire un vrai livre de philosophie accessible à toute
personne sachant lire sans galvauder la pensée. Bref on peut être
un philosophe « populaire » comme Michael J. Sandel et on
n’est pas obligé d’être un onfray. Justice
est une excellente introduction aux questions philosophiques de la
justice. En bon professeur Sandel examine les grandes catégories de
doctrines qui peuvent prétendre répondre à la question de la
nature de la justice. L’utilitarisme de Bentham autant que
l’utilitarisme dans sa version plus sophistiquée - celle de Suart
Mill – est exposé et réfuté avec vigueur. La
maximisation du bonheur du plus grand nombre ne peut en aucun cas
être un principe de justice. Sandel examine ensuite la thèse
libertarienne défendue tant par Milton Friedmann que par Robert
Nozick. Non seulement il montre que cette thèse conduit à des
absurdités – en quelque
sorte, elle s’auto-réfute
– mais surtout il en met à jour le fondement ultime :
l’individu serait propriétaire de lui-même, véritable
point de jonction entre le néolibéralisme et le gauchisme sociétal,
doit-on ajouter. À ces deux
grandes écoles, dominantes aujourd’hui, notamment dans le monde
anglo-saxon, Sandel oppose la conception kantienne de la liberté
dont il souligne la grandeur morale. Cependant, la morale de Kant
souffre de son abstraction. Sandel discute longuement la question du
« droit de mentir » et, tout en appliquant le principe de
charité qui refuse de prêter à Kant des thèses absurdes, souligne
les contradictions de l’impératif catégorique. Sur la plan de la
théorie du droit, Kant suppose un contrat social imaginaire que
Rawls va essayer de préciser dans la Théorie de la
justice en faisant reposer les
principes de justice sur l’expérience de pensée du « voile
d’ignorance » dont
les individus sont censés consentir aux principes d’égalité
liberté pour tous et différence.
Ce qui ne convient pas dans les thèses de Kant et de Rawls, c’est
d’une part qu’elles cherchent un principe unique dont on pourrait
dériver des réponses à toutes les questions qui se posent
philosophie politique et, d’autre part, qu’elles affirment une
priorité du juste sur le bien étrangère à toute idée de la
recherche de la vie bonne. Si Sandel rend justice – c’est le cas
de le dire – à Kant et Rawls, il défend, pour sa part, une
conception aristotélicienne ou plutôt néo-aristotélicienne qui
refuse de séparer la justice des finalités de nos actes,
c’est-à-dire de la recherche de la vie bonne. On appréciera tout
particulièrement les longs développements qu’ils consacrent à ce
que nous devons à la communauté politique à laquelle nous
appartenons, avec toutes les
conséquences qu’on en peut tirer sur les questions épineuses de
notre époque (mariage gay et service civique ou encore mères
porteuses). Il rappelle avec
Aristote que « la finalité de la politique ne consiste en rien
de moins que de permettre aux gens de développer leurs capacités
et leurs vertus proprement humaines – de délibérer à propos du
bien commun, de former leur jugement pratique, de prendre part au
gouvernement autonome, de se soucier du sort de la communauté
considérée comme un tout. » (p. 284) Sandel se situe lui-même
dans la proximité d’Alasdair MacIntyre, donnant la priorité à
l’ethos communautaire
sur les conceptions d’une justice indifférente aux valeurs et aux
conceptions compréhensives du bien.
Au
total, un livre qui se lit d’une traite, appuyé sur de nombreux
exemples tirés de l’imagination de l’auteur, mais aussi et
surtout de l’histoire récente. À conseiller à tous, sans
retenue.
Michael
J. Sandel, Justice,
2009, traduction française de Patrick Savidan, Albin Michel, 2016.
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