Actuel Marx a ouvert,
dans son numéro 64 (septembre 2018), un débat sur la traduction d’Aufhebung chez Marx, avec un article de
Lucien Sève[1]. La
question avait pris, à son initiative, une tournure inédite en France à la fin
du siècle dernier, opposant une traduction par dépassement à celles traditionnellement employées jusqu’alors
telles qu’abolition et suppression, essentiellement destinée à
écarter l’idée d’une abolition du capitalisme au profit de son dépassement. Le
présent article prolonge la discussion en s’inspirant d’un ouvrage qui lui fut
consacré en 2016, L’Esprit de la
révolution - Aufhebung, Marx, Hegel et l’abolition[2],
auquel l’article de Sève répondait.
Un article de Patrick Theuret (voir aussi la recension de Tony Andréani)
Abolition :
emblème d’une période historique, Mouvement de revendications et de
transformations politiques et sociales
Pour éclairer la
discussion sur la traduction d’Aufhebung
chez Marx, on commencera par situer ce terme dans l’histoire politique et
sociale, et dans la philosophie qui la reflète de la fin du XVIII° au milieu du
XIX° siècle. Une ère de révolutions et de contre-révolutions. Une ère qui
partout en Europe, en France plus qu’ailleurs, voit éclater de vastes mouvements
de revendications et des trains de mesures qualifiés d’abolitions ou de suppressions :
des privilèges, de la féodalité, de la monarchie, de l’esclavage, du servage,
des classes, et bien d’autres. Les Allemands employaient essentiellement deux
termes, synonymes dans ce contexte : Aufhebung
et Abschaffung. Naturellement ces
faits et ce vocabulaire plongeaient leurs racines loin dans le temps et se sont
prolongés jusqu’à nos jours, mais nul doute que cette période les porta au
sommet, au cœur d’une grande fracture entre l’ancien et le nouveau.
Le mouvement ouvrier,
le mouvement socialiste et communiste, employèrent naturellement, amplement et
plus spécifiquement, ce même vocabulaire. S’entremêlaient des
abolitions/suppressions constatées ou prônées, dénoncées ou souhaitées. Dans le
2ème chapitre du Manifeste de 1848, qui
est proprement programmatique, on en compte plus d’une vingtaine avec Aufhebung, une dizaine avec Abschaffung, et d’autres encore avec plusieurs
autres verbes (beseitigen, zerstören, vernichten, aufhören, etc.)[3]. Au total une cinquantaine en une dizaine de pages.
L’ampleur et la diversité des domaines
concernés par ces abolitions ou suppressions, dans le Manifeste sont considérables :
1) avec Aufhebung :
la propriété privée (4 fois) ; l’antagonisme de classes ; l’éparpillement
des moyens de production ; le triste mode d’appropriation
personnelle ; une forme de propriété ; votre forme de propriété
(bourgeoise) ; l’état des choses ; l’individualité, l’indépendance et
la liberté bourgeoises ; le trafic, les rapports de production bourgeoise
et la bourgeoisie elle-même ; la famille ; l’exploitation des enfants
par leurs parents ; les liens les plus sacrés ; le rôle des femmes
comme simple instrument de production ; la communauté des femmes, la
prostitution ; l’exploitation de l’homme par l’homme ; l’exploitation
d’une nation par une autre ; les anciens rapports de production ; les
classes en général et par là-même sa propre domination de classe; la distinction
ville-campagne ; la famille, le gain privé et le travail salarié ;
2) avec
Abschaffung : les rapports de
propriété ; la propriété féodale ; la propriété en général ; la
propriété bourgeoise (2 fois) ; la propriété personnelle (2 fois) ; l’indépendance
individuelle (par l’industrie) ; la patrie, la nationalité ; les
vérités éternelles ; la religion ; l’héritage ; les rapports de production
bourgeois.
Dans ce contexte Marx et Engels en viennent à
conclure : « Les communistes peuvent résumer leur théorie dans
cette proposition unique : abolition de la propriété privée ». En
Allemand : Aufhebung.
Karl Marx est
francophone. Juste avant d’écrire Le
Manifeste, il a rédigé en français un ouvrage fondateur[4], Misère de la philosophie, et un Discours sur le libre-échange. C’est en
parfaite compétence qu’il révisera donc ultérieurement la traduction du Livre 1
de son ouvrage majeur, Le Capital, au point de le considérer comme
pratiquement écrit de sa main en langue française. Comment traduit-il Aufhebung? Suppression/abrogation/abolition
sont majoritaires (56%). Les autres
termes sont de la même veine (faire disparaître, annuler, etc.), ou plus accentués :
détruire, anéantir (20%).
Comment, en sens inverse, Marx traduit-il en allemand :
« L'anéantissement de toutes espèces
de corporations des citoyens du même état ou profession », de la
fameuse loi Le Chapelier au caractère anti-ouvrier prononcé[5] ?
Aufhebung.
Lorsque son Misère de la philosophie et son Discours sur le libre-échange sont
traduits en allemand, par Karl Kautsky et Eduard Bernstein : abolition est
traduit par Abschaffung, tandis qu’Aufhebung reflète principalement les
utilisations par Marx des verbes anéantir et détruire.
Faisons intervenir à
présent une troisième langue. Le
Manifeste a été traduit en anglais : deux versions sont notoires. On
doit la première à Helen Macfarlane (1850), contemporaine et camarade de Marx,
et l’autre à Samuel Moore. Plus tardive (1888) celle-ci fut entièrement revue
et validée (« authorised »)
par Engels, qui, tout comme Marx, aura passé l’essentiel de sa vie en
Angleterre, en maîtrisant très tôt la langue. La table de correspondance est
homogène avec la précédente. Huit verbes anglais à claire connotation suppressive
sont mobilisés, avec une dominante à 75% pour trois d’entre eux : abolish, destroy, do away.
Ces études de
traductions dans leurs contextes forment les trois premiers chapitres[6] et
toutes les annexes de L’Esprit de la
révolution, ouvrage qui ne comporte, en revanche, aucune traduction
propre, aucune proposition de traduction systématique, mais analyse et compare les
traductions existantes, en particulier celles qui portent l’empreinte des auteurs
et de leur environnement.
À première vue on
serait tenté de conclure qu’il n’y a guère matière à un vif débat. Ou plutôt
qu’il n’y en a pas davantage que pour tout autre auteur, avec des libertés de
style, des synonymes, des actualisations, des périphrases, pour rendre un sens
sans traduire mot à mot, respectant la célèbre formule de saint Jérôme[7] :
« non verbum de verbo, sed sensum exprimere de sensu. »
Retraduire Hegel & Marx ?
Le débat s’est pourtant
quelque peu enflammé en France à la fin du XX° siècle dans un mouvement entrecroisé
de révisions chez Hegel et chez Marx des traductions traditionnelles pour Aufhebung (et non pour Abschaffung).
Hegel, fervent
partisan de la Révolution française, surtout à ses débuts, fait en effet un
large usage d’Aufhebung, qu’une Remarque promise à une grande renommée, insérée
dans son Science de la Logique (1812),
associe à deux sens opposés : conservation et suppression. Il place alors ce
terme au centre de son raisonnement ontologique : être/néant/devenir :
« L’être et le néant sont une seule
et même chose » … « mais
considérés du point de vue de la vérité, de leur unité, ils ont disparu comme
tels et sont devenus autre chose »[8]. Pour
la re-traduction pas moins d’une douzaine de nouvelles suggestions fit surface,
la majorité dans une perspective positivante, s’appuyant sur sa Remarque pour repousser les traductions traditionnelles
jugées trop « négatives »
(abolition et suppression). Deux d’entre elles, datant de 1967, « relève » que l’on doit à Jacques
Derrida, et « sursomption »
à Yvon Gautier, ont connu plus de succès, sans pour autant renverser les
traductions traditionnelles qui conservèrent une grande vitalité.
Pour re-traduire Marx dans
la foulée, le mouvement ne donna pas lieu à la même créativité. C’est à Lucien
Sève, après quelques tentatives précédentes moins décisives, que nous devons une
révision par dépassement qui serait,
suivant l’expression de l’un de ses hérauts, la « vraie traduction » pour Aufhebung.
Rappelons que dans les traductions validées par Marx et Engels dans les
ouvrages cités, pas une seule fois n’est apparu dépassement, comme synonyme d’Aufhebung, terme qu’ils connaissent tant
en français qu’en allemand, notamment avec le verbe überschreiben.
La thèse
« dépassementiste » de 1999
Lucien Sève conteste ainsi la « traduction classique et toujours pratiquée de Marx » par
abolition avalisée pourtant par les auteurs : « Quand on lit Marx dans les traductions françaises existantes, on
y rencontre souvent le mot abolition –
exemple type : le Manifeste
évoque à plusieurs reprises ʺl’abolition des rapports sociauxʺ existants
– devenu de longue date un identificateur majeur du discours communiste :
il faut abolir la propriété des
moyens de production, abolir le
capitalisme… Or, dans la plupart des
cas, le terme dont se sert Marx est le fameux Aufhebung qui,
dans la langue allemande courante, veut dire en effet abolition, suppression,
abrogation, mais qui, dans la langue théorique de Hegel, et de Marx à sa suite
a expressément, comme le veut son étymologie —Hegel s’en explique en toute
clarté— un sens beaucoup plus dialectique : à la fois suppression,
conservation et élévation, autrement dit passage à une forme supérieure, ce que
les traductions actuelles de Hegel rendent par le néologisme sursomption et dont le français courant donne une idée
assez correcte en parlant de dépassement ». Lucien Sève ajoute : « Preuve contraire quand Marx veut dire abolition pure et simple – par
exemple, dans le Manifeste, "abolition de l’héritage" ‒ il emploie de tout autres mots,
comme Abschaffung ou Beseitigung ». Enfin, surtout, tout cela ne
serait en rien anodin quand est dénoncée « l’idée fausse, non marxienne, d’abolition » comme « une patente déformation de sa pensée aux
conséquences inévaluables », tandis qu’est réservée à la nouvelle
traduction par dépassement le privilège de « rétablir l’intelligence
exacte de ce que Marx avait en tête. »[9]
Dans L’Esprit de la
Révolution, ladite thèse fut réfutée point à point :
1°) Il n’y a
aucune raison d’attribuer à priori à Marx une langue théorique différente de la
langue courante. Sa langue est d’abord et fondamentalement une langue militante,
surtout dans Le Manifeste.
