jeudi 4 janvier 2024

L’illusion volontaire


Il revient à Pascal, ce grand continuateur de saint Augustin, d’instruire le procès du moi. « Le moi est haïssable »[1] écrit-il dans une phrase célèbre … et peut-être pas toujours bien comprise car, comme le dit Lucien Goldmann, Pascal ne répond jamais par oui ou non mais toujours par oui et non.[2]

La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi.[3]

Ainsi le moi est identifié à l’amour-propre. Le moi n’est pas une chose, une partie de l’homme, il n’est pas l’âme, il est simplement l’amour-propre. Or cet amour-propre est proprement ce qui corrompt l’âme. D’une part l’amour-propre incline à tous les péchés – ainsi la comédie est « dangereuse pour la vie chrétienne » parce qu’elle flatte l’amour-propre et prépare ainsi l’âme à accueillir tous les plaisirs et toutes les douceurs et les plaisirs représentés dans la comédie.[4] D’un autre côté cet amour-propre est ce qui nous pousse à nous faire Dieu et donc à ignorer le vrai Dieu. C’est pourquoi :

Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n’est si opposé à la justice et à la vérité ? Car il est faux que nous méritions cela ; et il est injuste et impossible d’y arriver puisque tous demandent la même chose. C’est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire et dont il faut nous défaire.[5]

Rien de ce qui en nous est « aimable », nos qualités, nos richesses, nos connaissances, etc., rien de cela nous le méritons, rien de cela ne doit être rattaché aux qualités propres du moi. Nous ne méritons pas plus qu’un autre. Pourquoi celui-ci est-il touché par la grâce et pas celui-là ? « Mérite, ce mot ambigu »[6] : Pascal reprend ici la controverse augustinienne contre les pélagiens : La grâce ne nous est pas donnée en échange de nos mérites affirme saint Augustin[7] et quand Dieu couronne nos mérites il couronne ses dons ! Réciproquement, être juste ne nous garantit de rien. Pascal rappelle saint Augustin qui a dit que la force serait ôtée au juste.

Rien donc ne vient justifier l’amour-propre. Au contraire la vérité, celle que la foi ouvre au croyant donne toutes les raisons d’aller jusqu’au mépris de soi :

Pour moi, j’avoue qu’aussitôt que la religion chrétienne découvre ce principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela ouvre les yeux à voir partout le caractère de cette vérité ; car la nature est telle qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme et hors de l’homme, et une nature corrompue.[8]

L’amour-propre s’oppose donc à cette véritable connaissance de la nature humaine, et à la foi sur laquelle elle repose. Et par conséquent l’amour-propre ne peut reposer que sur une tromperie, qui masque cette nature corrompue et prend les défauts à mérite.

Il [l’amour-propre] ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misères : il veut être grand, il se voit petit ; il veut être heureux, il se voit misérable ; il veut être parfait, il se voit plein d’imperfections ; il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris.[9]

« Misère de l’homme sans Dieu » : tel est le titre de cette partie selon la classification des liasses de Pascal par Brunschvicg. Misère non pas accidentelle mais consubstantielle. Misère que rien de ce qui appartient en propre à l’homme ne peut venir compenser :

Vanité des sciences. – La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale, au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des sciences extérieures.[10]

Et immédiatement après :

On n’apprend pas aux hommes à être honnêtes hommes, et on leur apprend tout le reste ; et ils ne se piquent jamais tant de savoir rien du reste, comme d’être honnêtes hommes. Ils ne se piquent de savoir que la seule chose qu’ils n’apprennent point.[11]

Inversion de la réalité : nous nous faisons mérite de ce qui est le moins important car le plus important, nous ne le méritons, nous le l’avons pas appris mais le tenons de la grâce, du don de Dieu… Et parmi toutes ces sciences qui ne nous apportent aucun science des choses véritablement importante, la philosophie figure en bonne place, elle qui se termine dans le pyrrhonisme, le scepticisme et la suspension du jugement. « Nous voilà bien payés ! »[12]

