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La « mondialisation » semble rendre nécessaire
l’adoption du multiculturalisme dans les sociétés capitalistes avancées. Les
« migrations » tout à la fois inéluctables et nécessaires nous
obligeraient ainsi à revoir nos manières de penser le « vivre
ensemble » et mettraient définitivement aux rancarts le vieil État-nation.
Les pays anglo-saxons montrent la voie. Londres est une des capitales du
multiculturalisme et l’élection d’un maire musulman modéré viendrait couronner
ce « modèle britannique » que nous devrions envier si l’on en croit
même quelqu’un comme Philippe Marlière, longtemps proche du NPA et chantre du
multiculturalisme. Autre pays du multiculturalisme triomphant, le Canada avec
ses « accommodements raisonnables » et son très moderne premier
ministre, le sémillant Justin Trudeau, un libéral que Macron peine à imiter.
Enfin le multiculturalisme chez lui, ce sont les États-Unis dont la presse
démocrate ne cesse de clouer au pilori les intolérants « laïcards »
français si bien les chefs « indigénistes », islamistes ou chantres
des « racialisés » nous somment de devenir enfin américains. Je
voudrais ici montrer en premier lieu que le multiculturalisme n’a jamais existé
nulle part et ne peut pas plus exister aujourd’hui qu’hier, sauf à admettre que
l’on renonce au principe d’égalité et qu’on constitue des communautés soumises
comme le dhimmi dans l’empire ottoman. En second lieu, je montrerai que le
multiculturalisme présuppose un véritable nihilisme moral et intellectuel.
Le multiculturalisme dans le passé
On a connu, par le passé, des empires multiculturels
imposants. Ce fut largement le cas de l’empire romain qui acceptait la
coexistence de peuples très différents et jusqu’à l’édit de Théodose tolérait
les religions les plus diverses. À Rome on pouvait adorer Zoroastre aussi bien
que Jupiter. Mais la contrepartie était que les Romains considéraient les
autres peuples comme des peuples conquis qui n’accédaient pas à la dignité du
citoyen romain. On invoquera l’édit de Caracalla : cet édit accorde la
citoyenneté aux peuples assujettis, au moment où cette citoyenneté n’a plus
beaucoup de sens et où l’empire est déjà en voie de désagrégation. En pratique
cependant, l’Empire romain était une énorme machine bureaucratique qui a
largement nivelé tous les peuples qui lui étaient soumis. L’archétype, ce sont
les « Gaulois », complètement assimilés aux Romains assez rapidement et
qui ont construits et habités de belles villes romaines.
Les autres exemples de multiculturalisme que l’histoire nous
offre sont du même genre. L’Empire ottoman était « multiculturel » si
on acceptait la domination ottomane sans rechigner. Même les Arabes ont fini
par se révolter au XIXe siècle. Les minorités religieuses étaient intégrées
dans le système du dhimmi qui leur donnait un semblant de sécurité
pourvu qu’elles se contentent d’un statut complètement subordonné. L’empire
austro-hongrois, héritier du Saint Empire romain germanique était un empire
germanique et non un empire multiculturel. Quand, à la suite des mouvements de
1848, il a admis les droits des Hongrois, c’était déjà le commencement de la
fin.
Tous ces organismes étatiques multiculturels ont des traits
communs : une « culture » (quel vilain mot ici) y est dominante.
Le groupe national dominant impose aux groupes dominés se propre loi et fait de
sa culture la culture par excellence. Les groupes dominés survivent dans des « niches »
qu’on bien voulu leur concéder, mais toujours dans une situation précaire :
demandez aux Juifs d’Europe centrale et orientale ou de l’Empire ottoman ce qu’il
en était…
Ce qui a historiquement tué le multiculturalisme, ce fut le « printemps
des peuples » de 1848 qui a durablement installé la question des nationalités
au premier plan de la politique européenne. Pour les mêmes raisons, les peuples
colonisés se sont soulevés contre les colonisateurs au cours de XXe siècle. Les
Algériens ni les Vietnamiens n’ont voulu construire de nation multiculturelle,
ils ont construit ou cherché à construire une nation algérienne ou vietnamienne
sur le modèle des États-Nations européens.