2°) Marx
n’est pas un suiveur de Hegel. Les
liens entre les deux auteurs sont d’une tout autre nature, dans le vocabulaire[10]
comme dans les thèses dialectiques, et très éloignés s’agissant de la
conception de l’histoire des sociétés.
3°) Dans ses
écrits, à commencer par Le Manifeste,
Karl Marx use sans conteste du vocabulaire abolitionniste dans le sens commun
de son époque, celui de la langue politique, davantage marquée chez les
révolutionnaires.
4°) Les traductions
par abolition et suppression ne sont pas de « patentes déformations » de la pensée de Marx mais son expression
caractérisée et répétée, validées notamment par les traductions en français et
en anglais.
5°)
L’étymologie mentionnée par Hegel n’est pas une étymologie mais une analogie
avec un verbe latin (tollere), qui ne
constitue en rien la source étymologique d’Aufhebung.
6°) La
traduction d’Aufhebung chez Hegel
n’est pas sursomption, qui n’est que
l’une des nombreuses suggestions pour réfuter la traduction traditionnelle par
abolition ou suppression.
7°) Aufhebung n’est pas un quasi-antonyme d’Abschaffung et de Beseitigung. Chez Marx, dans le contexte qui nous intéresse, les
trois termes fonctionnent comme des synonymes, tandis que d’autres termes
doivent être rapprochés de l’intersection synonymique, surtout Vernichtung (anéantissement, destruction).
8°) L’idée
d’abolition n’est pas « fausse, non
marxienne ». Elle constitue un élément clef, récurrent et structurant,
de la pensée de Karl Marx comme des objectifs de l’action des révolutionnaires
de son temps (le fréquent usage du terme Abschaffung,
si besoin était, l’attestant par ailleurs).
L’étude de 2002 et la réfutation des critères objectifs
Le point nouveau, avec
son article dans Actuel Marx de
septembre 2018, est que celui-ci affirme : cette thèse « n’est pas la mienne », et, paraphrasant Marx, « ce que je sais, c’est que je ne suis pas
dépassementiste »[11]. Cette
position trouve sa source dans un texte dit de 90.000 signes, daté de 2002, non
publié, où il se livra à une étude sur le sujet. Au lieu de la systématicité de
traduction (Aufhebung = dépassement),
y était désormais défendue la diversité. C’est l’évidence, encore faut-il établir
les règles de cette diversité.
Loin de choisir, par
exemple, un ou plusieurs des quatorze autres termes que Marx a validé dans sa
traduction française du Capital, Sève
entend seulement faire place, et non de manière modeste, mais avec une préséance
relevant de l’excellence morale, à dépassement,
terme que ni Marx, ni Engels n’avaient retenu dans leurs traductions du Capital et du Manifeste. Pourquoi pas ? Mais alors on devine qu’il faudra de
solides arguments pour justifier l’immixtion de ce terme, à cette place d’honneur,
à l’insu des auteurs.[12]
Avant d’en arriver au
plaidoyer pour dépassement et à sa
critique, mesurons bien, avec ce texte de 2002, repris dans ses grandes lignes
par l’article de 2018, l’ampleur du renversement de la thèse de 1999, sur chacun
des huit points controversés. Désormais, pour Sève :
1)
Marx n’est plus situé en opposition à la langue
commune : tantôt écrit-il « le
vocabulaire de l’Aufheben ressortit à la langue courante et renvoie
sans problème à l’idée de suppression, d’abolition, de disparition; tantôt au
contraire il recouvre de façon manifeste une conceptualisation dialectique
marquée par l’assimilation critique de Hegel. »
2)
Marx n’est plus le suiveur de Hegel :
« Il faut, contre Hegel, réhabiliter
partout les antagonismes inconciliables « dont s’allume la décision de la lutte » (…), restituer en
conséquence à l’Aufhebung sa dominante négative et par là même
révolutionnairement innovante. »
3)
Le
Manifeste n’est plus l’ouvrage-type où il ne faudrait pas lire abolition à
chaque fois qu’Aufhebung est
employé : « Les occurrences du
vocabulaire de l’Aufhebung sont nombreuses dans ce texte, (…). Dans la plupart
de ces passages, Marx et Engels usent indifféremment,
semble-t-il, des verbes aufheben et abschaffen,
ce dernier voulant dire sans contestation possible abolir, abroger,
supprimer ». « Il faut aussi tenir compte du fait que le Manifeste veut s’adresser avant tout
aux prolétaires. »
4)
Les traductions par abolition ou suppression ne
constituent plus de « patentes
déformations » de la pensée de Marx car il n’y a « guère doute que dans la plupart des cas (…) les
termes français les plus fréquemment indiqués (…) sont supprimer/suppression et abolir/abolition. »
5)
La référence étymologique tirée de Hegel, qualifiée
initialement de si « claire »,
a simplement disparu.
6)
« Sursomption »
n’est plus la traduction qualifiée chez Hegel : « Cette traduction, convention de langage tout
arbitraire de l’aveu même de ses inventeurs, équivaut en fait à un refus de traduction. »
7)
Les termes signifiant « abolition pure et simple » : Abschaffung et Beseitigung ne sont plus opposés à Aufhebung : « Cas
par excellence du Manifeste, où
Aufhebung est traité en synonyme d’Abschaffung, voire de Beseitigung. »
8)
L’idée d’abolition n’est plus « fausse, non marxienne » car « Le Manifeste
est de bout en bout une apologie de la destruction révolutionnaire de la
société de classe, et le sens le plus éliminateur de l’Aufheben fait éminemment
partie de sa tonalité. »[13]
Sur ces huit points en
débat, l’accord est patent pour sept d’entre eux, auxquels, avec une nuance de
proportionnalité, pourrait même être ajouté le premier de la liste. Et
l’essentiel de la controverse sur la traduction est ainsi traité.
De « l’idée fausse non marxienne
d’abolition » à la « fausse querelle »
La logique conduirait
à penser de Sève qu’il a radicalement changé d’avis, ce qui serait plus qu’honorable,
sa thèse de 1999 n’ayant pas contrairement à celle de 2002, été le fruit d’un
travail d’investigation. Mais il se défend d’avoir varié. Son texte de 1999 n’est
pas désavoué, ni même nuancé. Quant à celui de 2002, n’ayant jamais été publié,
ses fondements ne sont pleinement rendus publics qu’avec Actuel Marx, en 2018.
De cette circonstance,
Sève tire argument. Il aurait été victime d’une « fausse querelle » ouverte par L’Esprit de la révolution.
S’il n’en réfute pas la longue étude sur les traductions de Marx, gratifiée
au passage d’une mention relative à son « érudition », celle-ci reste sans effet. Par exemple, la
méthode consistant à s’appuyer sur les traductions effectuées ou validées par Marx,
Engels ou leurs proches, n’est pas relevée. Sève s’en tient à sa liberté de
traducteur, sans référence aux traductions validées par les auteurs eux-mêmes.
Quant au plaidoyer de continuité de 1999 à nos jours, il repose
tout entier sur l’interprétation du mot « unilatéralement » dans la citation suivante. En 1999, il était
écrit que « la traduction classique et
toujours pratiquée de Marx où Aufhebung est unilatéralement rendu par abolition
constitue donc une patente déformation de sa pensée aux conséquences
inévaluables »[14]. Unilatéralement,
les dictionnaires le répètent, signifie ne voir qu’« un seul aspect »[15].
Dans l’argumentaire de 1999 cela s’entendait parfaitement. Sève opposait un
concept limité à un seul aspect (« abolition
pure et simple ») à un autre qui en comptait trois (« suppression, conservation et élévation »).
L’abolition était accusée de n’être ni conservatrice, ni élévatrice mais
uniquement suppressive/négative. C’est du reste ce même sens qui le conduit en
2018 à condamner l’abolition comme « une
idée ruineusement unilatérale de la révolution communiste »[16] : ne voyant qu’un seul côté, le
destructif.
En 2018, Sève débute son texte par cette même citation, mais
y rajoute : « en maints
cas, disais-je, le terme a, comme chez Hegel, un sens beaucoup plus
dialectique ». Ce « maints
cas » change effectivement le périmètre d’application de la correction
de traduction, en le minorant. Sève interprète alors le sens initial d’« unilatéralement » comme synonyme de
« systématiquement »[17]. C’est
ainsi qu’il s’attribue d’avoir été ab
initio mesuré et nuancé. Face à une traduction abolitionniste jugée extrémiste,
il aurait plaidé contre la systématicité de la traduction par abolition et non
pour la systématicité de celle par dépassement.[18]
Rappelons la démonstration de 1999 et sa logique très claire,
laquelle a disparu entre temps. Elle se déroulait comme suit : 1- On
trouve chez Marx beaucoup d’abolitions. 2- Il faut y distinguer celles qui
procèdent du terme Aufhebung, des
autres. 3- Il faut distinguer à son tour deux sens dans Aufhebung, un sens commun, et un sens théorique. 4- Ce dernier est
celui « plus dialectique »
de Hegel (le triptyque) que Marx reprend. 5- C’est ce sens là qu’il faut
attribuer à Aufhebung, sous peine de
« patente déformation », et
ce contre la « traduction classique »
par « abolition ». 6- Le
terme proposé pour ce sens est « sursomption »
chez Hegel et « dépassement »
chez Marx. 7- Retour au point 2 : les autres termes allemands traduits par
abolition sont Abschaffung et Beseitigung. Ils sont eux validés pour signifier
« abolition » (avec un seul
sens et non trois), au contraire d’Aufhebung.