L’embarras dans lequel se trouve l’amour-propre produit la « haine mortelle » contre cette vérité. L’amour-propre ne se peut regarder lui-même en face. Il lui faut un miroir trompeur, un miroir courtisan qui lui répète qu’il est le plus beau. Mais en même temps, il ne peut pas ne pas voir cette vérité :

Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit, autant qu’il peut, dans sa connaissance et dans celle des autres ; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie.[13]

Mentir aux autres, se montrer sous un jour flatteur, jouer des apparences et se mentir à soi-même, c’est tout un. En mentant aux autres, je me mens à moi-même. Mais ce mensonge est fait de deux éléments contradictoires. Si je mens aux autres, j’espère que les autres ne connaîtront jamais la vérité, mais il m’est impossible de me mentir à moi-même en ne connaissant pas la vérité. Je mens aux autres et je me mens à moi-même parce que je connais la vérité.[14] Comme toujours chez Pascal, on a l’un et l’autre, la contradiction sans dépassement, c’est-à-dire la condition tragique de l’homme. Par conséquent, le plus grand mal pour l’homme n’est pas d’avoir des défauts – il ne peut en être autrement car pour la créature Dieu est d’abord perdu et la nature est corrompue – mais de ne pas vouloir les reconnaître. Comment peut-on ne pas reconnaître ce qu’on a devant les yeux ? Comment peut-on ne pas vouloir voir ce qu’on voit ? Il faut, nouvel oxymore, succomber à « l’illusion volontaire » qui est l’injustice par excellence puisque nous voulons pour nous-mêmes quelque chose que nous ne saurions tolérer des autres :

Nous ne voulons pas que les autres nous trompent ; nous ne trouvons pas juste qu’ils veuillent être estimés de nous plus qu’ils ne méritent : il n’est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions qu’ils nous estiment plus que nous ne méritons.[15]

Ainsi, que les autres nous montrent nos vices, cela devrait nous rendre heureux puisqu’ils contribuent à ce que nous sortions de l’erreur et de l’injustice. Au fond, être méprisé quand on est méprisable, c’est encore le mieux que nous puissions souhaiter si nous anime encore le sens de la justice. Mais l’amour-propre ne le permet pas :

Car n’est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu’ils se trompent à notre avantage et que nous voulons être estimés d’eux autres que nous ne sommes en effet ?[16]

Il y a certes des degrés dans cette aversion pour la vérité. Mais elle est en chaque homme et inséparable de l’amour-propre. Le moi est le foyer de toutes les tromperies, de tous les mensonges. Parce que nous voulons tromper et nous voulons nous tromper sur nous-mêmes nous finissons par être trompés par les autres :

Si on a quelque intérêt d’être aimé de nous, on s’éloigne de nous rendre un office qu’on sait nous être désagréable ; on nous traite comme nous voulons être traités : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe.[17]

Et c’est pourquoi nos réussites, nos succès mondains nous éloignent toujours d’avantage de la vérité. D’où cette conclusion sans appel de Pascal :

Ainsi la vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie et peu d’amitiés subsisteraient si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu’il n’y est pas, quoiqu’il parle alors sincèrement et sans passion.

L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres.[18]

Ainsi, l’amour-propre, c’est-à-dire le regard que le moi porte spontanément sur lui-même, est la source de cette illusion volontaire qui contamine toute la vie sociale et ne lui laisse pour fondements que ces illusions qui prennent d’autant plus de force qu’elles peuvent compter sur la force de l’imagination cette « maîtresse d’erreur ». Le pire, peut-être est que cet amour propre n’a pas d’objet. Qu’est-ce que le moi ? Pour savoir, dit Pascal, il faut se donner ce qu’on aime en moi quand on m’aime. Si on aime quelqu’un à cause de sa beauté, on ne l’aime pas lui-même puis la maladie peut détruire cette beauté. Il en va de même pour les qualités morales qui peuvent se perdre.

Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme sinon pour ces qualités, qui ne font point ce qui fait le moi puisqu’elles sont périssables ?[19]

Ce moi est à la fois impérissable et même temps inaccessible ; ses qualités (périssables) ne le définissent pas, elles n’explicitent pas une essence. Mais comme on peut l’aimer que ses qualités, il n’est donc pas aimable. Alors le moi est-il haïssable ? Sans aucun doute : il est se veut le centre de tout et veut asservir les autres. L’honnêteté, les bonnes mœurs n’y peuvent rien. Elles peuvent masquer aux autres l’incommodité de ce moi qui veut les asservir mais nullement en supprimer l’injustice. Reste ce que le Rédempteur met en moi, ces sentiments de sincérité et de fidélité aux hommes, la « tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a unit »[20]. Dans l’amour de Dieu et l’amour des autres hommes (la charité) réside la vraie connaissance du moi, dépouillé des illusions et de l’injustice.



[1]                     Pascal, Pensées, 455 de l’édition Brunschvicg, 597 de l’édition Lafuma. Nous donnons par la suite les références aux pensées en donnant dans l’ordre ces deux numérotations.

[2]                     Lucien Goldmann, Le dieu caché, Gallimard, 1959, p.46

[3]                     Pascal, Pensées, 100-978

[4]                     Cf. Pensées, 11-764

[5]                     Pensées, 492-617

[6]                     Pensées, 513-930

[7]                     Voir saint Augustin, Controverses pélagiennes : De la grâce et du libre arbitre, chap. V.

[8]                     Pensées, 441-471

[9]                     Pensées, 100-978

[10]                   Pensées, 67-23

[11]                   Pensées, 68-778

[12]                   Pensées, 73-76

[13]                   Pensées, 100-978

[14]                   Il y a peut-être ici une idée de ce « mentir-vrai » par lequel Aragon désignera le nouveau style réaliste en littérature.

[15]                   Pensées, 100-978

[16]                   Ibid.

[17]                   Ibid.

[18]                   Ibid.

[19]                   Pensées, 323-688

[20]                   Pensées, 550-931

samedi 30 décembre 2023

Le spectacle du monde du spectacle


En cette fin d'année 2023, il semble qu'il n'y a rien de plus urgent, de plus grave, de plus crucial que de savoir si Depardieu est un « gros con », un « gros porc »... ou un violeur. Les deux premiers qualificatifs ne sont pas punissables par la justice — s'il fallait mettre tous les gros porcs et des gros cons en prison, on n'en finirait jamais... Seul le troisième qualificatif est un crime, et le jugement des crimes dans un État de droit n'est pas du ressort des assemblées de lyncheurs, mais des tribunaux. Comme je ne fréquente pas Depardieu, ni toutes les belles gens qui se sont manifestées d'un côté ou de l'autre dans cette affaire, qu'il soit un gros con ou un gros porc, cela m'est parfaitement égal. Pour le reste, la justice qui, me semble-t-il, est saisie, dira ce qu'il en est.

jeudi 28 décembre 2023

La tête à l'envers

 Jean-Marie Nicolle, La tête à l’envers. Essai sur les inversions, éditions Ipagine, 2023, 160 pages.


Agrégé de philosophie et docteur, spécialiste des écrits mathématiques de Nicolas de Cues (le fameux auteur de La docte ignorance), féru d’informatique et connaisseur éclairé de la psychanalyse, de Freud à Lacan, Jean-Marie Nicolle nous livre ici quelque chose qui commence comme une sorte de psycho-philosophie de la vie quotidienne pour aller, par les degrés requis, vers les spéculations de la métaphysique, celles de Kant et de Hegel, notamment. Nous avons donc d’abord une analytique de l’inversion puis une dialectique.


lundi 11 décembre 2023

Un nouvel ouvrage de Jean-Marie Nicolle: La tête à l'envers

 


Annonce de parution
:

Avec l’invention du libre-service, le commerçant ne s’adresse plus au client, et celui-ci doit se servir, puis, grâce aux caisses automatiques, se faire lui-même caissier. Il y a peu, le contrôleur de train poinçonnait le ticket du voyageur ; désormais, le voyageur doit le scanner lui-même. Avec ces permutations de rôles, il faut en faire de plus en plus, sans davantage de services en retour. L’étonnant, c’est que tout se passe comme si ces inversions ne posaient aucun problème.

