jeudi 9 juin 2022

Pourquoi être « du côté » des pauvres et des opprimés ?

Si on admet qu’il n’y a pas de « lois de l’histoire » et encore moins de « sujet révolutionnaire » (il faudrait revenir sur le « sujet révolutionnaire », car le vrai sujet révolutionnaire est la marchandise), alors quelles raisons demeurent pour prendre le parti des plus pauvres, des opprimés et des exploités ? Quelles raisons demeurent pour lutter contre le capitalisme et défendre l’avènement d’une société « socialiste » ?

Une première raison pourrait être que l’irrationalité du mode de production capitaliste le condamne à terme : le capital détruit les deux sources de la richesse qui sont la Terre et le travail. Cette affirmation de Marx trouve à notre époque des confirmations dramatiques et l’idée que l’avenir même de l’humanité est en jeu si nous continuons la course folle au développement des « forces productives » est aujourd’hui très largement partagée. Cependant cet argument rencontre au moins trois objections.

La première de ces objections est que le mode de production capitaliste a montré des ressources souvent insoupçonnées pour se tirer d’un mauvais, même si le prix à payer en fut lourd. Le « réchauffement climatique », par exemple pourrait être aubaine : de nouvelles routes maritimes s’ouvriraient par le Pôle Nord, les immenses surfaces de la Sibérie pourraient être cultivées ce qui compenserait la transformation des régions tropicales et équatoriales en déserts brûlants. On peut aussi imaginer que la très hypothétique maîtrise de la fusion nucléaire donnerait au capital l’envol pour une nouvelle phase d’accumulation. On pourrait aussi remplacer l’agriculture par le chimie et subvenir aux besoins d’une vaste population. Et ainsi de suite. Bref, le mode de production capitaliste ne tombera jamais de lui-même en vertu d’on ne sait trop quelle justice immanente.

La deuxième objection tient en ceci : un gouvernement autoritaire mondialisé pourrait être une solution aux menaces qui pèsent sur la planète. C’était la thèse soutenue par l’un des maîtres à penser de l’écologie radicale, Hans Jonas. Le gouvernement chinois a montré son aptitude à engager « la transition énergétique », selon ses propres modalités. Pour tous les gouvernements du monde, l’épidémie de Covid 19 fut une sorte d’exercice grandeur nature sur la manière de contrôler les populations.

Le troisième objection est que les motivations purement rationnelles sont tout à fait insuffisantes. L’irrationalité du système est un argument peu parlant pour l’immense majorité des gens qui se débattent dans les difficultés, parfois au ras de la survie. Les classes moyennes cultivées peuvent être sensibles à ce genre d’argument, mais l’accord théorique a du mal à entraîner un militantisme pratique décidé !

Il ne reste donc pour choisir « le camp des pauvres et des opprimés » que des raisons morales. L’indignation que provoque l’injustice est un puissant moteur politique. La guerre des paysans en Allemagne, menée par Thomas Münzer combina la révolte intellectuelle de ce disciple désobéissant de Martin Luther et la révolte élémentaire des paysans plongés dans la misère par la cupidité des seigneurs. Si on suit l’itinéraire du jeune Marx, on peut voir que ce n’est pas l’analyse du mode de production capitaliste qui le conduit au communisme, mais la solidarité avec les pauvres qui se heurtent aux lois iniques contre le ramassage du bois. L’analyse théorique, « froide », vient pour donner des armes intellectuelles à un choix moral et politique antérieur. Les marxistes qui affirment qu’ils ne combattent pas le capitalisme pour des raisons morales sont soit des bravaches, soit des imbéciles. À moins que cela n’explique pourquoi tant de jeunes « marxistes » deviennent des vieux bourgeois satisfaits.

Le Capital et le Sermon sur la montagne, voilà deux bonnes raisons d’être « socialiste » ou « communiste ». Voilà qui nous rappelle « la force de la morale » (pour reprendre le titre du livre écrit avec Marie-Pierre Frondziak).

Le 9 juin 2022

 

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