Mais admettons néanmoins qu’en 1999 Sève ait réellement
pensé qu’Aufhebung pouvait, dans
quelques cas seulement, être traduit par « dépassement », et qu’il aurait juste omis dans ce passage de
mentionner que la traduction par abolition, était en réalité très largement
recommandée chez Marx. Quelle image renvoyait-il alors de l’abolition ? Qualifiée
de « patente déformation »
de sa pensée, elle interdisait de respecter « l’intelligence exacte de ce que Marx avait en tête », portait
la responsabilité de « conséquences
inévaluables », menant à ce « résultat
extravagant », d’oser contester le « passage terminologique d’abolition à dépassement », par
attachement à l’« idée fausse, non marxienne,
d’abolition ». Un vrai réquisitoire ! La thèse ne s’inscrivait alors
nullement dans le registre de la diversité, de la proposition et de
l’enrichissement. Son ton comminatoire, reste un élément clef de la controverse.
L’aversion était telle que ce que de l’Afrique du sud à l’ONU on appelle
« abolition de l’apartheid »
était même retraduit dans la foulée par « dépassement de l’apartheid. »[19]
Mais passer d’une règle de traduction systématique à celle
de l’exception change-t-il ici la donne, les termes du débat ? Aucunement.
En l’absence de critères objectifs, tels que ceux exposés en 1999, puis écartés
en 2002, la proposition de traduction par dépassement, même réduite à « nombre de cas » perd toute chance
de révélation salutaire (celle d’une correction de traduction erronée depuis
des décennies), ramenée qu’elle est au simple dessein de faire prévaloir ses propres
connotations. On peut toujours, en effet, aligner autant de citations de Marx que
l’on veut en déclarant préférer traduire ici ou là (même en ajoutant qu’on y « est obligé »[20])
par dépassement plutôt que par abolition, on reste soumis à sa seule appréciation
personnelle, nullement opposable aux tiers, sauf à être proposée en des termes
extrêmement mesurés et respectueux des autres choix.[21]
La définition de 1999 présentait, au contraire, tous les
traits d’une thèse scientifique, avec des critères objectifs clairs, cumulatifs,
énoncés avec certitude. Deux concepts étaient identifiés, avec leurs
vocabulaires propres en allemand, le triptyque étant attribué à Aufhebung, contre le sens commun (au
profit d’une langue « théorique »),
et la vision réductrice à Abschaffung
et Beseitigung. La thèse était jugée auto-suffisante :
« certes un peu technique mais
accessible à quiconque », tellement qu’elle autorisait à fustiger au
passage ceux qui n’auraient pas « expliqué ces choses »[22]. Elle n’annonçait aucun besoin de recherche de
démonstration ultérieure. Les références à Hegel et à l’étymologie
constituaient des points impressionnants, suggérant une très profonde démarcation,
objective, imparable. Ne restait qu’à traduire la dichotomie en français :
abolition et dépassement. Entre le mal et le bien, l’ignorance et
l’intelligence : le choix était fort simple !
Mais la thèse initiale, avec ses critères objectifs, présentait
un autre avantage, celui de se prêter à une vérification rigoureuse. Ne
manquait donc à cette « hypo »-thèse que le passage de cette épreuve.
Malgré son préjugé favorable, Sève n’y est pas parvenu en 2002, ce qu’il a confirmé
en 2018. La thèse contraire fut longuement démontrée dans L’Esprit de la Révolution. Car l’essentiel, dans ce débat
linguistique, réside bien dans l’invalidation des arguments de 1999.
Il faut néanmoins réserver un sort spécifique au sentiment
de « fausse querelle » :
un malentendu sur ses positions réelles dont Sève s’estime injustement victime.
Dont acte ! On peut toujours, en effet, à tort ou à raison, regretter qu’un
auteur éloigné méconnaisse sa conviction profonde, voire caricature sa pensée
pour les besoins d’un débat controversé. Mais on ne saurait suspecter un proche
entre les proches, partisan déclaré de cette thèse, comme Roger Martelli, de
s’y être trompé également en toute bonne foi, lorsqu’il le félicitait, et à
moult reprises, de lui avoir appris que « dépassement du capitalisme » est la ʺvraieʺ
traduction française de ce que l’on pensait être l’abolition »[23].
Car c’est « Lucien Sève qui nous explique que le terme de ʺdépassementʺ est celui-là même
(Aufhebung) que Marx employait pour désigner le mouvement par lequel l’humanité
passerait d’une logique économico-sociale à une autre, d’une finalité à une
autre, de l’ère du capitalisme à celle d’un postcapitalisme. »[24]
Cette méprise légitime trouve certainement sa source dans le
fait que l’étude de 2002 ait été, dixit,
confinée « dans mes tiroirs »[25]. Que
soient, au passage, accusées les revues de l’avoir ignorée devient anecdotique[26],
quand l’auteur aurait pu la glisser dans l’un des dix ouvrages qu’il publia
depuis. Quoiqu’il en soit, le débat linguistique semblant pour l’essentiel résolu
par cette étude de 2002, s’en ouvrent aussitôt deux : philosophique et
politique. En effet, bien que la thèse initiale de traduction n’ait pu être
vérifiée, l’engouement pour dépassement ne
s’est pas pour autant démenti. Preuve qu’il repose sur d’autres fondements que
la langue et la pensée de Karl Marx.
QUEL espace residuel pour « dépassement » ?
Si, comme l’entend Sève, désormais sous Aufhebung chez Marx il y aurait désormais deux concepts distincts
(voire trois[27]),
dont l’un, le plus subtil et délicat, serait non une abolition « pure et simple », mais un
dépassement à triple dimension (conservation + suppression + élévation), la
question qui est posée est celle de délimiter son périmètre de validité selon
Sève, autrement dit la proportion d’occurrences concernées par la perspective du
dépassement chez Marx à partir de
traductions d’Aufhebung, sachant que
dans cette conception, celles qui en seraient écartées seraient considérées
comme des abolitions « pures et
simples », strictement négatives, et fort peu respectables.
Reprenons les règles de distribution par lui exposées.
1°) Contrairement à 1999 où le Manifeste constituait le texte privilégié d’une Aufhebung non strictement suppressive, en
2002, « le Manifeste est de bout en bout une apologie de la destruction révolutionnaire
de la société de classe, et le sens le plus éliminateur de l’Aufheben fait
éminemment partie de sa tonalité ». Exit donc du périmètre du dépassement tout le Manifeste et ses fameux « identificateurs »
du communisme (en particulier la vingtaine d’occurrences mentionnées au
début de cet article).[28]
Le reste de la période de jeunesse « ramène aufheben à son sens le plus destructif (…). Dans les textes de
cette époque, Aufhebung, est le plus souvent – je ne dis pas toujours – à
traduire sans réserve par abolition ou suppression. »[29]
Par ailleurs, « dans le livre 1 du capital, où Marx est
avare de catégories philosophiques pour être accessible au lecteur ouvrier, le
vocabulaire de l’Aufhebung est exceptionnel » [30].
Il ne figure donc pas non plus dans l’argumentaire en faveur de dépassement. On
y dénombre tout de même 25 occurrences d’Aufhebung,
traduites par Marx essentiellement par abolition ou suppression, mais où il
n’hésite pas non plus à se traduire par anéantir, abroger et détruire ! Et
pas une seule fois par dépasser. Le Livre III serait, en revanche, plus
dépassementiste malgré sa dizaine d’occurrences seulement.
Mais à écarter des ouvrages majeurs, tels que le Manifeste et le livre 1 du Capital, on se prive non seulement de
textes clés mais aussi de l’immense intérêt de profiter de leurs traductions
validées par les auteurs eux-mêmes. Sève se concentre alors sur les Grundrisse[31]. Paradoxalement
ses citations sont tirées d’une traduction signée Jean-Pierre Lefebvre, lequel
opte de manière écrasante pour abolition et s’en explique, mais emploie parfois
« abolir et dépasser »
notamment pour des filatures de cotonnades[32]. Sève
reconnaît pourtant encore dans Aufhebung :
« son sens purement négatif –
abolir, supprimer, mettre fin- sens bien présent dans les Grundrisse comme dans
toute l’œuvre de Marx. »
Du coup il est aisé d’en déduire que Marx reste, même pour
Sève, essentiellement un partisan de l’« abolition pure et simple » (quoiqu’on sache et pense encore de
cette expression), qualifiée initialement de « fausse » et « non-marxienne ».
Coupable à ses yeux de tous les drames révolutionnaires et
post-révolutionnaires, il lui réserve, en effet, des qualificatifs repoussants :
« une idée ruineusement unilatérale
de la révolution communiste », et l’associe à une vision « purement négative d’aufheben (abolir, supprimer, mettre fin) »,
avec un sens « le plus destructif (Marx)
n’hésitant pas, (…), à brosser un tableau terrifiant de la révolution
antibourgeoise qui vient. »[33]
Mais alors, si Karl
Marx est bien tel, en vertu de quel critère le fait de se réclamer de cette traduction
serait-il coupable d’« inévaluables
conséquences », tandis que le « passage d’abolition à dépassement » rétablirait « l’intelligence exacte » de
Marx ? Et le cas Karl Marx pourrait même se révéler plus grave
encore, si dispensées de la controversée Aufhebung,
étaient relevées toutes les abolitions « pures
et simples » exprimées notamment avec Abschaffung, terme qui ne soulève pas les mêmes doutes (par exemple
celles du Manifeste mentionnées en
tête de cet article). Or Marx et Engels traitent de la sorte et en synonymie
avec Aufhebung de tous les régimes de
classes, d’exploitation : l’esclavage, le féodalisme, le servage, etc.
