J’ai déjà eu l’occasion, en plusieurs endroits, de poser la question des mythes du progrès. Il est d’ailleurs remarquable d’observer que l’on baptise aujourd’hui du qualificatif « progressiste » des gens qui défendent une régression intellectuelle terrible en rétablissant dans toutes leurs réflexions les classements en termes de « races », par exemple, ou veulent essentialiser toutes les petites différences entre les humains. Aujourd’hui, je voudrais revenir sur la question du progrès moral. Cette notion a-t-elle un sens ? Si oui, pouvons-nous répondre à la question qui sert de titre à cette modeste contribution ?
samedi 11 novembre 2023
vendredi 10 novembre 2023
Le marché de la vertu
Estelle Ferrarese, Le marché de la vertu. Critique de la consommation éthique, Librairie philosophique Jean Vrin, 2023
vendredi 3 novembre 2023
Bergson, le possible et le réel
Dans un essai de 1930, Le possible et le réel (in La
pensée et le mouvant), Bergson montre que la créativité extraordinaire de
la nature par le fin que la réalisation d’un possible est toujours différent de
ce possible. Ce qui se réalise ne correspond jamais à ce que j’avais prédit,
même si cet écart peut être presqu’imperceptible.Soit, dira-t-on ; il y a peut-être
quelque chose d'original et d'unique dans un état d'âme ; mais la matière
est répétition ; le monde extérieur obéit à des lois mathématiques une
intelligence surhumaine, qui connaîtrait la position, la direction et la
vitesse de tous les atomes et électrons de l'univers matériel à un moment
donné, calculerait n'importe quel état futur de cet univers, comme nous le
faisons pour une éclipse de soleil ou de lune. – Je l'accorde, à la rigueur,
s'il ne s'agit que du monde inerte, et bien que la question commence à être
controversée, au moins pour les phénomènes élémentaires. Mais ce monde n'est
qu'une abstraction. La réalité concrète comprend les êtres vivants, conscients,
qui sont encadrés dans la matière inorganique.
jeudi 26 octobre 2023
La morale face à la guerre
La guerre est une rupture brutale du lien moral entre les
hommes. C’est aussi vieux que l’humanité. Il n’y a pas de société sans ce lien
moral (ou éthique si on tient à ce mot). Mais les sociétés humaines s’entretuent
sans la moindre pitié. Les guerres préhistoriques sont maintenant bien
documentées — voir Les guerres préhistoriques de Lawrence Keeley — et faisaient
un considérable nombre de victimes (entre 40 et 50 % des vaincus) et,
évidemment, on n’épargnait personne. Les Romains ne faisaient pas dans la
dentelle avec les rebelles à leur « pax romana ». Les barbares l’étaient
vraiment et de Gengis Khan à Tamerlan et Ivan le Terrible, les figures de monstres
abondent. Sans oublier la croisade des Albigeois (« tuez-les tous, Dieu
reconnaîtra les siens »), les guerres de religion (le massacre de la Saint-Barthélemy
reste dans les mémoires), la guerre de Trente Ans qui a décimé la population
allemande (réduite de moitié), l’invasion française de la Hollande, commandée
par Louis XIV, etc. Nos guerres se sont peut-être civilisées au xixe, enfin quand il s’agissait
des guerres intraeuropéennes, mais en matière d’horreurs coloniales, on ne sait
à qui délivrer la palme, peut-être au traitement que le roi des Belges a fait
subir au Congo, qui n’était pas une colonie belge, mais un domaine privé.
Michel Terestchenko, dans Un si fragile vernis d’humanité, un livre à
recommander chaudement, s’interroge sur les conduites de destructivité et
montre que ce n’est ni par abjection que l’on massacre ni par altruisme
que l’on s’y oppose…
jeudi 14 septembre 2023
Auguste Comte et la politique scientifique
Après la révolution française, contre l’idée du passage et de l’opposition de l’état de nature et de l’état civil, est affirmée la naturalité essentielle du social et du politique. C’est pourquoi, selon Cabanis, « l'homme politique éclairé doit être l'élève consciencieux de la nature. »
mardi 5 septembre 2023
Quel avenir pour le socialisme?
