Le mot « république » est largement galvaudé. Se
disent « républicains » tant de politiciens qui chaque jour foulent
aux pieds les principes républicains qu’il pourrait sembler presque nécessaire d’abandonner
ce nom glorieux. Essayons cependant d’en rappeler la signification et de d’en
tirer les conclusions.
La république est d’abord la chose publique, selon son nom
latin. Chose publique, cela veut dire que tous les individus qui vivent dans
une république partagent quelque chose qui est au-delà des choses privées,
au-delà de la propriété individuelle, au-delà des intérêts particuliers de
chacun et ce bien commun est pour qui se dit citoyen le bien suprême – quelles
que soient par ailleurs les idées que chacun, comme homme, puisse se faire au
sujet des fins ultimes. Au moment où tous les biens appartenant à la nation
sont bradés les uns après les autres aux intérêts privés et notamment aux
intérêts privés des amis du pouvoir, on peut se demander quelle idée de la
république et du bien commun peuvent bien se faire ceux qui ont la charge de
gouverner. À moins qu’ils n’identifient leur bien propre et singulier au bien
commun et qu’ils ne pensent que la force commune doit être mise à leur service.
Une telle conception a un vieux nom : tyrannie, c'est-à-dire l’exact
antinomie de la république.
La république, c’est aussi le gouvernement des lois. En
dernier analyse, en effet la république est un « empire de lois et non un
empire d’hommes » pour reprendre la formule du grand républicain anglais
James Harrington. Gouvernement des lois, cela veut dire que personne n’est
au-dessus de la loi et que la loi est la même pour tous, puissants et
misérables. Quand la justice est aux ordres et poursuit impitoyablement les
plus faibles qui s’opposent aux gouvernants et protège les forts y compris dans
leurs plus basses œuvres, il est clair que nous sommes plus gouvernés par un
gouvernement républicain mais au contraire par une clique qui bafoue les lois
et piétine la république.
La république n’est pas une forme particulière de gouvernement
mais toute constitution politique qui garantit à la fois la séparation des
pouvoirs et fait du peuple ou de ses représentants le pouvoir suprême. Or, dans
la France d’aujourd’hui ni l’une ni l’autre de ces clauses n’est respectée. La
séparation des pouvoirs n’existe pas puisque le Parlement n’est pas souverain
mais est réduit au rôle d’un Parlement croupion qui vote à la chaîne que le
gouvernement a décidé de faire voter. Quant à la justice, elle est soumise aux
caprices d’une organisation hiérarchique qui dépend du gouvernement et du
président. Il n’y a qu’un pouvoir qui ne soit soumis à aucun contrôle, le
pouvoir du président, et nous avons appris du Premier ministre, de la Garde des
Sceaux et de quelques autres personnages de moindre envergure que la séparation
des pouvoirs signifiait seulement que personne ne peut enquêter ni mettre en
cause le pouvoir du président ni l’organisation de la présidence qui est ainsi
non plus le pouvoir exécutif mais le pouvoir suprême intouchable.
La république, telle que la définit toute la tradition
républicaniste, est un régime de liberté qui doit protéger les citoyens contre
toute forme de domination, y compris contre la domination de la majorité. Cela
signifie que les lois ne sont pas des règles du jeu arbitraires, mais doivent
au contraire assurer la protection des droits de chacun et la sûreté des
perspectives de vie. Politiquement, cela signifie que toute fraction du peuple
qui se sent maltraitée par le gouvernement légal possède un droit
constitutionnel de contestation du pouvoir, droit qui s’exerce même contre les
votes du parlement et contre la majorité issue du dernier scrutin. Faute de
quoi nous serions dans ce que Tocqueville avait nommé « tyrannie de la
majorité ». Quand, de surcroit, la majorité n’est en fait majorité qu’en
raison d’un système de suffrage inique qui interdit l’expression de la
diversité de l’opinion des citoyens, nous sommes même dans le cadre d’une
tyrannie de la plus grosse minorité du moment.
C’est aussi socialement que les citoyens doivent être
protégés. Fort judicieusement, la
constitution de la 1946 avait, en préambule, adopté une déclaration
complémentaire des droits qui inclut tous les droits sociaux dans la
constitution. La vaste entreprise de démolition des droits sociaux engagée
depuis plusieurs années et accélérée par le gouvernement aujourd’hui constitue
directement une destruction de fondements même de la république, tels qu’ils
avaient été posés en 1946 et repris dans la constitution de 1956. Au moins une
dizaine d’articles de ce préambule sont allégrement violés par les gouvernants
actuels sans que cela n’émeuve les politiciens, à commencer par ceux d’un
conseil constitutionnel dont la politisation, la partialité et la sensibilité
aux lobbies n’est plus un secret pour personne.
Enfin, les citoyens ne peuvent être libres que dans une
république libre, c'est-à-dire une république qui ne reconnaît aucun autre
pouvoir souverain de la volonté du peuple. La soumission de notre nation à la
loi de l’Union européenne, la création de la « souveraineté européenne,
cette chose bizarre que l’actuel président ne cesse d’invoquer, constituent
autant de liens d’assujettissement de la république à une puissance qui n’est
pas sans rappeler le Saint Empire Romain germanique.
On le voit donc, être républicain, c’est défendre une
république souveraine, laïque, démocratique et sociale, pour reprendre les
termes mêmes de l’article premier de la constitution en vigueur. Fédérer les
forces qui partagent cet objectif, il n’y a rien de plus urgent.
Denis Collin – 12 mars 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire