lundi 14 mars 2005

Foi, bonheur mystique et joie.


La religion est porteuse de promesses de bonheur. Après la mort, les âmes des justes doivent aller dans les « îles des Bienheureux », rapporte Socrate à la fin du Gorgias. Le Paradis des religieux monothéistes est le lieu même du bonheur qui viendra récompenser les hommes pieux. C’est le lieu de la félicité éternelle.
Cependant, c’est seulement dans le Coran qu’on trouve des descriptions un tant soit peu précise de ce lieu du bonheur : « ceux qui croient et qui pratiquent les bonnes œuvres (…) auront pour demeure des jardins arrosés de courants d’eau. Toutes les fois qu’ils recevront des fruits de ces jardins, ils s’écrieront : Voilà les fruits dont nous nous nourrissions autrefois, mais ils n’en auront que l’apparence. Là ils trouveront des femmes exemptes de toute souillure et ils y demeureront éternellement. » (Sourate II, v. 23) Les fruits du paradis ressembleront aux fruits de la Terre, mais leur goût sera incomparable. La sourate LVI nous apprend même qu’un vin exquis sera servi aux bienheureux. Chose remarquable : le paradis se présente donc comme la jouissance parfaite et portée à son plus haut point de biens qui sont souvent recherchés pendant l’existence terrestre. Le paradis de Dante est tout spirituel. Dans son voyage le poète y retrouve Béatrice, son amour magnifié et il peut enfin contempler la lumière et l’ordre divins.
Pour les grands mystiques, le bonheur n’est pas la récompense que nous promet une vie sainte, mais il est déjà dans la foi elle-même. Chez Jean de la Croix (Œuvres Complètes, éditons Desclée de Brouwer, 1967), la pénitence, la mortification de la chair, c’est la « nuit purificatrice » qui fait « endormir et s’apaiser en la maison de la sensualité toutes les passions et appétits ». Cette « nuit obscure » est le chemin étroit qui conduit à la béatitude puisqu’elle met directement en contact l’âme avec Dieu. Elle a « uni / l’Aimé avec son aimée, / L’aimée en son Aimé transformée » (La nuit obscure, V.) Ce bonheur – mais le terme n’est conceptualisé chez Jean de la Croix – réside ainsi dans la contemplation mystique, il lui est immanent. Il se marque dans cette joie apaisée dont parlent les cantiques. Jean de la Croix distingue deux sortes de joie : la première, celle qui naît dans l’âme de la représentation des choses proposées comme « bonnes, convenables, suaves et délectables », est une joie dans laquelle « l’âme s’altère et s’inquiète » ; la seconde, qui naît de l’amour de Dieu, qui suppose que « la volonté soit vide de son appétit naturel. » Il faut, dit encore Jean de la Croix, que « la volonté ait seulement faim de Dieu en tant qu’il est incompréhensible. » Mais cette extase demande un travail sur soi : il est si facile de mettre une joie impure dans les biens moraux, il est si facile de croire qu’on connaît Dieu et s’en réjouir alors qu’il est l’inconnaissable par excellence. C’est encore cela, la nuit obscure, ce travail de dépouillement absolu de toute trace de la jouissance finie et satisfaite de soi, car « la béatitude ne se donne pour autre prix que pour l’amour », mais un amour qui n’est ni possession ni même désir, mais abandon et « pauvreté d’esprit » (« heureux les pauvres en esprit », dit Matthieu).
On le voit, on est très loin des représentations du Paradis comme ce verger délicieux qui reproduit dans l’au-delà le jardin d’Eden des origines.
D.C.

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