Entretien avec David L'Epée paru dans Krisis
Q : Depuis la
chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste, l’humanité vit
grosso modo sous l’égide d’un unique régime socio-économique : le capitalisme.
Ce régime se globalise de manière de plus en plus hégémonique et convertit
progressivement au « modernisme » même les territoires les plus pauvres
et les plus engoncés dans leurs traditions locales, pour en faire de nouvelles
zones de production ou de marché. Le socialisme, qui a pu apparaître pendant
longtemps comme la principale alternative à la logique libérale, a probablement
cessé aujourd’hui de fonctionner comme un Idéal ou un Grand Récit capable de
susciter l’enthousiasme des foules. Même la crise économique de 2008, qui, en
France (et sans doute ailleurs dans le monde), a quelque peu discrédité le
capitalisme aux yeux d’une partie de l’opinion publique, n’a pas suffi à
réhabiliter le socialisme comme alternative crédible. Autrement dit, on ne croit plus guère aux sirènes du marché ;
mais on se méfie plus encore des lendemains qui chantent. Comment expliquer
cette désaffection du socialisme ? Cette idéologie est-elle morte ?
lundi 4 septembre 2023
La fin du désir et l"érotiquement correct
Ce texte a été publié une première dans la revue Krisis, numéro 51 sur le thème "Amour? "
Les questions sociétales, c’est-à-dire essentiellement les questions tournant autour du sexe, des rapports entre les sexes et de la mort occupent une place considérable dans l’espace public. Avoir des réticences sur le « mariage homosexuel » ou sur la « PMA pour toutes » vous condamne derechef aux enfers. Se met ainsi en place un « nouvel ordre érotique », pour parler comme le philosophe italien Diego Fusaro. Ce que je voudrais montrer, c’est que cet « érotiquement correct » s’inscrit pleinement dans le processus de « désublimation répressive » analysé voilà plus de soixante ans par Herbert Marcuse. Loin d’une libération de l’Éros, il pourrait bien en signifier le déclin, vaincu par les forces de Thanatos, cette pulsion de mort qui taraude la société capitaliste d’aujourd’hui.
dimanche 20 août 2023
De la sensibilité
La coexistence de ces deux essais n’est nullement fortuite. La lecture de Marx proposée par Michel Henry dans son volumineux Marx a été pour moi une véritable révélation, bousculant sans ménagement ma « formation marxiste » antérieure et me ramenant à la philosophie qui avait été quelque peu relativisée dans l’ordre de mes préoccupations. J’espère trouver quelques lecteurs qui me feront part de leurs remarques avant d’aller plus loin. Je jette une flèche, la ramasse qui veut.
Disponible ici
Amazon.fr - De la sensibilité: Deux essais sur Marx et Michel Henry - Collin, Denis - Livres
lundi 24 juillet 2023
Le système et le chaos
Le livre de Bernard Charbonneau, Le système et le chaos. Critique du développement exponentiel est republié chez l’excellent éditeur « R&N » (Du rouge et du noir) avec une préface de Renaud Garcia. Bien que vieilli par certains aspects (le livre a été écrit avant 1973), il reste une stimulante réflexion sur l’idéologie du développement, sur le progressisme et le rôle des sciences et des techniques dans l’asservissement croissant des humains. Loin de concourir à nous libérer, la science et la technique ne nous promettent au fond qu’une seule chose : la survie. Le fil directeur du livre est l’affaiblissement, l’exténuation de la démocratie comme conséquence fatale du développement. Défenseur de l’individu, l’auteur montre comment il est de plus en plus ligoté par le système, un système qui produit du chaos qu’il faudra contenir par de nouveaux « progrès ». Que la technique ne soit pas neutre, que ce « moyen » soit en réalité une fin, Charbonneau le montre inlassablement.