PHILOSOPHIE DU « DEPASSEMENT » : REGLE OU EXCEPTION ?
Si le nombre d’occurrences proposé à la traduction par
dépassement se fait dès lors extrêmement rare, c’est que dépassement, dit Sève,
serait en fait lié « aux catégories
philosophiques »[34],
au vocabulaire « logico-philosophique »[35] (le
terme revient à 10 reprises) au contraire de celui destiné aux prolétaires[36], motivant
logiquement d’écarter cette traduction dans le Manifeste et le Livre 1 du Capital.
Dans ce périmètre ainsi réduit, choisissant lui-même 100 textes philosophiques
de Marx qu’il a personnellement traduits, Sève a rencontré une bonne
quarantaine d’occurrences d’Aufhebung.
Il n’en a traduit qu’un quart par dépassement[37].
On en déduit aisément qu’en l’absence des grandes œuvres, des autres textes
adressés aux ouvriers, autrement dit la quasi-totalité des écrits de Marx,
lui-même finirait par ne traduire qu’un nombre infime d’occurrences d’Aufhebung par dépassement.
Comment, dans ces conditions, Marx aurait-il pu avec « exactitude » penser le dépassement contre l’« extravagante » idée d’abolition du
capitalisme ? Car l’objectif essentiel de la révision de traduction chez
Marx, pour ne pas dire l’unique exception visée, est bien celle du capitalisme.
Il faudrait en conséquence admettre qu’un « identificateur communiste » de Marx fût traité avec un
vocabulaire spécifiquement philosophique, et que le dépassement du capitalisme, intéressât davantage les philosophes
que les ouvriers.[38]
Et quelle philosophie ? La philosophie dépassementiste présente une théorie du
sujet placé devant un choix manichéen, la croisée de deux chemins opposés,
qualifiée emphatiquement de « distinction catégorielle de validité
universelle »[39].
L’un vertueux parce que lent et délicat (dépassement).
L’autre, au contraire, brusque et destructeur (abolition). Ce schéma nous éloigne du Hegel dont le dépassement se réclamait initialement.
Hegel ne définit pas deux chemins pour en prôner un contre l’autre. Le
triptyque supprimer/conserver/élever n’est pas une voie merveilleuse, c’est la
réalité même, unique. Ce qu’il dit en substance c’est que toute abolition, qu’on
le veuille ou non, conserve et supprime, ce qui transforme. Hegel ne se pose pas
ce faisant en acteur. Il observe et transpose les conceptions scientifiques de
son époque en une ontologie. Il retranscrit le « Rien ne se perd, rien
ne se crée, tout se transforme » de Lavoisier, ou le « Tout
change. Tout passe. Il n’y a que le Tout qui reste. Le monde commence et finit
sans cesse. Il est à chaque instant à son commencement et à sa fin» de
Diderot[40]. Son
schéma ne cède nulle place à la volonté, au choix. Quant au conservatisme volontariste
et positif, il ne peut non plus se réclamer d’un Hegel pour qui, dans
l’histoire, ce qui est conservé n’est autre que le concept intact, d’origine
divine, lequel à la fin de son élévation n’est autre que son essence initiale
elle-même, et non un progrès au sens commun actuel.[41]
L’invention de l’abolition « pure et
simple »
Et, si les critères objectifs, qui
permettaient aisément de traduire en 1999 soit par dépassement, soit par
abolition, s’évanouissent, et si le périmètre s’est réduit comme peau de
chagrin, comment se guider désormais pour trouver les quelques cas où
dépassement serait néanmoins encore la « vraie » traduction d’Aufhebung.
Comment prétendre que chez Marx on serait « obligé », par exemple, de traduire par dépassement le destin
promis au capitalisme ? On déduit des diverses propositions de
re-traduction qu’elles sont toutes fondées sur des couples manichéens :
positif/négatif, lent/rapide, philosophique/prolétarien, Marx mature/jeune
Marx, délicatesse/brutalité, pacifique/violent, où dépassement est toujours
placé du côté jugé noble et abolition systématiquement disqualifié.
L’abolition serait uniquement
négative ? L’abolition, pour les progressistes, a toujours comme
corollaire de déboucher sur une émancipation[42].
Sa finalité est positive. Seul le passage intermédiaire est d’expression
négative.
L’abolition serait brusque ? C’est
confondre l’aspect déclaratif avec la grande diversité et la nécessaire
complexité des concrétisations : l’histoire de l’abolition des privilèges,
celle de l’esclavage, entre autres, en attestent. Quand en 1848 Victor Hugo se
lève à l’assemblée législative pour « ce but
sublime, l’abolition de la misère ! »[43], tout comme Marx et Engels se dressent en faveur de l’« abolition des classes », doit-on
leur prêter l’intention de ne laisser place qu’au néant ? D’entendre réaliser
cette abolition du jour au lendemain ?
Au contraire, le dépassement serait selon
Sève synonyme d’un « processus
naturel de lente extinction » et de « long dépérissement historique »[44].
Est-ce là la vision de Marx sur le capitalisme ? Pour le dépassementisme
tout ce qui est lent est systématiquement jugé plus doux et souhaitable tandis
que le passé est réévalué à cette aune pour y dénoncer les « révolutions-abolitions » comme des échecs
« sans exception ».
Celles-ci ne furent pourtant courtes que défaites et massacrées, les
victorieuses ayant le plus souvent été longues à s’imposer (France, Russie,
Chine, Vietnam, Cuba, Algérie, Angola, etc.) et surtout très douloureuses.
Le contre-sens type est celui de l’Adresse
à la Ligue des communistes (1850),
valorisée par Sève au seul motif qu’y est employée l’expression « développement révolutionnaire », qu’il
magnifie pour son évolutionnisme qualifié de « portée réformiste-révolutionnaire »[45], où
il décèle l’ancêtre préfigurant l’actuel dépassement.
Mais qu’appelaient de leurs vœux Marx et Engels dans ce célèbre texte ?
Exactement l’inverse : un soulèvement armé indépendant des ouvriers,
contre une pause d’« évolution
pacifique » imposée par la bourgeoisie, afin d’enchaîner sans désarmer
les deux révolutions, bourgeoise puis prolétarienne. Non pas lisser et ralentir
le processus mais l’accélérer. Le moyen préconisé : « Annihiler
l'influence des démocrates bourgeois sur les ouvriers, procéder immédiatement à
l'organisation propre des ouvriers et à leur armement ».
L’objectif : « Il ne
peut s'agir pour nous de transformer la propriété privée, mais seulement de
l'anéantir [Vernichtung]; ni de masquer les
antagonismes de classes, mais d'abolir [Aufhebung] les classes; ni d'améliorer la société existante, mais d'en fonder [Gründung] une nouvelle. Et de terminer
ainsi : « Leur cri de guerre
doit être : La révolution
en permanence. »[46]
Nous touchons ici le fond du problème
linguistique, politique et philosophique à la fois. La thèse dépassementiste
est consubstantielle de l’invention d’une « abolition pure et simple », même concédée à l’occasion au
jeune voire moins jeune Marx, laquelle n’existe pas dans la réalité, mais qui
crée artificiellement une alternative entre abolition et dépassement, pour
conférer à ce dernier des qualités morales et stratégiques inouïes. Pour vanter
les extraordinaires vertus du si pusillanime et si absent dans l’histoire dépassement, il devient alors indispensable
de discréditer celui d‘abolition,
porté par tous les mouvements d’émancipation depuis deux siècles.
C’est avec la vision caricaturale d’une
abolition qualifiée de « purement
négative », « entièrement
négative », associée à une « suppression
immédiate », « renvoyant
avec mépris ce qui ne l’est pas » en particulier les réformes, qu’est
dressé le portrait d’un « infantilisme
de gauche »[47]
dans lequel sont de fait versées non seulement toutes les révolutions du XX°
siècle, mais celles des XVIII° et XIX° siècles, et Marx avec. Renversant la
charge de la preuve, il reviendrait à l’abolitionisme de se justifier devant
l’histoire.
Quant aux millions qui ont lutté pour une ou
plusieurs abolitions n’auraient-ils été animés que par un dessein négatif,
reniant les acquis et ne débouchant que sur le néant, rien de meilleur ?
Ou bien faudrait-il également corriger rétrospectivement leur
vocabulaire ?
L’abolition, toute l’expérience le prouve,
peut, suivant les cas et les points de vue, déboucher sur des conséquences positives
ou négatives, être souhaitée ou redoutée, plus ou moins conservative,
consensuelle ou imposée, violente ou pacifique, d’application rapide ou
différée, avec ou sans compensation, et même provisoire, partielle et
réversible[48].
C’est le terme dominant des luttes d’émancipation dans tous les domaines, avec de
hautes ambitions de progrès. Les abolitions ne forment pas un mécanisme unique
mais présentent une infinité de cas de figure. L’abolition ne constitue pas une
méthode mais un objectif : que quelque chose disparaisse. Enfin !
Comment ? « Cela
dépend ! »
Un
traitement particulier et plus favorable du capitalisme développé
Mais pour quels motifs avait été mobilisé en 1999 cet
arsenal philosophique, étymologique, moraliste et stratégique en faveur de dépassement ? Son auteur l’exposa clairement
sans l’obscur détour philosophico-linguistique aujourd’hui amplement démenti :
il fallait éviter que le capitalisme développé ne fût maltraité par une
abolition car « le capitalisme ne
fait pas que détruire ». Il possède du « positif dans sa constante propension à détruire les barrières vétustes »,
tandis que l’« aliénation »
sous le capitalisme « n’est pas que
dépossession sans pitié des individus mais développement sans précédent des
capacités humaines ». Pour cela il convenait de convaincre les
adversaires du capitalisme de renoncer « au
discours de pure dénonciation sans alternative vraie et par suite sans audience
large », d’« éradiquer une
culture de négativisme et d’extériorité par quoi une force politique se
marginalise infailliblement », afin de sortir d’une pratique « repliée sur les luttes défensives que
devaient stimuler dénonciation d’ordre verbal et revendication de type syndical ».
