mardi 21 novembre 2023

Dix ans avec et sans Costanzo Preve

 


Voilà dix ans que Costanzo Preve nous a quittés. Preve est un philosophe italien que j'ai connu presque par hasard, ayant découvert ses livres dans la bibliothèque d'un appartement loué en Italie... J'ai commencé ainsi une relation téléphonique et épistolaire avec lui, ayant supervisé et préfacé l'édition française de son Histoire critique du marxisme, publiée en 2011 chez Armand Colin (collection U). Sa manière de philosopher, toujours avec une touche d'humour, était fort peu académique, mais il est un des philosophes peu nombreux qui m'ont semblé apporter quelque chose non à la "marxologie", mais surtout à la philosophie politique de notre époque. Il ne se disait pas "marxiste", mais considérait simplement qu'il faisait partie de ceux qui s'étaient mis à l'école de Marx, ce qui n'est pas du tout la même chose. Pénétré de la philosophie grecque ancienne, lecteur attentif de Lukacs, son œuvre reste trop peu traduite en France, victime de l'ostracisme que ceux qui tiennent les baraques de foire du marxisme dans notre pays.

Je publie ici deux textes: la préface que j'ai donnée à l'Histoire critique du marxisme et un hommage que lui a rendu sur Interferenza Salvatore A. Bravo.

samedi 11 novembre 2023

Le corps du capital

 Le machinisme et le capital sont consubstantiels. Sous ses premières formes, capital usuraire, rente foncière et même manufacture, le capital est indifférent au moyen de travail. Mais le capital n’est pas encore véritablement lui-même. Le capital, en chair et en os, apparaît avec la grande industrie et donc comme machines, qui fonctionne si possible jour et nuit pendant toute l’année. Dans Das Kapital, Marx emploie le terme de Maschinerie, qui se traduit aisément en français par « machinerie ». La machinerie n’est pas une collection de machines, mais un système en fonctionnement. La vraie chose vivante du capital, est cette machinerie : une usine à l’arrêt, c’est du capital immobilisé, du capital qui ne produit rien et donc du capital mort. D’un autre côté le capital est de l’argent, l’argent dépensé pour acheter des moyens de travail et de la force de travail, et qui ressort du cycle de la production grossi et embelli de la plus-value. Pour l’investisseur capitaliste, l’argent semble un pur fantôme et son existence matérielle n’a rien à voir avec son contenu réel et sa puissance. 

Peut-on parler de progrès moral?

J’ai déjà eu l’occasion, en plusieurs endroits, de poser la question des mythes du progrès. Il est d’ailleurs remarquable d’observer que l’on baptise aujourd’hui du qualificatif « progressiste » des gens qui défendent une régression intellectuelle terrible en rétablissant dans toutes leurs réflexions les classements en termes de « races », par exemple, ou veulent essentialiser toutes les petites différences entre les humains. Aujourd’hui, je voudrais revenir sur la question du progrès moral. Cette notion a-t-elle un sens ? Si oui, pouvons-nous répondre à la question qui sert de titre à cette modeste contribution ?

vendredi 10 novembre 2023

Le marché de la vertu

 Estelle Ferrarese, Le marché de la vertu. Critique de la consommation éthique, Librairie philosophique Jean Vrin, 2023


Voici un livre bref, mais dense, d’une lecture exigeante. L’auteur, professeur de philosophie à l’Université de Picardie, mobilise les ressources de la théorie critique et principalement les développements d’Adorno sur la morale, pour examiner les argumentations morales ou éthiques qui servent de justification au « commerce éthique ». Il semble aller de soi, en effet, que chacun d’entre nous est responsable de la planète, et que nos choix de consommation peuvent influer sur la marche du monde ! Il nous faut du café éthique et responsable, des produits des « petits producteurs »… Il y a même un peu partout des chartes de conduite éthique et responsable dans les entreprises et les organisations. Estelle Ferrarese commence par montrer que cette attitude qui se veut une critique du capitalisme, tel qu’il se développe actuellement, a son origine dans la doctrine sociale de l’Église et notamment la fameuse encyclique Rerum novarum, promulguée par Léon XIII (1891) et la revendication du « juste prix ». À partir de là, l’auteur va développer toute une argumentation critique, fort détaillée, des théories du « commerce équitable », incluant d’ailleurs certains des principaux représentants de la troisième génération de l’école de Francfort, comme Axel Honneth qui apporte à cette entreprise son concours.

