Aux éditions Max Milo:
vendredi 31 janvier 2025
Devenir des machines
jeudi 30 janvier 2025
Le caractère sacré de la vie
Qu’est-ce qui est sacré ? La démarche de Dworkin
Ronald Dworkin (1931-2013) est un important philosophe du
droit américain. Ses livres comme Law’s empire ou Taking rights
seriously tentent de sortir des dogmes du positivisme juridique et
rétablissent un lien nécessaire entre le droit et les principes moraux. Sovereing
Virtue (2000), défend l’égalité dans la même optique que le libéralisme
politique rawlsien. Dans Life’s Dominion (1993), il se confronte en tant
que « libéral » (américain) aux conservateurs sur les questions de l’avortement
et de l’euthanasie.
La valeur intrinsèque de la vie
Son point de départ est dans ce que nous tenons généralement
pour incontestable : nous trouvons intrinsèquement regrettable qu’une vie
déjà commencée se termine prématurément ou encore qu’une mort prématurée est
mauvaise en elle-même. C’est cette croyance qui détermine l’attitude de
nombreuses personnes à l’égard du suicide ou de l’euthanasie. Ce qui détermine
cette croyance est une croyance plus profonde, l’idée de la valeur intrinsèque
de la vie, une idée qui semble « mystérieuse ».
Certains philosophes comme Hume pensent que l’idée de
valeur intrinsèque est creuse : une chose ne peut être évaluée que si elle
sert quelque intérêt. Mais nos évaluations n’ont de sens que sur la base du
lieu commun qui donne une valeur en elle-même à la vie. Mais cette idée est
elle-même interprétable de diverses manières… Dworkin définit deux sortes de
valeurs intrinsèques, celles qui sont incrémentales et celles qui sont sacrées.
Le sacré
On part de la distinction entre valeur instrumentale,
valeur subjective et valeur intrinsèque. Une chose a une valeur intrinsèque
« si sa valeur est indépendante de ce que les gens souhaitent pour en
jouir, ou de ce qu’ils veulent ou ont besoin ou de ce qui est bon pour
eux. » Par exemple, nous considérons généralement que les grandes œuvres
d’art ont une telle valeur intrinsèque. « Nous regardons les autoportraits
de Rembrandt parce qu’ils sont admirables. Ils ne sont pas admirables parce que
nous les regardons. » Qu’en est-il de la vie ?
·
La vie a une valeur instrumentale : la vie
de X ou Y sert les intérêts des autres.
·
La vie a une valeur subjective : nous
aimons la vie, la vie est pour nous la chose la plus précieuse, etc.
·
La vie a une valeur intrinsèque : nous
respectons la vie humaine pour elle-même.
Il faut distinguer dans les valeurs intrinsèques entre celles
qui sont incrémentales et les autres :
·
par exemple : la connaissance, nous en
voulons toujours plus à valeur incrémentale.
·
mais on ne veut pas de la vie humaine de cette
manière. La vie humaine est simplement « sacrée » ou inviolable.
« Quelque chose est sacré ou inviolable quand sa
destruction délibérée déshonorerait ce qui doit être honoré. »
D’où vient qu’une chose est sacrée ?
1)
par désignation
ou association : des animaux sont sacrés parce qu’ils sont associés
à des dieux dans l’ancienne Égypte.
2)
Par sa
propre histoire : c’est le cas de l’art.
Dworkin donne des exemples de choses ayant une valeur
intrinsèque :
« Notre culture tend à traiter comme sacrées les
espèces animales (mais non les animaux à titre individuel). Pourquoi les
espèces animales ont-elles une valeur telle qu’il serait terrifiant que
quelques-unes des milliers de milliers d’entre elles soient détruites à des
fins utilitaires ? on pourrait dire : nous protégeons les espèces en
danger parce que nous voulons avoir le plaisir de continuer de voir des animaux
de chaque espèce ou parce que nous voulons pouvoir les étudier pour avoir le
maximum d’informations ou encore parce que nous sommes intéressés à ce qu’il y
ait beaucoup d’espèces plutôt qu’un
petit nombre. Mais aucun de ces arguments ne sonne juste. »
La conservation de l’espèce qui nous intéresse le
plus : la nôtre ! Ainsi pour Dworkin : « Notre intérêt pour
les générations futures n’est pas du tout une question de justice mais notre
sens instinctif que l’épanouissement humain aussi bien que la survie humaine,
est d’une importance sacrée. » (78)
« L’horreur que nous ressentons lors de la
destruction volontaire d’une vie humaine reflète notre sens commun inarticulé
de la valeur intrinsèque de chacune des dimensions de ces
investissements » (religieux, culturel, etc.) (84)
Dworkin soutient que « conservateurs et libéraux
acceptent tous le principe que la vie humaine est inviolable. » Inutile de
rentrer ici plus avant dans la controverse sur l’avortement et l’euthanasie.