Il fallait prémunir la société française contre un « acte politico-juridique de grande ampleur présupposant la conquête du
pouvoir d’Etat sur la bourgeoisie dans une classique perspective de recours à
la violence », conception qui plus est jugée coupable d’« attendre », de repousser les
échéances transformatrices, ignorant l’« étendue insoupçonnée du communisme déjà là. »[49]
Le capitalisme faisait là, avec dépassement, l’objet d’un traitement
qui se voulait de faveur, distinct de tous les autres régimes de classes,
d’exploitation[50],
contrairement à Marx qui les abordait tous de la même manière. Le repoussoir de
l’abolition propulse en effet sur un piédestal le « dépassement » : « une suppression-conservation bien
plus dialectique sur un plan supérieur », permettant notamment d’« en
finir avec les rapports de production capitaliste » mais « en promouvant » « ce qui a pu être acquis » sous les
anciens rapports de production, contre une abolition du capitalisme ridiculisée
comme signifiant « supprimer le
capital fixe », autrement dit tout l’appareil de production ![51]
Si l’objectif était de protéger le capitalisme contre un
excès abolitionniste, on voit mal d’où ce danger aurait pu surgir socialement
et politiquement dans la France de la fin du XX° siècle. Mais le point central
ne résidait pas dans cette réalité absente, on s’en doute, mais logée dans la
crédibilité du discours. L’objectif était, en effet, d’être « audible », ce qui commande un
langage mesuré et bienveillant. On se rapproche de la propagande, électorale
notamment. C’est un choix politique, mais c’est un autre débat, où l’on ne reconnaît
pas la paternité de Marx. Surtout si l’on considère comme Sève que « jusqu’au bout Marx a pensé quant à lui la
sortie du capitalisme comme impliquant une révolution brusque permettant d’opérer en peu de temps des
transformations économiques et politiques majeures et d’engager ainsi l’évolution
beaucoup plus lente de la phase
inférieure vers la phase supérieure de la société communiste. »[52] Deux
thèses politiques s’opposent donc : celle de Marx d’un côté, et celle de
Sève pour qui dépassement se rattache
au sens de « processus naturel de
lente extinction ». C’est le débat classique entre réforme et
révolution.
Si la force de conviction du dépassement ne peut s’appuyer sur Marx, et qu’incommodément sur
Hegel, elle se nourrit fort bien, en revanche, de l’évolution du capitalisme
riche et puissant, voire triomphal. Elle constitue un reflet, anachronique et
extrapolé, des espoirs nés de sa phase des trente glorieuses en Europe
occidentale, et non des craintes soulevées par les cruelles réalités du capitalisme
mondialisé en crise et guerrier actuel.
Pour repousser toute objection au dépassement, s’abriter derrière la parole qualifiée d’« exacte » du maître Marx, incarnait
une forme d’orthodoxie formelle irréfutable, une manière de clore et non d’ouvrir
le débat. Elle passait par le rejet de la tradition abolitionniste, rattachée à
une histoire honnie et défaite[53],
celle du XX° siècle révolutionnaire et socialiste. Car, au contraire des
potentialités communistes du capitalisme, le « ʺsocialismeʺ »
était lui « mensongèrement
donné pour première phase du ʺcommunismeʺ » car « il lui tournait le dos sur
tous les points essentiels »[54],
fruit qu’il était de la « révolution-abolition » focalisée sur la
seule négation » laquelle a « sans
exception été un échec au long du siècle dernier. »[55]
Le dépérissement de l’Etat
Plaidant en faveur du dépassement chez Marx, hors du
contexte bien restreint désormais de la traduction d’Aufhebung[56],
Sève a recours à un autre terme : Auflösung
(dissolution, dilution). Mais au lieu de reconnaître tout simplement que la
réalité elle-même offre des cas d’évolution (nécessairement les plus nombreux)
et des cas de révolutions, et ce dans des domaines et circonstances les plus
diverses, ce que reflète la diversité du vocabulaire de Marx, la démonstration
vise à les opposer pour valoriser systématiquement l’évolution, le processus le
plus linéaire et délicat possible, et le faire endosser par Marx au maximum et coûte
que coûte, contre l’abolition omniprésente dans son vocabulaire.
L’exemple, excellemment choisi, est celui de l’attitude de
Marx et d’Engels envers l’Etat. « L’abolition
(Abschaffung) de l’Etat est une vielle phrase de la philosophie allemande dont
nous avons beaucoup usé lorsque nous étions encore de naïfs jeunots [einfältige
Jünglinge] »[57].
Naturellement cette citation d’Engels de 1871 vient à point nommé confirmer que
Marx « ayant passé d’une conception
immature de la révolution à une autre plus instruite » abandonne
l’abolition et finit par se ranger au lent processus, comme l’attestera ensuite
la critique du Programme de Gotha où « Marx
tient pour évident que des fonctions étatiques « se maintiendront
analogues aux fonctions actuelles ». La renonciation à l’abolition de
l’Etat (Abschaffung), auquel a été substitué
son dépérissement (Auflösung, absterben),
attesterait de l’abandon généralisable d’un abolitionnisme de jeunesse « immature ».
Dans son texte de
2002 Sève ajoutait, judicieusement, qu’Engels avait daté cette abandon
d’immaturité. Il écrivait, mentionnant le discours funéraire d’Engels sur la
tombe de Marx, que « dès 1845, Marx et lui auraient pensé la disparition
future de l’Etat politique comme une «allmähliche Auflösung», une dissolution
progressive, autrement dit un dépassement
graduel »[58]. Et cela change tout à la démonstration sur
la maturité. 1845 c’est en effet la date du début de la coopération Marx-Engels.
Cela précède les textes fondateurs (Misère de la philosophie de 1847 et Manifeste
de 1848). C’est surtout placé avant la révolution de 1848. En somme cette
position n’est pas le fruit d’une longue expérience mais forme plutôt une définition
presqu’initiale. Leur moyenne d’âge était alors de 25 ans.
L’expérience révolutionnaire de 1848 conduisit, en revanche,
à un vrai changement d’attitude politique chez Marx, mais en direction inverse de
celle proposée par dépassement. Dès le lendemain de la défaite de 1848, dans
son 18-Brumaire (1852), reprise en
1871, la conclusion de Marx est : « La prochaine tentative révolutionnaire en France ne devra pas, comme
cela s’est produit jusqu’ici, faire changer de main l’appareil
bureaucratico-militaire, mais le briser [Brechen] » et de préciser à
l’égard de la Commune de Paris : « S’ils succombent ce sera uniquement pour avoir été ʺtrop gentilsʺ »[59].
Quant à « L’Unité de la Nation »
elle « devait devenir une réalité
par la destruction [Vernichtung] du
pouvoir d’État qui prétendait être l’incarnation de cette unité. »[60]
Il faut, en effet, pour sortir de la fusion et de la
confusion, séparer deux types d’Etat (ou deux étapes si l’on veut) : l’Etat
avant la révolution et l’Etat après la révolution, ce que Sève réunit, comme d’autres,
dans un Etat unique et abstrait, au lieu d’y voir avant tout sa nature de
classe, d’où la distinction dans l’attitude à adopter. Ce que Marx et Engels
disent schématiquement c’est qu’initialement l’Etat était imaginé comme pris
par les révolutionnaires, maintenu presque tel quel, retourné contre les
classes dominantes pour prendre des mesures de rupture (cf. Le Manifeste), puis une fois celles-ci
battues disparaitrait progressivement par inutilité.
Quel est, désormais, le sort réservé à l’Etat bourgeois par
Marx ? Être brisé, détruit, et non conservé pour le faire doucement évoluer.
Ensuite, la révolution créera, sous une forme qui lui sera propre[61], un
nouvel Etat, dont les fonctions de domination, au contraire des fonctions
sociales durables, dépériront. Autrement dit le sort des deux Etats est
distingué, le premier est militairement brisé, le deuxième se scinde et une
partie disparaît progressivement. Le nouvel Etat n’est pas destiné à être dans
sa totalité aboli. Lucien Sève voit là, contre l’abolition, une « évolution révolutionnaire vers le
communisme » (…) de façon exemplaire, c’est bien d’un dépassement qu’il
s’agit ici ». Oui, dépassement envisagé comme un dépérissement
naturel, mais seulement après la révolution. Pas avant, et moins encore pendant
celle-ci. Et mieux vaudrait dire ici « évolution
dans le communisme » écartant le terme « révolutionnaire »[62] lequel
est alors proprement « dépassé »
et le « vers », qui anticipe la phase, car Marx se
situe alors expressément « dans la première phase de la société
communiste, telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste, après un
long et douloureux enfantement. »
En réalité Marx et Engels ont donc, dans leur évolution, d’une
part durci le ton face à l’Etat bourgeois (destruction) dans le cadre de la
révolution, et manifesté plus de précision dans la part de conservation de
l’Etat/communauté qui lui succèdera sous le communisme. Autrement dit il n’y a
là strictement aucun argument en faveur d’un « processus naturel de lente extinction » de l’Etat capitaliste
et du mode de production capitaliste. Vision d’un dépérissement de l’Etat sous
le capitalisme, en revanche, très claire chez Sève pour qui « une désétatisation de l’État peut d’autant
mieux commencer aujourd’hui que la fuite en avant du capital le met gravement
en crise. »[63]
Ajoutons, pour en revenir à notre discussion sur la
traduction, que Sève ne perçoit sous Auflösung
que des processus lents et rassurants, auxquels il associe sa définition d’Aufhebung/dépassement. Mais que penser
de Marx disant de la Commune qu’elle « décréta la dissolution [Auflösung] et l’expropriation de toutes les Églises » ?[64]
Les intéressées, quoi qu’il en soit, et c’est le moins que l’on puisse dire,
n’ont guère apprécié le procédé.[65]
Le dépassement chez Marx et le communisme
Il existe donc bien, hors Aufhebung, un Marx du dépassement. Mais pas vraiment là où le dépassementisme le souhaiterait :
« Quand aura disparu l’asservissante
subordination des individus à la division du travail, et avec elle l’opposition
entre travail intellectuel et travail manuel (…) quand avec le
développement des individus à tous égards, leurs forces productives se seront
également accrues et que toutes les sources de la richesse collective
jailliront avec abondance, alors seulement l’horizon borné du droit bourgeois
pourra être entièrement dépassé et la société pourra écrire sur ses
drapeaux : ʺde chacun selon ses capacités, à chacun
selon ses besoins !ʺ »[66]
Marx opte alors pour le verbe dépasser (überschreiben)
et non aufheben. Lorsque Marx entend
dire dépassement, il sait parfaitement l’exprimer en allemand comme en
français. [67]
L’opposition entre Marx et Sève se confirme. Marx utilise ce
concept au sein d’un même mode de production (phases successives dans le communisme), quand Sève l’entend
pour le passage (évolution) d’un mode de production à un autre. Marx prône une
rupture révolutionnaire associée à l’abolition (Aufhebung/Abschaffung) d’un système, pour la fondation d’un nouveau
mode de production. Sève retourne Marx contre lui-même avec un lissage
dépassementiste tiré de l’évolution post-révolutionnaire afin de le faire
prévaloir avant et à place de la révolution, ce qui « jusqu’au bout ! » n’a pas été sa conception.
