vendredi 6 janvier 2023

La cage d'acier

Max Weber avait deviné qu’une société qui ne fonctionne qu’à la rationalité instrumentale, au calcul et au contrôle devient une cage d’acier, emprisonnant les individus. C’est très exactement ce qui se produit chaque jour sous nos yeux. Une société de contrôle total — les stratégies anti-COVID et le « crédit social » en donnent un avant-goût. Le développement des réseaux et la disparition programmée du contact, de la présence réelle de l’autre estompent la différence entre l’homme et la machine. Les nouveaux programmes d’IA produisent des articles, des posts et des réponses aux questions qui ont un air parfaitement humain. Le contrôle de la diffusion des informations se raffermit et bientôt nous ne saurons plus que ce que le « système » tolérera. Les « vieux » s’en moquent un peu : ils seront morts quand tout cela sera « opérationnel », mais ils laisseront à leurs petits-enfants une société totalement inhumaine, une société où plus rien n’échappera à la réglementation et aux procédures.

Le capitaliste à gros cigare et chapeau haut de forme était un ennemi parfaitement identifiable. L’ennemi d’aujourd’hui est sans visage. Des personnages falots en tiennent lieu, répétant comme des perroquets les phrases toutes faites inventées par les spécialistes de la communication. La vérité ni le mensonge n’ont plus d’importance. Ne circulent plus que des signifiants vides, à l’instar des signes, suites de zéros et de uns, que manipulent les ordinateurs. On pense souvent que notre époque est celle d’un narcissisme exacerbé, une hypostase du « moi ». Ce n’était que l’entrée en matière, celle que dénonçait justement Christopher Lasch dans La culture du narcissisme. En réalité, il s’agissait surtout d’un enfermement du « moi » pour préparer son évidement progressif. Le « moi » cède la place à ses avatars informatiques. Le subjectivisme fou laisse la place à une « désubjectivation » radicale. Il n’y a plus de sujet possible puisque nous voilà réduits à l’état d’amas de neurones, à l’état de nuées d’atomes et la pensée ne diffère plus des signaux électriques qui allument nos écrans avec des phrases qui ne sont plus des phrases, mais de simples signaux, elles aussi.

Que nous reste-t-il ? Le pouvoir de dire non. Le refus de faire un pas de plus. Le pouvoir de dire non, même aux prétendues évidences, est la forme la plus rudimentaire de la liberté. La cage d’acier est celle que nous avons nous-mêmes construite. Les barreaux sont ceux que nous avons scellés. Nous n’avons pas besoin de faire des efforts surhumains pour les desceller. Il suffit de regarder la réalité en face, de cesser d’être fascinés par le progrès comme le lapin dans les phares de la voiture.

Le 6 janvier 2023

 

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