Comment les évaluer : sont-elles un progrès ou une régression ? sont-elles créatrices ou stériles ? Subissant sans cesse de nouvelles permutations, je suis contraint de m’y adapter, et devant l’autorité de la nouveauté qui m’est imposée, je finis par croire que je suis dépassé, que c’est moi qui ai tort, moi qui suis à l’envers. Un doute philosophique me pousse cependant à ne pas capituler si vite pour vérifier si ce n’est pas le monde qui serait retourné.

Le bon réflexe n’est-il pas de chercher l’envers des inversions, de soulever un coin du tapis pour voir ce qui se trame du côté des nœuds ? Si notre siècle est celui des inversions, quelle en est la logique ?

Table des matières :

Introduction

Partie I : Analyse des inversions

  1. L’inversion tragique
  2. L’inversion comique
  3. L’inversion révolutionnaire
  4. Les inversions démocratiques
  5. L’inversion conservatrice
  6. L’inversion dans les mots

Partie II : Dialectique des inversions

  1. La pensée binaire
  2. L’inversion dans la découverte scientifique
  3. L’inversion dans l’invention technique
  4. L’inversion dans la création artistique
  5. L’inversion comme principe de méthode philosophique
  6. L’irréversible

Conclusion : un monde sans envers


mardi 21 novembre 2023

Dix ans avec et sans Costanzo Preve

 


Voilà dix ans que Costanzo Preve nous a quittés. Preve est un philosophe italien que j'ai connu presque par hasard, ayant découvert ses livres dans la bibliothèque d'un appartement loué en Italie... J'ai commencé ainsi une relation téléphonique et épistolaire avec lui, ayant supervisé et préfacé l'édition française de son Histoire critique du marxisme, publiée en 2011 chez Armand Colin (collection U). Sa manière de philosopher, toujours avec une touche d'humour, était fort peu académique, mais il est un des philosophes peu nombreux qui m'ont semblé apporter quelque chose non à la "marxologie", mais surtout à la philosophie politique de notre époque. Il ne se disait pas "marxiste", mais considérait simplement qu'il faisait partie de ceux qui s'étaient mis à l'école de Marx, ce qui n'est pas du tout la même chose. Pénétré de la philosophie grecque ancienne, lecteur attentif de Lukacs, son œuvre reste trop peu traduite en France, victime de l'ostracisme que ceux qui tiennent les baraques de foire du marxisme dans notre pays.

Je publie ici deux textes: la préface que j'ai donnée à l'Histoire critique du marxisme et un hommage que lui a rendu sur Interferenza Salvatore A. Bravo.

samedi 11 novembre 2023

Le corps du capital

 Le machinisme et le capital sont consubstantiels. Sous ses premières formes, capital usuraire, rente foncière et même manufacture, le capital est indifférent au moyen de travail. Mais le capital n’est pas encore véritablement lui-même. Le capital, en chair et en os, apparaît avec la grande industrie et donc comme machines, qui fonctionne si possible jour et nuit pendant toute l’année. Dans Das Kapital, Marx emploie le terme de Maschinerie, qui se traduit aisément en français par « machinerie ». La machinerie n’est pas une collection de machines, mais un système en fonctionnement. La vraie chose vivante du capital, est cette machinerie : une usine à l’arrêt, c’est du capital immobilisé, du capital qui ne produit rien et donc du capital mort. D’un autre côté le capital est de l’argent, l’argent dépensé pour acheter des moyens de travail et de la force de travail, et qui ressort du cycle de la production grossi et embelli de la plus-value. Pour l’investisseur capitaliste, l’argent semble un pur fantôme et son existence matérielle n’a rien à voir avec son contenu réel et sa puissance. 

Peut-on parler de progrès moral?