Or, ce renversement conceptuel n’est possible qu’au prix de
la révision du sens d’Aufhebung pour
le confondre notamment avec celui d’Überschreibung,
afin de replacer le capitalisme dans un « processus naturel de lente extinction », où les « actes-décisoires »[68]
des révolutionnaires, et la prise du pouvoir d’Etat, pourraient tout gâcher, au
lieu de laisser se répandre la substance désaliénante
d’un communisme pénétrant sans coup férir dans le capitalisme, le
transformant naturellement et lentement de l’intérieur. Les conflits de classe
cèdent alors la place à la bonté de l’intention jointe à la suavité de la voie
proposée : la « révolution-dépassement »,
où l’adversaire est singulièrement passif, voire subjugué. On peut bien
baptiser cela fort esthétiquement « révolutionnement
sans révolution »[69],
ou « nouvelle forme de révolution »,
comme on parle de « révolution
démographique ». Ce n’est pas la révolution politique et sociale chez
Marx, frappant l’Etat et les rapports de production.
Le mouvement réel qui abolit l’état de choses actuel
Tout le débat peut
finalement se concentrer dans le fleuron de la révision dépassementiste de traduction,
la célèbre citation de Marx et Engels contre l’utopisme tirée de L’Idéologie allemande (1845-46) : « le communisme n’est pas
pour nous un état de choses qui doit être instauré, un idéal sur lequel la réalité devra se régler.
Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit (aufhebt)
l’état de choses actuel ». Sève
s’interpose : « Je traduis délibérément quant à moi: «Nous
appelons communisme le mouvement réel qui dépasse l’état de choses actuel. »[70]
Pourtant, affirme-t-il : « L’abolition, est, à l’honneur dans
l’idéologie allemande »[71], où
Marx est plutôt « aux-antipodes de
Hegel »[72],
jusqu’à dresser « un tableau terrifiant de la révolution
antibourgeoise ». Nous serions donc en présence de l’une de ces rares exceptions
justifiant dépassement. La période de
maturité d’un Marx assagi qui aurait renoncé au concept d’« abolition sommaire, comme chez le jeune
Marx » ? Non, il n’a que 27 ans ! Dans un contexte de « vaste ensemble de transformations
qualitatives non plus initialement soudaines mais constamment graduelles »[73] ?
Moins encore ! Immédiatement avant cette phrase les deux communistes
écrivent : « Le
communisme n’est empiriquement possible que comme l’action des peuples
dominants accomplie "d'un trait" et simultanément »[74].
Qu’à cela ne tienne, Sève en déduit, forçant sa traduction, que « cette
phrase porte de façon implicite contradiction directe à la précédente » [75].
Marx et Engels auraient donc écrit à la suite une position politique et son
exact contraire ! La cohérence du dépassementisme passe alors nécessairement
par la détermination d’une incohérence chez Marx et Engels.
L’année suivante
ils persistaient pourtant, dans les statuts de la Ligue des communistes,
hors tout continuum dépassementiste : « Le but de la Ligue est le renversement de la
bourgeoisie, la domination du prolétariat, l'abolition [Aufhebung] de la vieille société bourgeoise, fondée sur
les antagonismes de classe, et l'instauration [Gründung] d'une société nouvelle, sans classes et sans
propriété privée. »[76] Et
Jaurès lui-même reprendra: « Là où les volontés ne coopèrent pas
librement à l'œuvre sociale, là où l'individu est soumis à la loi de l'ensemble
par la force et par l'habitude, et non point par la seule raison, l'humanité
est basse et mutilée. C'est donc seulement par l'abolition du capitalisme et
l'avènement du socialisme que l'humanité s'accomplira. »[77]
Qu’en est-il aujourd’hui ? C’est un vrai débat, car le
contexte a considérablement changé depuis 1848, et que l’essentiel reste à
faire, avec détermination et créativité. Mais il n’est ni réaliste, ni utile de
scénariser à l’avance une révolution hors de son contexte propre. Quant aux étapes
et formes de toute révolution[78], elles
dépendront de la conjoncture, et seront définies par ceux qui la feront et
leurs adversaires, autrement qu’en révisant[79]
les traductions de Karl Marx.
Patrick Theuret, le 18 Mars 2019
QUATRE NOTES
SUR « IN » ET « ZU »
Pour Sève les utilisations d’Aufhebung suivies des prépositions in ou zu marquent « le passage dans, autrement dit, à l’opposé
de l’abolition, la continuation dialectique en un autre ». « Ce in imparable, poursuit-il, interdit le sens d’une abolition, au-delà de
laquelle rien ne se poursuit, et exige dépassement, qui est par essence,
passage en. » [80]
Or Marx et Engels dans le Manifeste écrivent : « La Révolution française, par exemple, abolit la propriété féodale en
faveur de la propriété bourgeoise ». C’est le verbe abschaffen qui est ici employé, pour
lequel il n’y aurait pas de doute qu’il signifierait bien abolition « pure et simple » pour Sève, ce qui
devrait théoriquement ne déboucher sur rien. Pourquoi Marx et Engels n’ont-ils
pas utilisé ici Aufhebung ?
Pourquoi l’idée d’abolition d’un état, pour passer à autre état, ne les
choque-t-il pas, si ce n’est que les abolitions pour eux, comme pour tout un
chacun, ne débouchent justement pas sur rien « qui se poursuive », mais sur un état jugé, voire seulement
espéré, meilleur, supérieur, ou bien simplement différent, voire pire en
fonction de l’orientation donnée à cette abolition.
SUR VERNICHTUNG
Lucien Sève entend adoucir et aplanir le sens d’Aufhebung pour l’éloigner de la
nécessairement brutale, selon lui, abolition, d’où son rapprochement avec des
termes signifiant dilution ou dépassement en allemand. En réalité la
connotation la plus proche d’Aufhebung, chez
Marx, est au contraire, celle de destruction/anéantissement (Vernichtung). La différence entre ces
deux connotations opposées est que la première est justifiée sur la base d’associations
d’idées qu’il propose, au contraire de celle avec Vernichtung qui est validée par les traductions réalisées ou
supervisées par les auteurs Marx, Engels, et leurs proches.
Nous citerons ici un exemple célèbre tiré du Manifeste, passage où Marx et Engels
emploient à répétition Aufhebung, ce
que Laura Lafargue et Friedrich Engels traduisent par destruction.
« Si le
prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en
classe, s'il s'érige par une révolution en classe régnante, et, comme classe
régnante détruit violemment les anciens rapports de production, il détruit, en
même temps que ces rapports de production, les conditions d'existence de
l'antagonisme des classes ; il détruit les classes en général et, par là,
sa propre domination comme classe. »[81]
Malgré sa maturité, il a 75 ans, Engels n’éprouve nul besoin
d’apaiser le discours initial, ce qui dans une modeste mesure sera réalisé par
des traductions ultérieures en français préférant abolition à destruction. Nous
sommes alors en 1893. En 1888, Engels avait en anglais opté pour sweep away (balayer) là ou Helen Macfarlane
(1850) avait également choisi détruire (destroy).
On perçoit mieux ainsi où se situe le centre de gravité des traductions d’Aufhebung, fort loin du « processus naturel de lente extinction »,
cher au dépassement.
SUR La « revolution
dépassement » contre le sabre de bois
Dans son hostilité à la « révolution-abolition », identifiée comme ayant sans exception
mené à l’échec, Sève dénonce « le
sabre de bois de ce révolutionarisme à l’ancienne dont les perspectives sont
nulles », lequel « n’inquiète
pas le capital aujourd’hui ». A l’inverse, la « révolution-dépassement » serait
promise au succès grâce aux « réformes
révolutionnaires ». L’exemple cité est celui de très grands acquis de
la libération en France : sécurité sociale et statut de la fonction
publique.
Ces acquis sont-ils vraiment à mettre au compte de la
« révolution-dépassement » ?