Nous disposons d’une esquisse de concept de la « valeur sacrée de la
vie ».
Le sacré : approche étymologique
Sacer : ce
qui ne peut être touché sans souiller ou sans être souillé. Selon Littré
sacré, ée (sa-kré, krée), part.
passé de sacrer.
1° Qui a reçu le sacre.
2° Qui est consacré à un emploi
spirituel, en parlant des personnes ou des choses.
3° Il se dit, par antiphrase, de ce
qui, étant sacré de sa nature, est détourné à une mauvaise fin.
4° Qui concerne la religion et le
culte des dieux, chez les polythéistes.
5° Langue sacrée, langue dans
laquelle sont écrits les ouvrages qui traitent d'une religion
6° Sacré a été dit de quelques
maladies qu'on attribuait à une influence surnaturelle.
7° Consacré à.
8° Il se dit des choses qui méritent
d'être vénérées inviolablement.
9° Il se dit des personnes que leur
qualité rend inviolables. À Rome la personne des tribuns du peuple était
sacrée.
10° Sacré est une épithète qui
s'ajoute à des termes d'injure pour leur donner plus de force ; mais cela en
fait des blasphèmes, et n'est tout au moins que d'un emploi bas et grossier.
11° Terme d'anatomie. Qui appartient
à l'os sacrum.
Par extension :
est sacré ce qui mérite le plus grand respect, premier dans un ordre qui ne
saurait être remis en cause. Les droits de l’homme sont sacrés parce que
inviolables (8°). La vie peut posséder un caractère sacré au sens étendu, au sens 8°, mais aussi au sens 4° : elle
est sacrée parce qu’elle procède de Dieu.
Anthropologie
Quelle est la place du sacré dans la vision
indo-européenne ? On peut reprendre ici la tripartition de Georges Dumézil :
1)
le paysan s’occupe de la nature
2)
le guerrier s’occupe des hommes
3)
le prêtre se tient le front de l’invisible et du
divin.
Le sacré est le lieu où l’invisible et le visible ont un
point commun. Il est inutile de déclarer les dieux sacrés, ils appartiennent au
monde invisible, mais leurs temples sont sacrés, leurs paroles aussi.
Par opposition, le profane se trouve à la porte du temple (c’est
l’étymologie).
-
(lat.) fanum = lieu consacré à fanatique !
-
(ang.) : fane = temple
Le sacré est donc une mise en présence d’un « tout
autre ordre ». Ce qu’on appelle encore transcendance. Le sacre du roi l’arrache à l’ordre politique
commun : il devient « l’oint du seigneur ». La vie est-elle
sacrée en ce sens ? Oui, au sens où elle est du visible articulé à un tout
autre ordre.
Évidemment, si on est un pur matérialiste, tout cela, ce
ne sont que des sornettes. Mais, même les purs matérialistes, généralement, considèrent
que le « tu ne tueras point » est une règle acceptable dans une société
purement matérialiste ! Les purs matérialistes quand ils sont « démocrates », « libéraux » ou « républicains » admettent de fait
le caractère sacré de la vie – et ils considèrent aussi bien d’autres choses
comme sacrées.
(revu le 30 janvier 2025)
dimanche 19 janvier 2025
Faut-il vraiment croire dans la politique?
Au soir de ma vie, j’éprouve le besoin de regard un regard rétrospectif sur ce qui m’a grandement occupé pendant plusieurs décennies, à savoir la politique. Ce bilan que je me sens contraint de présenter est aussi largement celui de toute une génération, ceux qui, jeunes en 1968, sont tombés dans le bain « révolutionnaire ». On peut penser que c’est un peu présomptueux de vouloir parler au nom d’une génération et c’est pourquoi je m’en abstiendrai. Ce texte est écrit à la première personne. D’autres pensent et penseront tout autrement.
