Demandons à des élèves (de terminale) ce qu’est un pouvoir
souverain ; ils répondent le plus souvent qu’il s’agit d’un roi et si on
demande qui est le souverain en France, ils répondent que c’est le président de
la république. Ils ont peut-être spontanément une appréciation assez exacte de
ce qu’est notre république, une monarchie avec un roi élu. Mais ils n’ont aucune
idée sérieuse du concept de souveraineté. Ce qui est souverain est ce au-dessus
de quoi il n’y a rien d’autre dans l’ordre considéré. Le souverain bien est
celui que rien ne surpasse, le bien qui n’est pas le moyen d’autre chose, mais
le bien qui est recherché pour lui-même et dont la possession nous contente. Le
pouvoir souverain en politique est le pouvoir qui n’est soumis à aucun autre
pouvoir qu’à lui-même. Dans notre république, si on en croit la déclaration de
1789 qui est annexée à la constitution, « Le principe de toute
Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne
peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. » (Art. III)
Il est très curieux de noter que beaucoup de gens qui n’ont
à la bouche que l’expression « droits de l’homme » passent sous
silence cet article III. Il est pourtant essentiel puisque la souveraineté de la
nation n’est rien d’autre que la démocratie (pouvoir du peuple). Si le pouvoir
du peuple (ou de la nation) n’est pas souverain, c’est qu’il n’est qu’un
demi-pouvoir, un pouvoir concédé et qui donc peut être repris par une autorité
supérieure – celle de l’Empire ou celle du Pape, au choix.
La notion de souveraineté est cependant plus ancienne que
1789. Elle s’élabore progressivement au cours du Moyen Âge et à la Renaissance
et trouvera ses lettres de noblesse philosophiques chez les auteurs « contractualistes »,
de Hobbes et Grotius à Rousseau et Kant. Sans reprendre ici cette élaboration philosophique,
on peut remarquer que la souveraineté est d’abord la revendication des rois qui
commencent à dresser le pouvoir national contre l’empire pontifical ou contre
le « Saint Empire ». Les rois de France, et bientôt ceux d’Angleterre
ou d’Espagne vont affirmer que le roi est souverain chez lui et loin d’obéir au
pape, il a le droit de contrôler la hiérarchie catholique et de mettre son
grain de sel dans la nomination des évêques et des cardinaux. Qu’est-ce qui
légitime ce pouvoir du roi, « oint du Seigneur » ? Il est celui
que Dieu a désigné (d’où la cérémonie du sacre) et celui qui protège son peuple
(il est le roi guérisseur, le roi thaumaturge) mais aussi celui qui prend la
parole pour le peuple face aux grands, ce qui conduit à la monarchie absolue qui
est justement le premier pas vers la destruction de l’ordre féodal. De ce point
de vue, il n’est pas faux de remarquer, comme Tocqueville, que la Révolution
Française a tout simplement parachevé l’œuvre commencée par la monarchie
absolue. Mais le roi incarne donc aussi la « vox populi » qui est aussi la « vox Dei ». Machiavel, le grand penseur moderne de la
République le dit : « Ce n’est pas
sans raison qu’on dit que la voix du peuple est la voix de Dieu. On voit
l’opinion publique pronostiquer les événements d’une manière si merveilleuse,
qu’on dirait que le peuple est doué de la faculté occulte de prévoir et les
biens et les maux. »
Enfin, le roi n’est pas un tyran – dès la Réforme
et la Renaissance, plusieurs théoriciens, dont Théodore de Bèze, soutiennent
que le roi est lié au peuple par un contrat et ce qu’invoquaient les
monarchomaques, opposés à l’absolutisme, ainsi que ceux qui, dans leur sillage,
élaborèrent des justifications du tyrannicide. Il est remarquable sur ce point
que catholiques et protestants finissaient, en se combattant par la plume, par
converger quant aux conclusions politiques générales et sapèrent ainsi le vieil
ordre féodal.
La monarchie absolue
apparaît donc comme une sorte de phase préparatoire qui conduit à la démocratie
républicaine ! Cette dernière hérite de tous les attributs de la monarchie
mais transfère le pouvoir souverain à cette entité qui se nomme Nation – dont il
faudrait établir la différence d’avec le peuple. Quoiqu’il en soit, la
démocratie républicaine moderne diverge ainsi de la démocratie antique –
réservée à la minorité des citoyens appelés à constituer le « demos »
en ce qu’elle se présente comme le pouvoir d’un corps qui s’est lui-même
constitué (le peuple se fait peuple, disait Rousseau). C’est tout cela qu’exprime
notre article III.
Autrement dit, le souverainisme s’il n’est pas nécessairement
démocratique ni même républicain, est bien le prérequis de la république et de
la démocratie. Le refus du souverainisme par toutes sortes de soi-disant
démocrates n’est rien d’autre que le refus de la démocratie. Être contre le
souverainisme et protester contre les décisions de l’UE, c’est tout simplement
se moquer du monde. À eux s’applique la célèbre apostrophe de Bossuet : « Dieu
se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »
Denis Collin – 14 mars 2019
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