lundi 14 mars 2005

Les cyrénaïques et autres hédonistes



Le bonheur réside dans le plaisir. Cette affirmation caractérise l’hédonisme. Mais reste à savoir ce qu’est le plaisir. Et alors les hédonistes se divisent en deux grandes écoles : d’une part, les plus connus et les plus « respectables », les épicuriens qui prônent un plaisir modéré et une éthique finalement presque aussi ascétique que celle de leurs adversaires. Les autres, les Cyrénaïques, disciples d’Aristippe de Cyrène, défendent « le plaisir en mouvement ». À bien des égards, le Calliclès du Gorgias pourrait se rattacher à cette école.
Les cyrénaïques, selon Diogène Laërce, professaient l’opinion suivante : « Il y a deux  états de l’âme : la douleur et le plaisir ; le plaisir est un mouvement doux et agréable, la douleur un mouvement violent et pénible. Un plaisir ne diffère pas d’un autre plaisir, un plaisir n’est pas plus agréable qu’un autre. Tous les êtres vivants recherchent le plaisir et fuient la douleur. Par plaisir, ils entendent celui du corps qu’ils prennent pour fin. »[1] Il faut entendre cette doctrine du plaisir dans toute sa radicalité. Le plaisir n’est pas le moyen du bonheur, une des composantes du bonheur, il est le bonheur lui-même en ce qu’il est la seule fin que l’homme puisse véritablement se donner. Le bonheur, si on suit l’interprétation de Diogène Laërce, ne serait rien d’autre que la suite des plaisirs particuliers. La valeur du plaisir est indépendante des moyens par lesquels on l’atteint. Ainsi « Ils pensent que le plaisir est un bien même s’il vient d’actions honteuses ». Et de la même manière que les souffrances corporelles sont les plus intenses – on châtie les coupables corporellement – les plaisirs du corps sont donc supérieurs aux plaisirs de l’âme car ils sont plus intenses.
Cette éthique du plaisir conduit à un positivisme moral et juridique radical. Toujours selon Diogène Laërce, « rien n’est par nature juste, beau ou laid ; c’est l’usage et la coutume qui en décident ». Cependant, il reste une place à la sagesse du philosophe dont les cyrénaïques affirment que c’est seulement parce qu’il est sage et non par crainte des châtiments qu’il se gardera de commettre un crime. On remarquera ici un certaine inconséquence : le plaisir définit à lui seul la vie bonne et cependant est nécessaire une sagesse qui sache séparer les plaisirs criminels des autres ; donc le plaisir ne définit pas à lui seul la vie bonne.
Denis COLLIN


[1]          Diogène Laërce : Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, I, page 134, édition GF Flammarion, traduction de Robert Grenaille.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Communisme et communautarisme.

Par  Carlos X. Blanco Le communautarisme de Costanzo Preve se démarque de tout mouvement intellectuel nostalgique qui cherche à rétrograde...