Bien au contraire, pour reprendre ses propres termes (que nous contestons par
ailleurs), ils seraient davantage à mettre au compte d’une « révolution-abolition » tant
décriée. D’abord vraie révolution, la libération est le fruit d’un renversement
complet du pouvoir politique conduisant à un compromis très avancé du point de
vue économique et social dont le programme du CNR reste le symbole (mais certes
pas une révolution socialiste). Il n’est donc pas le fruit d’un « long fleuve tranquille » (avec un
terrible bilan humain de 50 millions de morts, la seconde guerre mondiale
serait plutôt un long fleuve de sang) mais d’une gigantesque insurrection armée
de tous les peuples d’Europe contre le nazisme, avec le poids décisif de
l’armée rouge, les apports considérables des forces de résistance patriotiques,
principalement communistes (des centaines de milliers d’hommes et de femmes sur
tout le continent), et des forces alliées menant activement ce même combat mais
avec d’autres perspectives, ce qui est à l’origine du compromis de la
libération. Mais il s’agit au propre d’une révolution. Et sans elle, pas de
réformes à la libération ! La séquence historique 1936-1940 avec la
chambre du Front populaire menant ensuite à la collaboration, montre combien le
résultat de 1944-45 n’était nullement inscrit dans le prolongement naturel,
mais bien le fruit de son renversement, la « destruction » politico-militaire, pour reprendre les termes de
Marx, du nazisme et de l’Etat pétainiste. Ensuite, qu’en est-il de l’abolition ?
Si la prise de pouvoir de la libération restaure la République déchue par
Pétain, c’est en proclamant « nuls
et de nul effet » son régime, ses lois et ses organisations[82].
Cette abolition formelle qui ne fait qu’entériner une abolition de fait est
comparable à la déchéance du nazisme en Allemagne, prononcée officiellement sous
le nom d’« Aufhebung von
Nazi-Gesetzen », l’abolition des lois nazies !
Mais ces acquis ont-ils fait sortir, pour autant, la France
du capitalisme ? Ont-ils initié un long chemin strictement cumulatif
jusqu’à nos jours ou bien au contraire n’ont-ils pas été que des acquis, si
précieux soient-ils, dans le cadre du capitalisme, et qui, comme tout acquis, ne
sont que les fruits de luttes ininterrompues pour les conserver ? Et pour
quel motif des victoires si passagères et partielles soient-elles (et les deux
mentionnées sont plutôt profondes et durables), devraient-elle êtres méprisées
au nom de l’abolition ? « Révolution-abolition »,
focalisée sur la seule négation et renvoyant avec mépris au réformisme ce qui
ne l’est pas »[83] ?
Pourquoi l’abolitionnisme serait-il synonyme de tout ou rien ? Le terme
« réformes » ne semble,
pour sa part, entendu, avec dépassement, que dans le cadre du capitalisme. Pourtant
les mesures prises après une révolution, peuvent être et l’ont été, appelées
réformes. Enfin, depuis quand le capital n’aurait-t-il plus peur des abolitions ?
Lui qui depuis des décennies se bat pour regagner chaque pouce de pouvoir et de
terrain perdus avec argent, armes et propagande. Serait-il plus vulnérable aux doses
homéopathiques ? Pourquoi serait-il en conséquence plus inquiet ?
SUR LA BIbliOGRAPHIE
Sève regrette que Gramsci et Jaurès aient été « significativement absents dans la
bibliographie de Patrick Theuret ». Pris dans le sens du débat qui
nous occupe, nous entendons bien que le dépassementisme, recherchant auprès de
ces deux auteurs des appuis théoriques (comme nous le faisons ici en sens
contraire avec Jaurès), en les négligeant on pourrait être suspecté de déséquilibrer
le débat. C’est un sujet à creuser qui n’a pas, il est vrai, été réellement
approfondi dans L’Esprit de la révolution,
mais qui ne paraît pas, au moins à première vue, indispensable sur la
partie traduction. En revanche, il est inexact que ces deux auteurs aient été totalement
ignorés. Le nom de Gramsci est mentionné à 6 reprises et celui de Jaurès 22
fois, souvent en touchant au cœur du débat lui-même. Et si les ouvrages de Gramsci
ne figurent effectivement pas dans la biographie, c’est que « celle-ci comprend exclusivement les sources
utilisées et citées » (p. 615, note 1), pour ne pas alourdir une liste
déjà composée de 318 références répondant à ce seul critère. A tort ou à raison
c’est, il est vrai, contraire à l’usage courant qui opte généralement pour présenter
d’autres textes de références que les seuls cités dans l’ouvrage lui-même. Ce
fut là un choix de circonstance, confessé sans y accorder davantage
d’importance, et naturellement, nullement généralisable pour de futures
publications. Jaurès, en revanche, y apparaît avec trois oeuvres (deux livres
et un article) respectivement aux pages 619 et 626.
[1] Sève
(Lucien), « Traduire Aufhebung chez Marx : fausse querelle et vrais
enjeux », Actuel Marx, n° 64, 09/2019,
p. 113-127. Consultable en ligne : https://www.cairn-info/revue-actuel-marx-2018-2-page-112.htm.
A la suite, les citations tirées de cet article sont indiquées sous la forme
« Traduire, AM/2018 »,
suivi de la page.
[2]
Theuret (Patrick), L’Esprit de la
révolution-Aufhebung, Marx, Hegel et
l’abolition, Le Temps des cerises, 2016, 634 pages.
[3]
Pour éviter les lourdeurs, dorénavant les substantifs (suffixe en « -ung ») représentent également les
verbes (suffixe en « -en »).
[4]
C’est Engels qui écrit à propos de ce qu’il appelle « notre conception » qu’elle fut « formulée pour la première fois dans Misère de la philosophie de Marx et
dans le Manifeste communiste». Préface du 23/09/1885 à
son Anti-Dühring, ES, 1977, p. 38.
[5] Pour
Karl Marx ce « coup d’Etat bourgeois »
où « la bourgeoisie française osa
dépouiller la classe ouvrière du droit d’association que celle-ci venait à
peine d’acquérir », créait, citant le rapporteur, un « état de dépendance … qui est presque celle de l’esclavage ».
Le Capital, Livre, ES, 1976 p.
540, p. 696, note 11.
[6] Leurs titres en indiquent l’orientation :
« Le débat scientifique :
traduttore, traditore ? », « Langue militante et langue courante » ; « Original et traduction : Le Manifeste,
Le Capital ». Au total 120 pages, auxquelles il convient d’ajouter les
32 pages d’annexes (dictionnaires, traductions du Capital Livre 1, traductions comparées du Manifeste en trois langues et cinq éditions).
[7] Traducteur
au IV° siècle de la Bible, de l’hébreu et du grec vers le latin.
[8] Hegel
(G.W.F.), Science de la logique. Logique de l’être, Aubier, 1947, traduction par S.
Jankélévitch de la dernière version, celle de 1832.
[9] Communisme. Commencer par les fins, La
Dispute, 1999, pp. 95-96.
[10] L’Esprit de la révolution, dans son
chapitre 8 montre comment Hegel lui-même prend plus que des libertés avec cette
formule de triptyque canonisée trop hâtivement dans l’aspect du seul vocabulaire,
souvent en lieu et place du concept. Même dans ses écrits, le sens commun reste
omniprésent.
[11] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 115.
[12]
Les traductions peuvent, en plus de la variété de style de leurs auteurs,
effectivement évoluer, par exemple pour répercuter l’évolution d’une langue,
modifiant le sens ou la fréquence d’utilisation, ou lorsque des erreurs
manifestes ont été identifiées, etc.
[13] Ces
citations sont tirées du texte de Sève de 2002 : Comment traduire Aufhebung dans les écrits de Marx et d’Engels,
communiqué par l’auteur par email en mars 2016, ce dont nous tenons à le
remercier.
[14] Commencer par les fins, op. cit. p.96.
[15] Larousse
en ligne : « Qui porte sur
un seul côté des choses : Un jugement
unilatéral ». Trésor de la
langue française informatisé : unilatéral « Qui n'a rapport qu'à un seul côté de quelque chose »,
unilatéralement : « qui ne voit
qu'un côté des choses ». Littré :
« qui est disposé ou qui se porte
d’un seul côté. »
[16] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 113.
[17] « A
la page 96 de Commencer par les fins, dont le seul propos est de valoriser la
traduction souvent écartée sans motif probant d’Aufhebung par dépassement, je
mets en cause la pratique consistant à le rendre « unilatéralement »
par abolition, ce qui n’équivaut pas à récuser ce sens ». Traduire, AM/2018, op. cit. p. 115, note
12.
[18]
Renversant totalement les termes du débat, le résumé de son article de 2018
indique qu’il, « plaide pour le
recours en nombre de cas au mot « dépassement », position que Patrick
Theuret dénonce dans un livre comme un révisionnisme sémantique et politique. »
[19] Commencer par les fins, op. cit., p.
207.
[20] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 115, mais
aussi pages 120 et 126. On notera ici une intéressante évolution quant à l’insistance
sur cette « obligation ».
En 1999 lorsque Sève introduit « dépassement »
il le fait avec une certaine retenue, si le concept est clairement associé
« au néologisme sursomption »
chez Hegel, pour ce qui concerne la langue de Marx, il en dit que « le français courant [en] donne une idée assez correcte en parlant de
dépassement ». Les deux concepts sont tellement inscrits objectivement
dans le vocabulaire (Aufhebung versus Abschaffung et Beseitigung)
que la charge négative contre abolition se suffisait presque à elle seule comme
argumentation. En 2018, à l’inverse, où c’est l’exception qui est plaidée et
non plus la systématicité, puisque le vocabulaire allemand ne sert plus à
départager les concepts, Sève a recours à ce renversement que « Patrick Theuret ne paraît pas avoir
remarqué : il est aussi chez Marx nombre de passages où l’on est obligé
par le texte même … de traduire par dépassement ». La marche arrière
sur le périmètre (initialement égal à tous les usages d’Aufhebung) est compensée par un renforcement de la pression de traduction
exclusive par dépassement sur le périmètre désormais réduit.
