Nous avons de bonnes analyses de la psychologie des foules en cherchant chez Gustave Le Bon ou chez Freud, sans oublier Masse et puissance d’Elias Canetti. Marie-Pierre Frondziak lui consacre quelques développements en prenant appui sur l’ethnologie, dans Croyance et soumission (L’Harmattan, 2019). Tous ces travaux nous aident à comprendre ce qui se joue dans l’amour du chef ou dans les transformations psychologiques qui affectent les individus dès lors qu’ils font masse. Le cas qui m’occupe aujourd’hui est un peu différent. Il s’agit de comprendre comme une épidémie de bêtise et d’irrationalité peut submerger les classes dirigeantes et les classes sous-dirigeantes, c’est-à-dire des classes plutôt instruites (même si le niveau global d’instruction réelle laisse parfois pantois). Qu’une députée nouvellement élue, par ailleurs vice-présidente d’une grande université, maîtresse de conférences en économie, puisse écrire « Merci pour la campagne que vous avez fait et faite », confondant le sujet et le COD, voilà qui pourrait témoigner des ravages que la prétendue écriture inclusive a faits dans les cerveaux d’une certaine frange de l’intelligentsia. Comment en arrivent-ils là ? Il ne l’agit pas en effet d’un lapsus commis inopinément. Le lapsus est un symptôme ! Mais le symptôme de quoi ?
On ne peut se contenter de la bonne vieille ritournelle :
l’idéologie dominante est l’idéologie de la classe dominante, qui explique
parfaitement la domination du « néolibéralisme », mais échoue devant l’écriture
inclusive et les transes des « trans » ! Plus que dans l’arsenal vieux-marxiste,
c’est dans celui de la psychanalyse qu’il faut aller chercher, pour tenter de
percer le sens du comportement des insensés. Car il s’agit bien de cela, de
comportements insensés, la faute de Madame Rousseau révèle parfaitement que le
sens de la phrase lui échappe et qu’il s’agit seulement de ne pas oublier « celles
et ceux » qui ont contribué à sa campagne. Autrement dit, le sens premier de la
phrase (« je remercie tous ceux qui ont fait cette campagne ») est parasité par
le surmoi féministe version 2.0 de Madame Rousseau. Mais pourquoi cette
intervention du surmoi ? Quelle pulsion inconsciente travaille ici ?
J’abandonne ici Madame Rousseau qui n’est pas une personne très
intéressante sauf comme archétype de la bêtise satisfaite des « crétins diplômés ».
Je propose l’explication globale suivante. Nous avons toute une série de
phénomènes, « wokisme », néoféminisme, etc., qui se traduisent par une volonté de
contrôle de la parole et de la pensée qui s’apparente à ce qu’ont pu être les
pires formes du puritanisme ou ce que l’on retrouve dans les sectes. S’est créé
quelque chose que l’on pourrait appeler un surmoi malade qui répond à une
culpabilité inconsciente. Mais comme le moi résiste à rejeter sur lui-même
cette culpabilité, il transforme le sujet en censeur, en « père sévère » ou en
bourreau. Dans cette dynamique, on n’en fait jamais assez, il faut traquer « la
bête » dans les moindres recoins, avec la compensation narcissique que reçoit
le dénonciateur des « traîtres au parti », des Juifs de son immeuble ou des hérétiques
camouflés. Ceux qui ont besoin de satisfaire leurs pulsions sadiques sont assez
rares, mais évidemment c’est elle qui ronge les âmes tourmentées de nos
censeurs.
Erich Fromm, un de mes chers « francfortiens » a consacré un
livre passionnant à la destructivité, aux ressorts de cette curieuse passion de
détruire. Je crois que nous sommes face à un phénomène de ce genre. Toute une
partie des « élites » ou des « demi-élites » s’est donné comme tâche de détruire
le monde dont elles ont hérité. On a toujours du mal avec les ancêtres et le
meurtre des ancêtres a été accompli à grande échelle par l’extermination des
Juifs dans les camps nazis. Sous cette forme, on ne peut — aujourd’hui — le rééditer.
Il s’agit maintenant d’en finir avec l’humanité européenne, de tuer père et mère
et de liquider cet héritage devenu trop lourd à assumer. L’écriture inclusive s’inscrit
dans une tentative de détruire la langue, d’en finir avec l’homme de parole — l’animal
qui a le logos. Évidemment, et c’est pur hasard, ça tombe à pic avec la
destruction progressive de la communication langagière (abstraite) au profit de
l’image. Les vieux qui échangent des textes sur FB ou sur « twitter » sont
complètement ringards. Être branché, c’est être sur Tik-tok, un réseau d’échanges
de brèves vidéos. Surtout ne plus parler. Alourdir la langue, supprimer tout
deuxième degré possible, voilà des étapes nécessaires pour en finir avec la
parole.
La mise en cause des auteurs et des personnages historiques
à déboulonner s’impose aussi clairement. Tuer les morts est une entreprise à la
taille des valeureux chevaliers de la pureté qui officient dans le « wokisme ».
Il faut certes un jugement critique du passé, mais pour l’assumer et le sauver —
Aufhebung, surmontement, dit Hegel. Mais ce n’est pas ce surmontement,
très psychanalytique qui satisfera les « khmers multicolores ». Détruire, tel
est le mot d’ordre.
La mise en cause du sexe s’inscrit dans cette volonté de
détruire. La différence des sexes nous apprend que l’identité suppose la différence,
que l’humanité est irrémédiablement double, qu’elle est l’unité d’une contradiction.
Voilà qui est insupportable. Une humanité réellement uniformisée doit s’imposer
pour nos sectaires. J’avais soulevé une autre dimension du transsexualisme, la
haine cachée des mères. Les mères le sont parce qu’elles sont fécondes et « font »
des enfants, quelque chose qui vient heurter l’appétit de destruction. Enfin,
le transsexualisme s’accorde bien avec le vieux fond puritain : le sexe, c’est
l’interdit par excellence. Que tout cela puisse parfois se draper des oripeaux
d’une libération sexuelle complètement déréglée ne change rien au fond de l’affaire.
L’humanité ne survit que grâce à de subtils montages, ceux
du droit civil en premier lieu, mais aussi tout ce qui permet de trouver des accords,
de maintenir une langue commune, de négocier. C’est cela qui est menacé dans
une société chaque jour plus éparpillée.
À quoi tout cela conduit-il ? À l’aspiration à la
destruction totale du monde. « Il leur faut une bonne guerre ». Quand on entend
BHL éructer sur les médias qui le choient qu’il faut faire la guerre à Poutine
et l’écraser, on est bien obligé de se dire qu’une nouvelle fois les pères se
préparent à tuer leurs fils. Sous le vernis, le « fragile vernis d’humanité »
(Michel Terestchenko), la barbarie est prête à exiger son dû.
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