Max Weber avait deviné qu’une société qui ne fonctionne qu’à la rationalité instrumentale, au calcul et au contrôle devient une cage d’acier, emprisonnant les individus. C’est très exactement ce qui se produit chaque jour sous nos yeux. Une société de contrôle total — les stratégies anti-COVID et le « crédit social » en donnent un avant-goût. Le développement des réseaux et la disparition programmée du contact, de la présence réelle de l’autre estompent la différence entre l’homme et la machine. Les nouveaux programmes d’IA produisent des articles, des posts et des réponses aux questions qui ont un air parfaitement humain. Le contrôle de la diffusion des informations se raffermit et bientôt nous ne saurons plus que ce que le « système » tolérera. Les « vieux » s’en moquent un peu : ils seront morts quand tout cela sera « opérationnel », mais ils laisseront à leurs petits-enfants une société totalement inhumaine, une société où plus rien n’échappera à la réglementation et aux procédures.
Le capitaliste à gros cigare et chapeau haut de forme était
un ennemi parfaitement identifiable. L’ennemi d’aujourd’hui est sans visage. Des
personnages falots en tiennent lieu, répétant comme des perroquets les phrases
toutes faites inventées par les spécialistes de la communication. La vérité ni
le mensonge n’ont plus d’importance. Ne circulent plus que des signifiants
vides, à l’instar des signes, suites de zéros et de uns, que manipulent les
ordinateurs. On pense souvent que notre époque est celle d’un narcissisme exacerbé,
une hypostase du « moi ». Ce n’était que l’entrée en matière, celle que dénonçait
justement Christopher Lasch dans La culture du narcissisme. En réalité,
il s’agissait surtout d’un enfermement du « moi » pour préparer son évidement
progressif. Le « moi » cède la place à ses avatars informatiques. Le subjectivisme
fou laisse la place à une « désubjectivation » radicale. Il n’y a plus de sujet
possible puisque nous voilà réduits à l’état d’amas de neurones, à l’état de
nuées d’atomes et la pensée ne diffère plus des signaux électriques qui allument
nos écrans avec des phrases qui ne sont plus des phrases, mais de simples signaux,
elles aussi.
Que nous reste-t-il ? Le pouvoir de dire non. Le refus de
faire un pas de plus. Le pouvoir de dire non, même aux prétendues évidences,
est la forme la plus rudimentaire de la liberté. La cage d’acier est celle que
nous avons nous-mêmes construite. Les barreaux sont ceux que nous avons
scellés. Nous n’avons pas besoin de faire des efforts surhumains pour les
desceller. Il suffit de regarder la réalité en face, de cesser d’être fascinés par le progrès comme le lapin dans les phares de la voiture.
Le 6 janvier 2023
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