vendredi 3 novembre 2023

Bergson, le possible et le réel


Dans un essai de 1930, Le possible et le réel (in La pensée et le mouvant), Bergson montre que la créativité extraordinaire de la nature par le fin que la réalisation d’un possible est toujours différent de ce possible. Ce qui se réalise ne correspond jamais à ce que j’avais prédit, même si cet écart peut être presqu’imperceptible.Soit, dira-t-on ; il y a peut-être quelque chose d'original et d'unique dans un état d'âme ; mais la matière est répétition ; le monde extérieur obéit à des lois mathématiques une intelligence surhumaine, qui connaîtrait la position, la direction et la vitesse de tous les atomes et électrons de l'univers matériel à un moment donné, calculerait n'importe quel état futur de cet univers, comme nous le faisons pour une éclipse de soleil ou de lune. – Je l'accorde, à la rigueur, s'il ne s'agit que du monde inerte, et bien que la question commence à être contro­versée, au moins pour les phénomènes élémentaires. Mais ce monde n'est qu'une abstraction. La réalité concrète comprend les êtres vivants, conscients, qui sont encadrés dans la matière inorganique.

jeudi 26 octobre 2023

La morale face à la guerre

La guerre est une rupture brutale du lien moral entre les hommes. C’est aussi vieux que l’humanité. Il n’y a pas de société sans ce lien moral (ou éthique si on tient à ce mot). Mais les sociétés humaines s’entretuent sans la moindre pitié. Les guerres préhistoriques sont maintenant bien documentées — voir Les guerres préhistoriques de Lawrence Keeley — et faisaient un considérable nombre de victimes (entre 40 et 50 % des vaincus) et, évidemment, on n’épargnait personne. Les Romains ne faisaient pas dans la dentelle avec les rebelles à leur « pax romana ». Les barbares l’étaient vraiment et de Gengis Khan à Tamerlan et Ivan le Terrible, les figures de monstres abondent. Sans oublier la croisade des Albigeois (« tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »), les guerres de religion (le massacre de la Saint-Barthélemy reste dans les mémoires), la guerre de Trente Ans qui a décimé la population allemande (réduite de moitié), l’invasion française de la Hollande, commandée par Louis XIV, etc. Nos guerres se sont peut-être civilisées au xixe, enfin quand il s’agissait des guerres intraeuropéennes, mais en matière d’horreurs coloniales, on ne sait à qui délivrer la palme, peut-être au traitement que le roi des Belges a fait subir au Congo, qui n’était pas une colonie belge, mais un domaine privé. Michel Terestchenko, dans Un si fragile vernis d’humanité, un livre à recommander chaudement, s’interroge sur les conduites de destructivité et montre que ce n’est ni par abjection que l’on massacre ni par altruisme que l’on s’y oppose…

jeudi 14 septembre 2023

Auguste Comte et la politique scientifique

Après la révolution française,  contre l’idée du passage et de l’opposition de l’état de nature et de l’état civil, est affirmée la naturalité essentielle du social et du politique. C’est pourquoi, selon Cabanis, « l'homme politique éclairé doit être l'élève consciencieux de la nature. »

mardi 5 septembre 2023

Quel avenir pour le socialisme?

 Entretien avec David L'Epée paru dans Krisis

Q : Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste, l’humanité vit grosso modo sous l’égide d’un unique régime socio-économique : le capitalisme. Ce régime se globalise de manière de plus en plus hégémonique et convertit progressivement au « modernisme » même les territoires les plus pauvres et les plus engoncés dans leurs traditions locales, pour en faire de nouvelles zones de production ou de marché. Le socialisme, qui a pu apparaître pendant longtemps comme la principale alternative à la logique libérale, a probablement cessé aujourd’hui de fonctionner comme un Idéal ou un Grand Récit capable de susciter l’enthousiasme des foules. Même la crise économique de 2008, qui, en France (et sans doute ailleurs dans le monde), a quelque peu discrédité le capitalisme aux yeux d’une partie de l’opinion publique, n’a pas suffi à réhabiliter le socialisme comme alternative crédible. Autrement dit, on  ne croit plus guère aux sirènes du marché ; mais on se méfie plus encore des lendemains qui chantent. Comment expliquer cette désaffection du socialisme ? Cette idéologie est-elle morte ?

dimanche 20 août 2023

De la sensibilité

Ces deux textes qui portent sur la question de la sensibilité ont été écrits dans des circonstances particulières. Ils n’ont pas pu être publiés comme prévu. Je ne me suis cependant pas résigné à les laisser à la « critique rongeuse des souris », pensant, peut-être présomptueusement, que quelqu’un pourrait en faire son miel.


La coexistence de ces deux essais n’est nullement fortuite. La lecture de Marx proposée par Michel Henry dans son volumineux 
Marx a été pour moi une véritable révélation, bousculant sans ménagement ma « formation marxiste » antérieure et me ramenant à la philosophie qui avait été quelque peu relativisée dans l’ordre de mes préoccupations. J’espère trouver quelques lecteurs qui me feront part de leurs remarques avant d’aller plus loin. Je jette une flèche, la ramasse qui veut.

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Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...