Le bonheur réside dans le plaisir. Cette affirmation caractérise
l’hédonisme. Mais reste à savoir ce qu’est le plaisir. Et alors les hédonistes
se divisent en deux grandes écoles : d’une part, les plus connus et les
plus « respectables », les épicuriens qui prônent un plaisir modéré
et une éthique finalement presque aussi ascétique que celle de leurs
adversaires. Les autres, les Cyrénaïques, disciples d’Aristippe de Cyrène,
défendent « le plaisir en mouvement ». À bien des égards, le
Calliclès du Gorgias pourrait se rattacher à cette école.
Les cyrénaïques, selon Diogène
Laërce, professaient l’opinion suivante : « Il y a deux états de l’âme : la douleur et le
plaisir ; le plaisir est un mouvement doux et agréable, la douleur un
mouvement violent et pénible. Un plaisir ne diffère pas d’un autre plaisir, un
plaisir n’est pas plus agréable qu’un autre. Tous les êtres vivants recherchent
le plaisir et fuient la douleur. Par plaisir, ils entendent celui du corps
qu’ils prennent pour fin. »[1]
Il faut entendre cette doctrine du plaisir dans toute sa radicalité. Le plaisir
n’est pas le moyen du bonheur, une des composantes du bonheur, il est le
bonheur lui-même en ce qu’il est la seule fin que l’homme puisse véritablement
se donner. Le bonheur, si on suit l’interprétation de Diogène Laërce, ne serait
rien d’autre que la suite des plaisirs particuliers. La
valeur du plaisir est indépendante des moyens par lesquels on l’atteint. Ainsi « Ils
pensent que le plaisir est un bien même s’il vient d’actions honteuses ».
Et de la même manière que les souffrances corporelles sont les plus intenses –
on châtie les coupables corporellement – les plaisirs du corps sont donc
supérieurs aux plaisirs de l’âme car ils sont plus intenses.
Cette éthique du plaisir conduit à un positivisme moral et
juridique radical. Toujours selon Diogène Laërce, « rien n’est par nature
juste, beau ou laid ; c’est l’usage et la coutume qui en décident ».
Cependant, il reste une place à la sagesse du philosophe dont les cyrénaïques
affirment que c’est seulement parce qu’il est sage et non par crainte des
châtiments qu’il se gardera de commettre un crime. On remarquera ici un
certaine inconséquence : le plaisir définit à lui seul la vie bonne et
cependant est nécessaire une sagesse qui sache séparer les plaisirs criminels
des autres ; donc le plaisir ne définit pas à lui seul la vie bonne.
Denis COLLIN
[1]
Diogène Laërce : Vies,
doctrines et sentences des philosophes illustres, I, page 134, édition GF
Flammarion, traduction de Robert Grenaille.
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