Impossibilité pratique du multiculturalisme
La vérité est que le
multiculturalisme n’a aucune réalité. Ce qui s’en rapproche, c’est la
cohabitation plus ou moins chaotique de « communautés » qui n’ont
presque rien en commun. Historiquement, les Anglais n’ont jamais cru à l’égalité
de tous les humains, les Anglais existent mais pas les hommes, disaient déjà
Edmund Burke l’auteur des fameuses considérations sur la révolution française. La
coexistence des communautés en Angleterre n’est d’ailleurs que la survivance de
l’Empire britannique à travers le Commonwealth – d’où l’importance des
communautés indiennes, pakistanaises ou jamaïcaines outre-Manche. Cette
coexistence n’est d’ailleurs possible que parce que les lois britanniques ne s’appliquent
que partiellement dans les communautés musulmanes qui bénéficient de privilèges
particuliers en matière de droit civil. Pour toute une série de raisons d’ailleurs
les classes dirigeantes et les médias ferment les yeux ou regardent ailleurs
quand le laxisme de la justice et de la police aboutit à de véritables
scandales comme dans l’affaire des viols collectifs de Telford.
Quand les cultures sont trop éloignées, c'est-à-dire quand l’assimilation
est impossible, le multiculturalisme révèle très vite sa vacuité. Polonais,
Italiens, Espagnols et Portugais ont déjà mis un certain temps pour s’assimiler
en France, alors qu’ils avaient en commun la religion majoritaire et le même goût
du vin et des cousinages historiques presque millénaires. On a cru, naïvement
ou bêtement, que l’immigration maghrébine allait suivre le même chemin. Il n’en
a rien été. Une population musulmane, si elle veut rester musulmane ne peut ni
partager les repas, ni boire du vin, ni donner ses filles à marier à des
Français non musulmans – quelle que doit d’ailleurs la couleur de leur peau. Mais
si on ne peut ni manger, ni boire, ni se marier, quelle vie commune est donc
possible ? Les musulmans acceptent éventuellement d’ouvrir leur table à
des non-musulmans à condition que ceux-ci acceptent les règles de table
musulmanes, mais l’inverse est devenu de plus en plus difficile : il ne
suffit plus de ne pas servir de porc, encore faut-il que le mouton ou le poulet
soient garantis « hallal » et qu’aucune bouteille de vin ne soit mise
à table. Un musulman peut épouser sans problème une non-musulmane puisque les
enfants issus de ce mariage seront réputés musulmans, mais l’inverse est
toujours un drame : la condition pour épouser une fille musulmane est de
devenir musulman. Les fameux mariages mixtes dont les professionnels du
multiculturalisme à la française (j’en ai fait partie en tant qu’animateur de
SOS Racisme) nous ont rabattu les oreilles sont soit des rares exceptions dans
des milieux intellectuels, soit des faux mariages mixtes (les deux époux sont
musulmans mais l’un est de nationalité française et l’autre non) soit des
mariages qui se rompent vite.
Ce qui apparaît nettement aujourd’hui avec la montée de l’islam
politique en Europe c’est tout simplement une vérité d’évidence que seuls
peuvent ignorer les bavards « hors-sol » des médias et de la classe
politique : aucune communauté n’est vraiment multiculturaliste. Si elle
existe comme communauté, c’est qu’elle estime que sa vie particulière de
communauté vaut mieux que celle des communautés avec lesquelles il faut
cohabiter. De même que la bouteille de vin sur une table offense la vue du « bon
musulman », de même la coexistence avec une société où les femmes montrent
tout leur visage, leur décolleté et leurs jambes apparaît comme offense faite à
sa foi. Seuls des européens modernes qui ont perdu la foi ou pour qui la foi ne
peut résider dans un morceau de tissu et l’observation d’une loi absurde peuvent
admettre le multiculturalisme, mais pas ceux qui sont les objets de cette tolérance
multiculturelle.
Ainsi la multiculturalisme est-il soit le dernier vestige de
l’arrogance du colonisateur camouflé en parangon de la tolérance, soit le
cheval de Troie de minorités conquérantes qui espèrent imposer leurs règles propres à la prochaine étape, quand ils seront assez
forts pour se débarrasser des oripeaux multiculturels : c’est, par
exemple, la stratégie des Frères musulmans qui au nom du « vivre ensemble »
et du multiculturalisme veulent imposer la tolérance du voile et l’ouverture
des piscines réservées aux femmes, en attendant le moment où ils pourront
imposer le port du voile à toutes les femmes et la ségrégation généralisée dans
l’espace public.
Le nihilisme moral
L’ABC du multiculturalisme est l’affirmation que toutes les
cultures se valent et que nous devons apprendre à nous enrichir de nos
différences… Et tout le monde de citer Montaigne (« nous nommons barbare
ce qui n’est point dans nos usages »). Et les savants de rapporter les
coutumes les plus étranges pour soutenir que tous les goûts sont dans la
nature. Mais, à ma connaissance, aucun défenseur du multiculturalisme n’est
prêt à faire un festin de son meilleur ennemi. Le cannibalisme, on se demande
bien pourquoi, continue d’être tenu pour une pratique particulièrement dégoûtante.