lundi 26 juin 2023
Progressisme et ectogenèse
dogme marxiste, c'est-à-dire de cet ensemble de « théories » à nette coloration religieuse qui ont permis de trouver des moyens pour s’accommoder du progrès capitaliste. Mais si les marxistes avaient lu Marx – quand je dis lire, je parle de lire sérieusement, ligne à ligne en ne se contentant pas des résumés de marxisme, des abrégés du Capital et de toute cette littérature qui a tant fait pour enterrer le vieux Marx, avec une efficacité bien supérieure à celle des antimarxistes professionnels – alors ils auraient pu lire, en toutes lettres, que le mode de production capitaliste est le mode production révolutionnaire par excellence, qu’il ne peut survivre qu’en révolutionnant continuellement ses propres bases et en faisant triompher non seulement le machinisme, mais, dans le même mouvement, le fétiche suprême, l’argent, en faisant table rase de toutes les communautés humaines et de toutes les valeurs qui venaient du passé.
Tout cela, je l’ai déjà développé si souvent que je ne vais
pas reprendre ici l’argument. Je voudrais noter seulement que le progressisme propose,
depuis le début, d’appliquer à l’être humain l’ingénierie machinique. Et tout
naturellement, l’une des dimensions essentielles du capital est la réification
de l’être humain, sa transformation en chose. Le nazisme avait semblé être un
achèvement de ce processus de réification : les humains réduits à l’état
de cadavres dont on réutilise les dents en or et les cheveux, d’un côté et, de
l’autre côté, des fermes d’élevage pour humains parfaits, en tout cas améliorés
(les Lebensborn). Il n’était d’ailleurs pas nécessaire de beaucoup de
jugeote pour se rendre compte que, par ces traits, le nazisme n'était nullement
réactionnaire, mais plutôt complètement « progressiste ». Le seul défaut
des nazis est d’avoir fait tout cela avec une grande cruauté et un brutalité
qui nous est devenue insupportable – à juste titre.
Le « progressisme nouveau » promet de délivrer les
humains de toutes les complications qu’il y a à être des humains. La fabrication
des humains ne peut plus être laissée au hasard ; il faut des « projet
d’enfant » et les bonnes vieilles méthodes éprouvées sont trop hasardeuses ;
les nouvelles méthodes (PMA, GPA, etc.) restent tributaires du « facteur
humain ». D’où le projet déjà ancien de l’ectogenèse, nom savant de l’utérus
artificiel. Ce fut longtemps un thème de science-fiction (voir notamment Le
meilleur des mondes) mais c’est en train de devenir une réalité. Des expériences
de développement d’un embryon humain jusqu’à un stade avancé ont déjà été
faite. En Chine, des pas importants ont été faits vers un dispositif contrôlé par
une IA. Pour le professeur de médecine François Vialard, directeur de
l’équipe Reproduction humaine et modèles animaux (RHuMA) à l’université Simone
Veil-Santé de Montigny le-Bretonneux, « la question n’est pas de savoir si
l’on va arriver un jour à créer cet utérus artificiel mais plutôt quand nous
allons y arriver. » Des humains qui ne soient pas nés d’une femme !
Cela est présenté comme un progrès pour les femmes qui n’auront plus à
supporter les ennuis de la grossesse. Mais, par la même occasion, il apparaîtra
que la femme, tout l’homme, est devenue parfaitement inutile à la per-existence
de l’humanité. Ce n’est nullement un hasard si, dans le même temps, se
développe sous le nom d’euthanasie le gestion technique de la mort.