mercredi 18 décembre 2024
Souveraineté et protection des citoyens
L’idéal serait qu’on se passe d’État, et l’anarchisme est une doctrine séduisante. À laquelle on peut répondre avec saint Augustin que des hommes qui n’auraient pas commis le péché originel pourraient vivre harmonieusement sans avoir à obéir à une institution politique. Malheureusement, même si on n’accepte pas la doctrine augustinienne du péché originel, force est de constater que les hommes ont besoin d’un souverain comme les chiens ont besoin d’un maître, ainsi que le dit l’excellent Dany-Robert Dufour.
lundi 9 décembre 2024
Il faut « mettre du vin nouveau dans des outres neuves »
J’ai lu et et recensé le livre de François Bazin consacré à Lambert. Au-delà de Lambert se pose une question plus générale qui est celle du destin du trotskisme, du « marxisme révolutionnaire » et de notre « génération ». Aller jusqu’au bout de l’analyse. Si on veut continuer, extirper les racines de quelque chose qui ne concerne pas seulement le lambertisme, mais toutes les tentations du « marxisme révolutionnaire », il faut « mettre du vin nouveau dans des outres neuves » (Matthieu, 9,17).
dimanche 10 novembre 2024
Sur la question des forces productives
J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pense du livre de Kohei Saito, Moins. Indépendamment des réserves que pourrait entraîner telle ou telle formulation ou tel ou tel exemple, sur le fond, Kohei Saito a raison et il lit correctement Marx.
mardi 22 octobre 2024
Il n'y a pas de politique scientifique
Le « socialisme scientifique » fut une catastrophe intellectuelle et politique. Cette catastrophe trouve, pour partie, ses origines dans les œuvres de Marx qui voulut faire œuvre de science et compara en quelques passages son travail à celui de Galilée.
Il estimait aussi que la transformation radicale du mode de production capitaliste se produirait avec la nécessité qui préside aux métamorphoses de la nature. Mais l’œuvre majeure de Marx, Le Capital, ne s’intitule pas « Science de l’économie capitaliste », ni « Théorie scientifique de l’histoire », ni « Théorie générale des classes », ni quoi que ce soit de ce genre. Son sous-titre est Critique de l’économie politique. Marx se place d’emblée sur le terrain d’une « théorie critique », c’est-à-dire d’une critique des théories qui se veulent scientifiques. Marx ne nous donne pas une théorie scientifique, mais plutôt une « métathéorie », une théorie de la théorie. Marx n’est pas Auguste Comte ! N’en déplaise à Althusser.
samedi 12 octobre 2024
« Moins » par Kohei Saito
Kohei Saito est un philosophe japonais (né en 1987), docteur en philosophie de l’université Humbolt de Berlin, professeur associé à l’Université de Tokyo. Il participe aux travaux de la nouvelle MEGA (éditions des œuvres complètes de Marx et Engels). En 2020, il publie Hitoshinsei no ‘Shihonron’ (qu’on peut traduire par « Le Capital dans l’Anthropocène »), un livre qui se vend à 500000 exemplaires !
C’est une version remaniée de ce livre qui sort en français sous le titre Moins ! La décroissance est une philosophie (Seuil). Il a également publié en 2016 La Nature contre le capital. L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital (Syllepse, 2021), dont j’ai rendu compte brièvement dans La Sociale. Kohei Saito prend tout le monde à revers et propose une lecture de Marx aussi ébouriffante que stimulante, débouchant sur des perspectives politiques et sociales pour notre époque.
mardi 8 octobre 2024
Bifurcation
– 1 —
L’action politique — si l’on pense qu’elle est utile parce que motivée par le sens du bien commun — demande que l’on soit capable de dégager des orientations à long terme, en fonction de ce que l’on peut discerner des tendances historiques générales. Lorsque Rosa Luxemburg analysait la dynamique globale du mode de production capitaliste, elle en déduisait le caractère inéluctable d’une sorte de crise finale de ce mode de production, et cette perception de l’avenir justifiait son pronostic : « socialisme ou barbarie ».
lundi 7 octobre 2024
La logique totalitaire (II)
Poursuivons notre lecture de Jean Vioulac. Nous abordons maintenant l’analyse du nazisme. Après Léviathan, nous avons affaire à Béhémot ! C’est un monstre terrestre que l’homme ne peut pas plus domestiquer qu’il ne peut attraper Léviathan avec un hameçon.
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Ce dialogue (dont l’authenticité a été parfois contestée) passe pour être une véritable introduction à la philosophie de Platon. Il est sou...
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