[21]
En particulier se perd tout argument pour justifier un jugement d’« extravagance » à ne pas suivre le
« passage terminologique »
d’abolition à dépassement.
[22] Commencer par les fins, op. cit., p. 96.
[23] Martelli
(Roger), « Lucien Sève. La piste Marx », Regards, 2004.
[24]
Martelli (Roger), « Dépasser le capitalisme ? Arguments pour un objectif
et une méthode », 11 mars 2006.
[25] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 113.
[26] Ibid.,
note 3 : « Je ne suis pas un
auteur choyé des médias » écrit-il. Chacun sait bien que ce type de
travail par son sujet, et son ampleur, n’intéresse que des revues spécialisées,
peu nombreuses mais bien connues.
[27] Les
trois sens d’Aufhebung chez Marx
seraient : l’un d’abolition pure et simple, destructrice, et deux hautement
dialectiques, l’un conforme à Hegel et l’autre à Marx.
[28]
Tombe en particulier l’argument de 1999 suivant lequel « quand Marx veut dire
abolition pure et simple – par exemple, dans le Manifeste, "abolition de
l’héritage" ‒
il emploie de tout autres mots, comme Abschaffung. »
[29] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 124.
[30] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 118,
note 24.
[31]
Son principal traducteur en langue française, Jean-Pierre Lefebvre présente
ainsi l’ouvrage : « En
fait, ce manuscrit n’était pas destiné à la publication. Marx l’a attentivement
relu, et même partiellement utilisé par la suite, mais dans l’ensemble, à la
lettre, il n’en est pas resté grand-chose : ce texte a principalement
rempli une fonction heuristique personnelle à Marx, puis il l’a fait
disparaître en le recouvrant d’autres textes, ainsi que d’un silence presque
total ». Par ailleurs, sur le contexte spécifique de la langue il fait
remarquer qu’elle connait alors des évolutions dont celle de la « disparition tendancielle d’un langage
extraordinairement singulier, dominé à la fois par les expressions hégéliennes,
et plus particulièrement par la langue de la Logique, et par le discours du
vieux fonds feuerbachien au profit d’une écriture plus variée, plus littéraire
en somme, qui demeure néanmoins fortement conceptualisée », Marx
(Karl), Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », ES, réédition
2011, p. 13-14.
[32]
Loin de s’en féliciter Sève fait ici reproche à J-P Lefebvre de n’avoir pas
utilisé exclusivement « dépasser »,
dans le prolongement de son reproche le plus important qui reste celui d’avoir
annoncé dès l’introduction privilégier la traduction par abolir. Grundrisse, op. cit., p.15.
[33] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 113, 121,
124.
[34] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 118.
[35] Traduire, AM/2018, op. cit. p. 120-121,
123-126.
[36]
En 1999, cette différence de niveau se référait à la « théorie ». L’abolition reflétait une
« pratique rabougrie de la politique
où la « théorie » a passé pour n’intéresser que quelques intellectuels »,
Commencer, op. cit., p. 96-97.
[37] Marx-Ecrits Philosophiques, 100 textes
choisis, traduits et présentés par Lucien Sève, Champs, 2011.
[38]
Le déplacement du cœur de sujet est significatif. En 1999, il s’agissait de l’ʺabolition
des rapports sociauxʺ existants
– (…): il faut abolir la propriété
des moyens de production, abolir le
capitalisme » : des objectifs politiques !
[39] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 123.
[40] Héraclite
également, valorisé par Engels dans l’Anti-Dühring, ES, 1977, p. 50.
[41] Nous
partageons ici l’opinion de Sève quant au volet « théologique et suprêmement conservatrice » de la dialectique
hégélienne, Traduire, AM/2018, op.
cit., p. 125. Dans sa Remarque Hegel
dit même de cette conservation qu’elle est de « signification négative. »
[42] Lucien
Sève le reconnaît également dans un passage mentionnant « la contradiction « historique »
telle que la conçoit Marx à l’époque du Manifeste, celle où un contraire
poursuit la suppression de son autre et par là sa propre émancipation –
acception où Aufhebung est à peu près synonyme d’Abschaffung ou de Beseitigung. »
[44] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 122.
[45] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 124.
[46]
Marx (K) et Engels (F), Adresse du Comité central à la Ligue des
communistes, mars 1850.
[47]
Expressions figurant dans Traduire, AM/2018,
respectivement aux pages 122, 120, 122,127.
[48]
Sur toute cette diversité, cf. L’Esprit
de la révolution, op. cit., chapitre 4 principalement.
[49] Commencer par les fins, p. 94-97.
[50] Sève
reconnaît au contraire rétrospectivement comme légitimes, par exemple, les
abolitions des privilèges, de l’esclavage et de la peine de mort parce que,
écrit-il, elles n’en ont rien conservé (Traduire,
AM/2018, op. cit. p. 116). L’absence de conservation est plus que
contestable. Ce n’était en tout cas pas l’opinion des révolutionnaires de
l’époque pour les deux premières.
[51] Commencer par les fins, p. 96.
L’argument est significativement repris en tête de l’article de 2018.
[52] Ibid.,
p. 119.
[53]
Et l’on sait que l’histoire est d’abord celle que racontent des vainqueurs.
[54] « Le
communisme est mort, vive le communisme », Assemblée extraordinaire du
PCF, 8-9 décembre 2007.
[55] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 127.
[56]
Le terme Aufhebung n’est symptomatiquement
pas employé dans les citations en question, nous écartant de la question de la
traduction qui fait débat, pour nous placer sur le seul terrain des
conceptions.
[57] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 126.
Traduction de Sève.
[58] Effectivement
dans leur jeunesse, comme pour les autres révolutionnaires, l’espoir était
fondé sur le court terme, mais le Manifeste
indique sur l’après révolution une évolution plus longue notamment sous cette
forme : « Le prolétariat se servira de sa
suprématie politique pour arracher petit à petit tout capital à la bourgeoisie. »
[59] Lettre
de Marx à Kugelmann du 12 avril 1871.
[60] Marx
(K), « La guerre civile en France », in Inventer l’Inconnu, op. cit., p. 156-157. Ajoutons que dans une
lettre à W. Blos du 10/11/1877, Karl Marx suggère même, en référence à cette
position, de traduire « suppression
de l’Etat » de l’Histoire de la Commune de Paris de Lissagaray par
« Abschaffung » (ou Ünterdruckung) de l’Etat de
classe ». Ünterdruckung = supprimer,
réprimer.
[61]
Vaste débat où les textes de Marx sur la Commune de Paris constituent une
source inépuisée. De manière plus générale, sur ce sujet, Cf. L’Esprit de la révolution, op. cit.,
« Chapitre 9- Marx libertaire ? », p. 411-472.
[62]
Sauf, encore une fois, ce que suggère le dépassementisme, mais aussi un certain
langage commun, à baptiser toute évolution positive : « révolution ».
[63]
Sève (L), Commencer par les fins, op.
cit., p. 130.
[64]
Marx (K), La guerre civile en France 1871, ES, 1968, p. 64.
[65]
Surtout si l’on ajoute qu’une des décisions de la Commune, laquelle a été la
plus décriée par ses adversaires, fut l’exécution de 5 otages, dont
l’archevêque Darbois et deux abbés. Et Marx de leur répondre : Les otages avaient déjà mille et mille fois
mérité la mort du fait des exécutions continuelles de prisonniers du côté des
Versaillais. (…) Le véritable meurtrier de l’archevêque Darbois, c’est
Thiers », in Inventer l’inconnu,
op. cit., p. 185.
[66] Marx
(Karl) Critique du programme de Gotha,
ES-Geme, p. 59-60.
[67]
Dans Misère de la philosophie, écrit
par Karl Marx en français, ce dernier emploie à quatre reprises dépasser.
[68] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 122.
[69] Commencer par les fins, op. cit., p. 97.
[70] Emblématiquement
placé en fin de son document de 2002.
[71] Traduire, AM/2018, op. cit. p., 126.
[72] Sève
(L), Comment traduire Aufhebung dans les
écrits de Marx et d’Engels, 2002.
[73] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 124, 125
et 123.
[74] Ce qui ne s’est pas produit, comme chacun
sait, mais c’est un autre débat, historique et politique. On ne sort pas ici du
cadre de la traduction, interprétant la pensée des auteurs dans leur conviction
de l’époque, sans jugement rétroactif, comme nous y invite la thèse du
dépassement.
[75]
Ajoutant que Marx et Engels auraient
alors ouvert, malheureusement seulement « fugitivement mais avec une
force de suggestion exceptionnelle une perspective allant très au-delà de son
contexte: le communisme n’est plus ici forme faite immédiatement instaurée mais
mouvement transformateur dans la durée d’une histoire. Une idée dont l’intelligence
effective aurait pu changer beaucoup de choses dans la culture communiste
dominante du XXe siècle, et peut-être par là dans son destin même » !
Marx et Engels auraient donc bien effleuré le « graal »
dépassementiste mais sans s’en rendre véritablement compte, et ce « jusqu’au
bout ! »
[76]
On sent bien que le concept de dépassement, à la recherche d’un terme unique
qui dise tout, est gêné par le fait de devoir séquencer des étapes et de leur attribuer
des noms différents, comme chez Marx et autres révolutionnaires : abolir et construire, capitalisme et socialisme, monarchie et république, etc.
[78]
Notamment, la part de conservation et de création, la durée de l’évolution pré-révolutionnaire
et de la transition post-révolutionnaire, etc.
[79]
Surimposant rétrospectivement des connotations et préjugés très circonscrits
géo-historiquement.
[80] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 117-118.
[81]
Le Manifeste, traduction Laura
Lafargue (1893). Edition 1897 (Labriola/Sorel).
www.classiques.uqac.ca/classiques/labriola...1_En.../labriola_en_memoire.doc
[83] Traduire, AM/2018, op. cit., p. 127.
Bonjour,
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Cordialement