À peine ces sujets ont-ils été soulevés, on entend tout de
même des protestations. Ce serait complètement inhumain ! Même chez les
plus progressistes des progressistes, on hésite devant l’abîme. Effectivement,
c’est une société d’humains inhumains que cette technologie nous prépare. Mais
ce qui est difficile, c’est de voir où réside le problème, c’est trouver les raisons
que nous pourrions avoir de ne pas accomplir cet ultime saut vers l’au-delà de
l’humanité. En effet, si en matérialiste pur et dur, on pense que l’homme,
comme tous les autres vivants, n’est qu’un assemblage de cellules, avec, en particulier
un assemblage fort complexe de cellules neuronales et que donc rien n’est
spécialement « sacré » dans l’être humain, rien ne le rend
intouchable, puisque nous améliorons nos autos et nos robots ménagers, pourquoi
ne pas améliorer l’homme et le rendre plus « performant » ?
Pourquoi ne pas faire se développer les fœtus humains dans un environnement
transparent, parfaitement surveillé, sans risque que l’inconduite de la mère
ait de fâcheuses conséquences pour sa progéniture ? On objectera qu’il y a
beaucoup d’interactions entre la mère et son enfant en gestation, qui
concourent à le former. Mais, d'abord, on n’est pas certain que ces interactions
soient si bonnes – les mères peuvent être stressées, dépressives, etc. – et,
surtout, on pourrait produire de bonnes interactions par un développement de
simulations pilotées par IA.
Il y a plus de deux décennies, Habermas avait, à juste titre,
dénoncé « l’eugénisme libéral » qui mettait en cause « l’avenir
de la nature humaine » (voir le livre éponyme). Un être qui serait, dans certaines
déterminations essentielles (et Habermas incluait le sexe), le produit du
projet d’un autre homme aurait perdu sa qualité d’être libre. En gros, nous ne
sommes libres que parce que nous n’avons pas été voulus tels que nous sommes
par d’autres humains, qui se sont contentés de procréer sans créer personne. On
le voit : cet argument habermassien s’applique à plus forte raison aux
projet d’ectogenèse. Mais cet argument n’est
pas scientifique. Il suppose quelque chose qui est hors de portée de la science
et de la commune rationalité par les fins. Il suppose cette idée de la raison
qu’est la liberté humaine. L’homme, en tant qu’il est un être raisonnable, est
libre et celui lui confère une dignité, alors que les choses n’ont qu’un prix. Un
athée radical ne croit pas que l’homme soit libre et il accepte parfaitement qu’on
le considère comme une machine et même qu’on le traite comme tel : voir
Sade, le seul athée radical des Lumières.
Jusqu’à présent, les partisans de la raison et des Lumières
s’en tenaient, sans bien le savoir, à la théologie chrétienne : Dieu est
en chaque homme et donc chaque homme est en quelque manière Dieu. Voilà qui
suffit à poser des barrières : l’homme est sacré comme Dieu est sacré pour
ceux qui croient en lui. Mais précisément ce que propose la technoscience, c’est
ni plus ni moins que la déconstruction du sujet, la déconstruction n'est ici qu’une
euphémisation du projet réel qui est la destruction du sujet. Il faut le dire
et le redire : le projet de l’ectogenèse est, en son essence, un projet
nazi, une nouvelle forme de l’apothéose du capital. La dénaturalisation radicale
de l’homme est sa désubjectivation et sa transformation en matière première
pour machine (le cyborg pour les plus perfectionnés). Les délires de Marcela Iacub,
Thierry Hoquet ou Donna Haraway, ne sont pas de simples délires. D’abord, ce
sont des délirants qui occupent d’importantes positions universitaires et, ensuite,
ces « délires » sont l’expression de la rationalité du mode de
production capitaliste qui, dans son mouvement incessant, ne doit rien laisser
de sacré.
Si on pense que les idées philosophiques sont aussi un champ
de bataille (Kampfplatz, disait Kant), alors il convient de procéder à
une critique en règle, systématique et raisonnée du progressisme et de son soubassement
sournois, le positivisme. Dans cette bataille, les humanistes, ceux qui pensent
que l’homme est un Dieu pour l’homme, comme le disait Spinoza, se retrouveront du
même côté de la barrière, face à ces matérialistes en bois brut et leurs amis
déconstructeurs.
Le 26 juin 2023.
Devenir des machines. Recension
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