Les cultures qui ont prohibé le cannibalisme vaudraient donc mieux que les cultures
qui l’admettent. Mais alors toutes les cultures ne se valent pas.
Écartons les extrêmes et n’admettons point au banquet multiculturel
ceux admettent le cannibalisme, les sacrifices humains et quelques autres horreurs
de ce genre. On pourrait dire qu’une société multiculturelle accepte toutes les
cultures raisonnables. Mais d’une part on met ainsi la raison au-dessus de
toutes croyances et de toutes les coutumes, c'est-à-dire qu’on met au-dessus de
tout l’idéal occidental des Lumières, ce qui contredit le relativisme professé
par les multiculturalistes. D’autre part, on est bien en peine de fixer une
limite claire du raisonnable. Est-il raisonnable ou déraisonnable de considérer
que les hommes et les femmes sont inégaux naturellement ou par la volonté du
Seigneur ? Demander à un musulman d’admettre l’égalité de l’homme et de la
femme, c’est aller clairement contre le texte coranique et contre toute la tradition
interprétative. On peut rêver d’un islam « réformé », compatible avec
les réquisits des sociétés laïques et démocratiques, mais cela suppose qu’on
abandonne le multiculturalisme au profit des « valeurs » de la « modernité ».
Il est assez curieux de voir parmi les défenseurs patentés du
multiculturalisme des gens qui ne supportent pas le caractère « sexiste »
de la langue, réclament l’imposition de la prétendue « écriture inclusive »
mais proposent d’accepter la coexistence avec
des cultures qui prônent la polygamie, pensent que la femme vaut la moitié d’homme
et sont prêtes à marier des fillettes de neuf ans – c'est-à-dire à les vendre à
un vieux barbon qui pourra les violer. Et que dire de ces militants LGBT prêts
à prendre la défense de « traditions culturelles » où l’on trouve
normal de pendre les homosexuels. De deux choses l’une : soit les droits
démocratiques et égalitaires qui caractérisent du moins en paroles les sociétés
démocratiques laïques modernes ont une valeur éminente et doivent être défendus
et alors on ne peut pas être multiculturaliste. Soit on est multiculturaliste
et alors on admet que le machisme est une position acceptable, que la femme
peut être soumise à l’homme et alors il faut cesser tous les bavardages « genristes ».
La théorie des « minorités opprimées »
L’argument le plus courant pour défendre une position
multiculturaliste « de gauche » est celui qui consiste à assimiler
les cultures exogènes à celle des opprimés. Les musulmans le seraient parce que
l’islam serait la religion des opprimés. Nous, Européens démocrates, nous
devrions donc nous contenter de dénoncer nos gouvernements qui ont produit la
misère sur laquelle l’islam politique prospère et nous devrions mener un travail
d’éducation en direction de ces populations pour les détourner de leurs
habitudes et de leurs mœurs anti-femmes, anti-homosexuels, etc. En dépit de ses
bonnes intentions, cette position est doublement fausse. D’abord parce qu’elle
reconduit la position du colonisateur chargé de l’éducation de ces arriérés et
qui doit tolérer leur arriération comme on apprend à tolérer – jusqu’à un
certain point – les bêtises de ses enfants. Ensuite parce que les revendications
culturelles des musulmans (ou des autres minorités comme les sikhs dans le
monde anglosaxon) n’expriment nullement la misère des opprimés mais la volonté
de puissance d’une classe moyenne en pleine ascension. Il est tout à fait révélateur
que le responsable du CCIF soit un ancien trader !
Nous devons prendre au sérieux l’islam et traiter ses
défenseurs comme des gens sérieux, comme des adversaires et comme des ennemis
et non avec la commisération bien-pensante des colons repentis. Et balayer une
bonne fois pour toutes les billevesées multiculturalistes. Le multiculturalisme
est non pas l’ennemi du capital mais son allié privilégié, non seulement parce
qu’il redonne toute sa place au vieil opium du peuple qu’est la religion, comme
ultime baume à étaler sur les plaies produites par la concurrence libre et non
faussée, mais aussi parce qu’il disloque toute communauté politique et nourrit
l’individualisme exacerbé propre à un mode de production qui dissout toute
véritable communauté humaine.
Le 24 juin 2019 – Denis Collin