J’ai déjà eu l’occasion, en plusieurs endroits, de poser la question des mythes du progrès. Il est d’ailleurs remarquable d’observer que l’on baptise aujourd’hui du qualificatif « progressiste » des gens qui défendent une régression intellectuelle terrible en rétablissant dans toutes leurs réflexions les classements en termes de « races », par exemple, ou veulent essentialiser toutes les petites différences entre les humains. Aujourd’hui, je voudrais revenir sur la question du progrès moral. Cette notion a-t-elle un sens ? Si oui, pouvons-nous répondre à la question qui sert de titre à cette modeste contribution ?

vendredi 10 novembre 2023

Le marché de la vertu

 Estelle Ferrarese, Le marché de la vertu. Critique de la consommation éthique, Librairie philosophique Jean Vrin, 2023


Voici un livre bref, mais dense, d’une lecture exigeante. L’auteur, professeur de philosophie à l’Université de Picardie, mobilise les ressources de la théorie critique et principalement les développements d’Adorno sur la morale, pour examiner les argumentations morales ou éthiques qui servent de justification au « commerce éthique ». Il semble aller de soi, en effet, que chacun d’entre nous est responsable de la planète, et que nos choix de consommation peuvent influer sur la marche du monde ! Il nous faut du café éthique et responsable, des produits des « petits producteurs »… Il y a même un peu partout des chartes de conduite éthique et responsable dans les entreprises et les organisations. Estelle Ferrarese commence par montrer que cette attitude qui se veut une critique du capitalisme, tel qu’il se développe actuellement, a son origine dans la doctrine sociale de l’Église et notamment la fameuse encyclique Rerum novarum, promulguée par Léon XIII (1891) et la revendication du « juste prix ». À partir de là, l’auteur va développer toute une argumentation critique, fort détaillée, des théories du « commerce équitable », incluant d’ailleurs certains des principaux représentants de la troisième génération de l’école de Francfort, comme Axel Honneth qui apporte à cette entreprise son concours.

vendredi 3 novembre 2023

Bergson, le possible et le réel


Dans un essai de 1930, Le possible et le réel (in La pensée et le mouvant), Bergson montre que la créativité extraordinaire de la nature par le fin que la réalisation d’un possible est toujours différent de ce possible. Ce qui se réalise ne correspond jamais à ce que j’avais prédit, même si cet écart peut être presqu’imperceptible.Soit, dira-t-on ; il y a peut-être quelque chose d'original et d'unique dans un état d'âme ; mais la matière est répétition ; le monde extérieur obéit à des lois mathématiques une intelligence surhumaine, qui connaîtrait la position, la direction et la vitesse de tous les atomes et électrons de l'univers matériel à un moment donné, calculerait n'importe quel état futur de cet univers, comme nous le faisons pour une éclipse de soleil ou de lune. – Je l'accorde, à la rigueur, s'il ne s'agit que du monde inerte, et bien que la question commence à être contro­versée, au moins pour les phénomènes élémentaires. Mais ce monde n'est qu'une abstraction. La réalité concrète comprend les êtres vivants, conscients, qui sont encadrés dans la matière inorganique.

jeudi 26 octobre 2023

La morale face à la guerre

La guerre est une rupture brutale du lien moral entre les hommes. C’est aussi vieux que l’humanité. Il n’y a pas de société sans ce lien moral (ou éthique si on tient à ce mot). Mais les sociétés humaines s’entretuent sans la moindre pitié. Les guerres préhistoriques sont maintenant bien documentées — voir Les guerres préhistoriques de Lawrence Keeley — et faisaient un considérable nombre de victimes (entre 40 et 50 % des vaincus) et, évidemment, on n’épargnait personne. Les Romains ne faisaient pas dans la dentelle avec les rebelles à leur « pax romana ». Les barbares l’étaient vraiment et de Gengis Khan à Tamerlan et Ivan le Terrible, les figures de monstres abondent. Sans oublier la croisade des Albigeois (« tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »), les guerres de religion (le massacre de la Saint-Barthélemy reste dans les mémoires), la guerre de Trente Ans qui a décimé la population allemande (réduite de moitié), l’invasion française de la Hollande, commandée par Louis XIV, etc. Nos guerres se sont peut-être civilisées au xixe, enfin quand il s’agissait des guerres intraeuropéennes, mais en matière d’horreurs coloniales, on ne sait à qui délivrer la palme, peut-être au traitement que le roi des Belges a fait subir au Congo, qui n’était pas une colonie belge, mais un domaine privé. Michel Terestchenko, dans Un si fragile vernis d’humanité, un livre à recommander chaudement, s’interroge sur les conduites de destructivité et montre que ce n’est ni par abjection que l’on massacre ni par altruisme que l’on s’y oppose…

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...