Recension de Croyance
et soumission. De la critique de la religion à la critique sociale. Réflexions à
partir de Spinoza et Freud par Marie-Pierre Frondziak (éditions L’Harmattan,
Collection « Ouverture philosophique », 216 pages)
Marie-Pierre Frondziak, avec ce livre au sous-titre « kantien »
par sa longueur et sa volonté d’expliciter son propos, poursuit un travail
engagé depuis longtemps : comprendre pourquoi et comment les individus
obéissent à des injonctions extérieures. Comment se transmet la morale ?
Ce fut son premier travail mobilisant les ressources tirées de la psychanalyse,
mais aussi de Bergson ou de Sartre. Ce premier essai fut prolongé par un
travail universitaire sur la théorie des affects chez Spinoza, travail qui
mettait en son centre la question de la soumission. Marie-Pierre Frondziak a également
animé un séminaire consacré à l’introduction à la pensée freudienne dans le
cadre de l’Université populaire d’Évreux[1].
Avec ce livre, c’est une réflexion au long cours qui trouve une première
synthèse.
La question centrale est l’énigme posée par Spinoza :
pourquoi les hommes combattent-ils pour leur servitude comme s’il s’agissait de
leur salut ? C’est qu’en effet notre époque, loin de réaliser l’idéal des
Lumières du gouvernement de la raison voit un retour en force de toutes sortes
de fondamentalismes religieux (islamiques, mais aussi hindouistes ou chrétiens
avec les « églises évangéliques ») mais aussi d’idéologies qui exploitent
des ressorts du même type. Pourquoi croyons-nous si promptement toutes sortes
de calembredaines qui donnent corps à nos désirs et à nos craintes ?
Pourquoi, à l’ère de la science triomphante les superstitions les plus ridicules
se portent-elles si bien ? Pour répondre à ces questions, l’auteur propose
une relecture de Spinoza et Freud, en mettant en lumière les rapprochements
entre l’analyse freudienne et l’analyse spinoziste des affects et la dimension
d’emblée sociale de la vie affective des individus.
L’auteur souligne d’emblée la dette de Freud à l’égard de la
tradition philosophique, dette dont il s’est publiquement défendu, pour faire
plus « scientifique » en ces époques de positivisme triomphant. Et c’est
principalement envers Spinoza que cette dette est la plus évidente, de l’aveu
même de Freud. S’il y a un point commun entre ces deux auteurs, il réside d’abord
dans une conception commune de l’émergence du sujet conscient : la
conscience et l’aptitude à raisonner (tout ce qui caractérise le « sujet
libre ») émerge fondamentalement à partir de la soumission de l’individu à
ses affects qui viennent de l’action des choses extérieures sur lui. Le sujet
est donc d’abord assujetti ! Du même coup, tous les mécanismes de la soumission
trouvent leur origine dans cette réalité : l’individu est soumis d’abord à
ses propres affects, c'est-à-dire à lui-même. Et c’est pourquoi la liberté est
si difficile à conquérir parce qu’elle ne peut être conquise que contre
soi-même. Cette thèse que l’auteur développe par ses lectures minutieuses des
textes de Spinoza et de Freud s’inscrit dans la tradition propre de la philosophie,
tant est-il que la philosophie, comme activité de l’esprit, est d’abord un
effort fait sur soi-même.
Le rapport aux choses extérieures qui nous dominent (nous
percevons non pas les choses mais l’effet des choses sur nous), c’est d’abord
un rapport avec les autres individus, avec les parents, avec l’entourage et c’est
donc un rapport social. C’est pourquoi, ainsi qu’on le sait depuis longtemps,
au moins depuis qu’on s’est mis à lire vraiment Spinoza (pensons aux travaux
fondateurs de Matheron), la philosophie de Spinoza fournit les linéaments d’une
philosophie sociale. Et c’est aussi pour cette raison que la psychanalyse,
telle que Freud la comprend, est d’emblée une anthropologie. La critique de la
religion, menée dans des termes souvent très proches (Spinoza parle de « délire »
et Freud d’« illusion délirante ») est donc étroitement liée à une
critique sociale.
Comment sortir de cette situation ? Comment l’individu
peut-il s’émanciper, conquérir sa liberté ? En se mettant de son plein gré
sous le commandement de la raison, répondent Spinoza et Freud. Mais l’auteur
souligne que cette position est ambiguë. La religion n’est pas le résultat d’un
caprice de l’imagination mais accomplit une fonction sociale et psychologique
et il n’est pas certain qu’en se débarrassant de cette « névrose infantile
de l’humanité » nous ne soyons pas plus ou moins contraints de trouver une
névrose de substitution. La science pourrait bien ne pas suffire. En tout cas
la question reste ouverte. Une rapide incursion dans les recherches anthropologiques
de Christian Geffray ou dans le travail du philosophe et historien allemand
Harald Welzer montre le vaste champ de recherches qui peut être ouvert.
Dans sa conclusion, l’auteur revient aux questions brûlantes
de la politique contemporaine. Elle montre que si la tolérance religieuse s’impose,
l’influence de la religion doit être strictement délimitée et que seule laïcité
peut garantir une tolérance religieuse qui ne dégénère pas en un affrontement
de communautarismes. Pas de « laïcité ouverte » donc, mais une laïcité
sans concession, une laïcité que les diverses castes sacerdotales ont toujours
beaucoup de mal à supporter, parce qu’il ne s’agit pas seulement de croyances
comme les autres mais bien de l’organisation sociale de la soumission.
Au total un livre d’abord aisé, évitant soigneusement le
jargon trop souvent de mise dans la littérature « freudisante » et
surtout un livre qui met en appétit intellectuel.
Denis Collin
[1] Les
actes de ce séminaire ont été publié sous le titre Lecture de Freud, publié par l’Université populaire d’Évreux,
disponible sur Amazon, 232 pages.
La croyance n'est pas une tare, elle est indispensable pour les hommes et tout homme a des croyances. Même la science est fondée sur des croyances et quand un agnostique dit qu'il a de convictions il admet avoir des croyances car le fait de ne pas pouvoir prouver que Dieu existe n'est pas suffisant pour réfuter l’existence de Dieu. C'est même la particularité de la foi, je crois quoi qu'il en soit mais je suis soumis au doute aussi (comme la science).. C'est une croyance pas réfutation d'une autre. Croire qu'on ne croit pas est toujours croire. Il serait impossible de concevoir le monde sans se fonder sur des croyances. Souvent les athées, laïcs et autres agnostiques se dispensent de douter au non du fait qu'ils ne croient pas et en sont dispensés de facto selon eux.
RépondreSupprimerÊtre soumis est autre chose. On peut être soumis à bien des choses et pas seulement des croyances. Ainsi on peut être soumis à n'importe quelle idéologie. à n'importe quel dogme à n'importe quel pouvoir où même institutions, ou encore publicité... Le signe de la soumission est l'absence de doute, l'absence d'esprit critique, l'absence de scepticisme et l'absence de contestation.
Ce n'est pas contre les croyances en tant que croyance qu'il faut lutter mais sur leur contenu mais plus fondamentalement encore c'est contre la soumission qu'il faut se battre.
Une croyance est une idée (un concept, une conception) et en démocratie on ne lutte contre les idées que par le débat respectueux, car la démocratie c'est et c'est uniquement le débat.
Rappelons que la preuve n'est jamais définitive et donc que le vrai n'est que temporaire, un consensus éphémère car comme nous rappelle Alcméon de Crotone « Les dieux ont la certitude, alors que pour nous humains seule la conjecture est possible ».
La tentation totalitaire n'est pas propre aux religions! La laïcité c'est la reconnaissance au droit de croire en ce que l'on veut, librement et même de l'afficher et d'en faire publicité(sinon la croyance ne serait pas libre. La liberté implique, par réciprocité, l'interdiction d'imposer une croyance. On ne peut faire prosélytisme d'une croyance que par la force de ses arguments, tout en garantissant la liberté de l'autre notamment en abusant pas de sa faiblesse.
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